Liège, ardente et franciscaine

Depuis quelques mois, des clarisses du Burundi ont pris le relais des carmélites du Mont Cornillon à Liège. Belle occasion pour partir à la découverte de la riche histoire franciscaine de la cité mosane.
22 Février 2018 | par

 « La cité ardente » : c’est ainsi que l’on qualifie Liège, la capitale économique et culturelle de la Wallonie. Ardente, par son dynamisme et ses activités trépidantes, mais aussi pour sa longue et fière histoire au cours de laquelle les bourgeois ont défendu leurs droits face à un prince-évêque qui régnait sur un véritable État, la Principauté de Liège. Après la Révolution française – est-ce étonnant ? –, les habitants ont rasé le symbole de la ville, la cathédrale Saint-Lambert. Mais l’histoire religieuse de cette cité mosane comporte également sa part de lumière et de sainteté. Ici, au XIIIe siècle, sous l’impulsion de sainte Julienne de Cornillon, fut instituée la Fête-Dieu, aujourd’hui célébrée par toute l’Église. L’histoire franciscaine de la ville mérite également d’être revisitée – d’autant plus qu’elle se poursuit sous nos yeux.

Du vivant de saint François
Dans un ouvrage intitulé Les Délices du pays de Liège (1738), il est rapporté que selon une « ancienne chronique », les Frères Mineurs sont arrivés dans la cité ardente du vivant même de leur fondateur, et que « saint François y officia en qualité de diacre à une messe solennelle qui y fut célébrée pendant qu’il y séjourna ». Le fait n’a pas de fondement historique, mais, notons-le, au XVIIIe siècle, il appartient encore à la mémoire collective, et surtout, les Frères n’ont pas oublié que François était diacre. Après cette première implantation à priori précoce, toutes les ramifications de l’arbre franciscain ont fait souche à Liège et y ont laissé d’importantes traces patrimoniales. Situé rue Hors-Château, une rue jalonnée d’établissements religieux depuis le Moyen Âge, le couvent des frères mineurs est intégralement conservé. Son église, dédiée à saint Antoine de Padoue et malheureusement désacralisée, conserve de beaux vestiges de sa construction au milieu du XIIIe siècle. Quant aux bâtiments conventuels, ils ont été reconstruits dans un art mosan très pur au XVIIe siècle, et abritent aujourd’hui le Musée de la vie wallonne. Au XVe siècle, au moment où l’Ordre se scinde en deux familles, le couvent de Liège reste dans l’orbite des Frères Conventuels, et après 1517, il devient le siège d’une toute petite province conventuelle, qui ne compte que deux couvents – outre celui de Liège – Dinant et Huy.

En 1489, les Observants prennent possession d’un terrain qui se trouve de l’autre côté de la Meuse – un quartier toujours dénommé outremeuse – et y bâtissent un couvent qui, au cours du XVIIe siècle, passe à la réforme des Récollets. L’ensemble architectural existe toujours : l’église, devenue paroissiale, date du XVIIIe siècle, et conserve une belle chaire à prêcher dont la cuve est décorée de scènes de la vie de saint François. Quant aux bâtiments conventuels, et notamment le cloître, ils abritent aujourd’hui une auberge de jeunesse qui porte le nom du héros local : Georges Simenon. Enfin, sous l’Ancien Régime, les Capucins sont également présents à Liège : de leur établissement situé sur les hauteurs, au-dessus de l’église Saint-Servais, il subsiste la brasserie – indispensable en Belgique ! – ainsi qu’un chemin en escalier très poétique conduisant de la rue des Anglais au couvent. 

Les Clarisses également
Par le passé, toutes les branches féminines franciscaines ont eu leur maison à Liège : Sœurs grises, Conceptionistes, Capucines, Urbanistes, Pénitentes récollectines, « Pauvres-Claires », presque tous ces couvents sont aujourd’hui détruits, mais ils ont laissé des traces dans la toponymie. « Rue des clarisses », à l’emplacement de l’actuel Athénée royal – une immense « barre » construite dans les années 1970 et, il faut le dire, particulièrement laide – se trouvait depuis le début du XVIIe siècle une communauté de moniales qui avait survécu à une longue et périlleuse odyssée. À l’origine, ce monastère de clarisses, issu de l’Ave Maria de Lille, avait été fondé en 1515 à Middelbourg, non loin de Bruges. Cette communauté observait les constitutions de sainte Colette et présentait la particularité de ne pas compter de converses au sein de la clôture et de bénéficier de l’appui de frères quêteurs. Après 1570, les Guerres de religion obligent les moniales à quitter leur monastère. Elles se réfugient d’abord à Bruges, cherchent à revenir à Middelbourg, puis viennent se joindre aux moniales de Lille, avant de tenter une fondation à Ypres (1597). Finalement, la communauté accompagnée de son confesseur et de son compagnon arrive à Liège, par bateau, sur la Meuse. Grâce aux frères mineurs, les clarisses obtiennent un terrain dans le quartier de l’île et y bâtissent un monastère. Au milieu du XVIIe siècle, la communauté compte une cinquantaine de moniales, six « sœurs du dehors », ainsi que deux pères et un frère franciscains. Fermé lors de la Révolution française, le monastère ne s’est pas relevé par la suite.

Or, en ce XXIe siècle, Liège renoue avec son histoire clarisse, et curieusement, grâce à Julienne de Cornillon. En effet, depuis la deuxième moitié du XIXe siècle, l’endroit où cette belle figure féminine liégeoise avait dirigé un hôpital (à la porte orientale de la cité ardente) était occupé par un Carmel. Mais, faute de vocations, les filles de sainte Thérèse doivent plier bagages. Par ailleurs, en 1962, les clarisses d’Hannut (une petite ville proche de Liège) avaient fondé un monastère à Bujumbura au Burundi. En 2002, les conflits ethniques qui déchirent le pays obligent une partie de la communauté à trouver refuge en Belgique. Les sœurs s’installent d’abord non loin d’Hannut, dans un ancien presbytère, et depuis l’automne dernier, elles ont pris le relais des carmélites de Cornillon. En les accueillant, l’évêque de Liège, Mgr Delville, n’a pas manqué de faire le rapprochement entre sainte Julienne et sainte Claire : « Les deux femmes, contemporaines l’une de l’autre, ne se sont jamais rencontrées, mais elles se rejoignent dans leur amour pour l’Eucharistie et donc pour le Christ ». Grâce aux clarisses burundaises, Cornillon va pouvoir rester un haut-lieu de la vie spirituelle liégeoise. Les sœurs vont aussi continuer une activité pour laquelle les carmélites étaient devenues trop âgées : la fabrication de deux millions d’hosties par an !

Updated on 22 Février 2018
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