Sur les pentes du Janicule, avec François et Ignace
Sur la rive droite du Tibre, au-delà du Trastevere, la colline du Janicule accueille depuis les années 1470 un couvent de Franciscains toujours en activité aujourd’hui. Bien qu’un peu en dehors des circuits touristiques habituels, le lieu est réputé pour la vue qu’il offre de Rome, et pour le très élégant Tempietto construit par Bramante au cœur de l’un des cloîtres du couvent, à l’endroit supposé de la crucifixion de saint Pierre. Aujourd’hui, une partie du couvent abrite la Real Academia de España en Roma – l’équivalent espagnol de notre Villa Médicis. En 1541, Ignace de Loyola, à un moment crucial de son existence, a passé quelques jours dans ce couvent. Voyons en quelles circonstances.
Ignace à l’école de François
Ignace de Loyola (1491-1556) et ses premiers compagnons ont vécu dans une grande proximité spirituelle avec les fils de saint François, et la Compagnie de Jésus ne peut pas se comprendre sans cet enracinement franciscain. En cette fin du XVe siècle, le Pays Basque qui donne naissance à Íñigo López de Loyola vit dans une atmosphère religieuse marquée par l’Observance franciscaine. À quinze ans, Ignace devient page du trésorier général des rois de Castille, également fondateur d’un monastère de Clarisses. De même, la tante de saint François Xavier, représentée sur sa chasse à Goa, était l’abbesse des clarisses de Gandie. Au cours de sa conversion, Ignace lit des vies de saints, dont celle du Poverello, ce qui l’amène à se dire intérieurement : « saint Dominique a fait ceci, eh bien, moi, il faut que je le fasse. Saint François a fait cela, eh bien, moi il faut que je le fasse ». Par la suite, il retrouvera les Frères Mineurs à Jérusalem. L’idéal des premiers compagnons n’est pas sans lien avec la fraternité franciscaine primitive : vivre au plus près l’Évangile et prêcher dans la pauvreté.
Début 1541, le projet de « Compagnie de Jésus » prend forme. Ignace rédige les premières constitutions. Lors de la Semaine Sainte, les compagnons réunis à Rome élisent Ignace comme leur premier supérieur. Celui-ci se récuse et demande un deuxième scrutin… qui donne le même résultat. C’est alors qu’Ignace et son confesseur franciscain, Théodose de Lodi, s’enferment à San Pietro in Montorio, pour y faire retraite pendant le Triduum pascal. Ignace fait une confession générale mais résiste encore. Son confesseur est catégorique : « ne pas accepter reviendrait à résister à l’Esprit Saint ». Finalement, Ignace s’en remet totalement à frère Théodose et lui demande d’écrire aux compagnons, sous enveloppe cachetée, pour leur dire si Ignace doit ou non accepter cette charge. Le mardi de Pâques, les compagnons ouvrent l’enveloppe et, sans surprise, Ignace est désigné comme supérieur. Le 22 avril suivant, tout le groupe fait profession religieuse à Saint-Paul-hors-les-murs. La grande aventure de la Compagnie peut commencer. Mais l’histoire devrait retenir que c’est à un franciscain que l’on doit l’élection du premier « général » des Jésuites !
San Pietro in Montorio
L’origine franciscaine de San Pietro in Montorio remonte au bienheureux Amédée Menes da Silva (vers 1420 - Milan, 1482), un religieux d’origine espagnole fondateur d’un petit groupe de couvents, principalement dans le nord de l’Italie. La vie ascétique, les extases et les dons de thaumaturge du frère Amédée lui procurent une réputation de sainteté, si bien qu’en 1472, le pape franciscain Sixte IV l’appelle à Rome pour en faire son confesseur. Dans le même temps, il lui fait cadeau des ruines d’un petit monastère bénédictin établi sur le Janicule pour y construire un couvent. Celui-ci est financé par la monarchie espagnole, et San Pietro in Montorio gardera jusqu’à nos jours un lien très étroit avec l’Espagne.
L’église est consacrée le 9 juin 1500, tandis que les bâtiments conventuels sont construits en deux grandes étapes : vers 1510, le premier cloître avec le Tempietto, et au milieu du XVIe siècle, le deuxième cloître, celui « de l’Académie ». Sur les 51 lunettes de ces deux cloîtres (les lunettes sont les parties arrondies que dessinent les voûtes sur le mur), plusieurs peintres, dont Niccolò Circignani dit le Pomarancio, ont exécuté entre 1587 et 1590 un immense cycle de la vie de saint François, assez représentatif de la manière dont on conçoit le Poverello après le Concile de Trente. Une bonne partie de ces peintures est toujours in situ, celles qui ont disparu nous sont connues par des gravures. Les légendes inscrites à la base des lunettes ont probablement été composées par Christophe de Cheffontaines, ce frère breton qui fut ministre général entre 1571 et 1579, mais qui, soupçonné d’hérésie, a été contraint de passer les dernières années de sa vie à San Pietro in Montorio.
Un collège pour les missionnaires
En 1622, le pape Grégoire XV fonde la Congrégation de Propagande fide (pour la Propagation de la Foi, aujourd’hui Congrégation pour l’Évangélisation des peuples) afin de reprendre en main les missions et de leur donner un nouveau dynamisme. Selon le Père Joseph, le célèbre capucin, « l’éminence grise » de Richelieu, il s’agit de « la plus importante initiative du Saint-Siège depuis le pontificat de saint Pierre ». San Pietro in Montorio va participer de ce processus puisque dès 1622, le couvent est transformé en collège chargé d’initier les missionnaires franciscains aux langues orientales et notamment à l’arabe. Parmi les enseignants, figure le célèbre frère Thomas Obicini de Novarre (1585-1632). Ce religieux italien, affecté très jeune à la Custodie de Terre sainte (il est gardien du couvent d’Alep, et, en 1620, c’est lui qui permet aux frères de prendre le contrôle du sanctuaire de Nazareth), a consacré les dernières années de sa vie à enseigner l’arabe et à étudier des langues peu connues en Occident à l’époque, comme la langue copte. Il est aussi l’auteur d’un superbe Thesaurus arabico-syro-latinus, c’est-à-dire un dictionnaire trilingue arabe-syriaque-latin, publié à titre posthume en 1636.
Parmi les scènes peintes sur les lunettes du cloître de l’Académie, figure la rencontre entre François et le Sultan, mais on en trouve une autre, apocryphe et inspirée par les chroniques de Marc de Lisbonne, où l’on voit François baptiser le Sultan sur son lit de mort. De quoi donner à méditer aux futurs missionnaires qui arpentaient les galeries du cloître et aux touristes qui, espérons-le, reviendront prochainement à Rome.