Retour à Walsingham
Walsingham (dans le Norfolk, à 160 km au nord-est de Londres), le 17 juin 2018. Le père James Mary, gardien de la petite communauté de frères mineurs conventuels, est visiblement heureux : « C’est une grande joie pour nous. Nous avons l’impression d’être rentrés à la maison ». Après 480 ans d’absence, les fils de saint François sont de retour à Walsingham. Pour comprendre les raisons profondes de cette joie, il faut remonter presque mille ans en arrière.
Walsingham, le Nazareth anglais
Tout commence en 1061, au temps d’Édouard le Confesseur, lorsque, selon la tradition, une veuve du nom de Richeldis de Faverches, se trouve par trois fois transportée en vision à Nazareth. Marie l’accueille, lui fait visiter sa maison, lui demande d’en noter les dimensions, et l’invite à en édifier une copie à Walsingham. Richeldis fait donc bâtir une petite maison de vingt-trois pieds et demi de long sur douze pieds dix pouces de large, à proximité de deux puits. Une fois la construction achevée, une statue en bois de Marie assise « apparaît miraculeusement ». Au milieu du XIIe siècle, un prieuré de chanoines de l’ordre de saint Augustin vient s’établir à côté de la « sainte maison », et contribue à la faire connaître. À une époque où il est bien difficile de se rendre en Terre sainte, ce « Nazareth de substitution » va donner naissance à un pèlerinage marial au rayonnement international. Nobles et manants, citadins et paysans, savants et illettrés viennent y prier en foule.
À partir d’Henri III, en 1248, tous les rois d’Angleterre effectuent le pèlerinage de Walsingham, et ce jusqu’à Henri VIII. Celui qui, plus tard, provoquera le schisme avec Rome, commence en effet par être un fervent catholique. En 1511, pour remercier Marie de lui avoir donné un fils, il se rend à Walsingham et, comme beaucoup de pèlerins, il dépose ses souliers à la chapelle Sainte-Catherine (dite pour cette raison la slipper chapel) et termine pieds nus le dernier kilomètre qui le sépare du sanctuaire. Il se prosterne alors devant la statue et offre à Marie un collier de pierres précieuses. Le Nazareth d’Angleterre attire aussi des pèlerins d’outre-Manche. Princesses et princes français font le déplacement (Isabelle de France en 1332), mais également, et c’est plus inattendu, le prince des humanistes, Érasme, en 1511. Ce dernier, après son pèlerinage, décrit précisément le sanctuaire et présente Walsingham comme « l’endroit le plus fréquenté de toute l’Angleterre ».
Le couvent des franciscains
Présents en Angleterre depuis 1224, les Fils de saint François, appelés ici Greyfriars, ont quadrillé le pays de leurs couvents au cours du Moyen Âge. Rien d’étonnant à ce qu’ils aient voulu s’établir à Walsingham. En 1347, malgré l’opposition des Augustins — inquiets pour leurs aumônes —, le pape Clément VII, à la demande du roi Édouard III, donne la permission au provincial d’Angleterre d’acheter un terrain à Walsingham et d’y faire bâtir un couvent pour douze religieux. Aussitôt, les frères arrivent sur place et bientôt ils commencent à construire un vaste ensemble conventuel, capable d’accueillir bien davantage que douze religieux. Lorsque débute la réforme anglicane, les Frères Mineurs Conventuels disposent d’une soixantaine de couvents en Angleterre (dont Walsingham) et les Observants de six établissements. Tout ce réseau conventuel va disparaître.
Après la Réforme
En 1534, Henri VIII édicte un acte de suprématie par lequel il se place de à la tête de l’Église d’Angleterre. Par fidélité à l’Église de Pierre, quelques-uns, comme Thomas More, refusent de signer l’acte et subissent le martyre, mais beaucoup se soumettent. C’est le cas du dernier prieur des augustins de Walsingham. En 1538, tous les couvents sont fermés, et le sanctuaire de la « Sorcière de Walsingham », comme on l’appelle désormais, est laissé à l’abandon puis détruit. La statue de Marie est emportée à Chelsea, près de Londres, et brûlée en public. Seules des ruines témoignent désormais du glorieux passé du pèlerinage. Celles du couvent franciscain, particulièrement imposantes, laissent encore entrevoir l’importance des bâtiments. L’église, entièrement détruite, mesurait près de soixante mètres de long et possédait une haute tour, assez semblable à celle qui subsiste aujourd’hui à King’s Lynn. Le couvent comportait deux cloîtres et une grande hôtellerie.
Le retour des frères
Au XIXe siècle, les catholiques retrouvent droit de cité en Grande-Bretagne et la hiérarchie épiscopale est rétablie en 1850. Dans l’église paroissiale (catholique) de King’s Lynn, une chapelle dédiée à Notre-Dame de Walsingham est inaugurée, et une nouvelle statue y est installée en 1897. À Walsingham même, les catholiques font l’acquisition de la slipper chapel (qui avait subsisté après la Réforme), et en 1934, celle-ci devient le nouveau sanctuaire marial catholique, autour d’une statue la plus conforme possible à celle qui avait brûlé. Mais les anglicans ne se veulent pas en reste. À partir de 1921, la paroisse anglicane de Walsingham est desservie par un clergé appartenant à la mouvance anglo-catholique (d’où nous est venu le bienheureux John Henry Newman), et les anglicans vont à leur tour faire construire un sanctuaire marial non loin des ruines du prieuré augustin. En ces temps œcuméniques, les deux sanctuaires travaillent main dans la main.
Mais pour que Marie soit tout à fait satisfaite, il fallait que les Fils de saint François — qui ont tant milité pour l’Immaculée Conception — fassent leur retour à Walsingham. Entre 1936 et 1948, ce sont des capucins qui ont assuré la présence franciscaine. Mais depuis, plus rien ! En 2018, grâce à un timide renouveau de vocations en Angleterre, et de vocations à tonalité mariale, les Fils de saint François et Frères de Maximilien Kolbe ont sauté le pas. Ils sont trois (deux frères prêtres et un frère laïc) à habiter une petite maison à Walsingham, et ils participent à l’accueil des pèlerins, notamment par le sacrement de pénitence. Puissent-ils contribuer à ce que se réalisent les promesses de ce vieux dicton anglais : « Quand l’Angleterre reviendra à Walsingham, Notre-Dame reviendra en Angleterre. Quand l’Angleterre reviendra à Walsingham, l’Angleterre reviendra à la foi ancienne. »