Noël 1617 : mission volante en Poitou !
Lusignan, Noël 1617. En ces terres du « Moyen-Poitou » (actuel département des Deux-Sèvres), les protestants, largement majoritaires, ont le vent en poupe, sur tous les plans, social, économique et culturel. Les catholiques rasent les murs, avec des églises en ruine et un clergé découragé et peu formé. Face à cette situation, le père Joseph de Paris et ses frères capucins décident de frapper un grand coup pour éradiquer ce que l’on appelle alors l’hérésie et redonner leur fierté au petit reste des catholiques. Ils commencent par réaffirmer le cœur de la doctrine catholique, en exposant le Saint-Sacrement quarante heures d’affilée (on parle couramment alors de l’exercice des « quarante heures »), et en faisant converger vers Lusignan des processions venant de toutes les villes et campagnes environnantes. « Cela se fit dans une si grande solennité et un concours si étonnant, peut-on lire dans une chronique capucine, qu’on y venait de toutes parts en troupes et processions, le nombre de tous ceux qu’on y remarqua, hérétiques et catholiques montant à plus de 50 000 personnes, des villes, des bourgs et des villages voisins et éloignés, nonobstant la neige et le froid de la saison. La ville de Poitiers y vint processionnellement, 40 capucins y portant la croix élevée avec plus de 4 000 personnes. De Saint-Maixent ville aussi distante de 5 lieues de ce lieu y vinrent pareillement, de Niort éloigné de 9 lieues, de la ville de Parthenay, de Châtellerault encore plus éloigné, toutes ces processions ayant chacune trois à quatre mille personnes avec un capucin qui les conduisait, et il y eut une telle affluence de peuple, qu’il fallut faire les prédications quasi sur toutes les places et carrefours, mais avec une telle piété et dévotion que quantité d’hérétiques se convertirent à la foi, entre lesquels fut le pasteur de cette ville surnommé M. Metayé, faisant abjuration solennellement de l’hérésie avec toute sa famille ».
Pendant toutes les années qui suivent, les missionnaires capucins courent de ville en ville (Niort, Fontenay, Parthenay, Loudun, Saumur, Mirebeau, Luçon, les Sables d’Olonne, etc.), et organisent de grandes manifestations religieuses, à grand renfort de processions, de cierges, de chants, d’ornements chatoyants et de joutes verbales avec les pasteurs. Par cette pastorale de « temps forts », où le décorum est essentiel, il s’agit de créer un choc émotionnel aussi bien chez les protestants que chez les catholiques. Les Capucins cherchent également à rejoindre les gens au plus près de leur existence quotidienne : « Ces Pères étaient si zélés qu’au milieu de la campagne, ils s’en allaient à la charrue où ils apercevaient de pauvres laboureurs sous prétexte de demander leur chemin comme s’ils eussent été égarés (alors qu’ils ne l’étaient pas en réalité), et il s’employaient à les instruire dans la foi et les y convertir s’ils étaient hérétiques, ou les y affermir s’ils étaient déjà catholiques ».
Une initiative du père Joseph
En ces années 1610-1620, le capucin Joseph de Paris (1577-1638) poursuit plusieurs projets en même temps : il rêve d’organiser une croisade pour libérer les lieux saints, il aide
Antoinette d’Orléans à réformer des moniales qui deviendront les Bénédictines de Notre-Dame du Calvaire, et comme provincial de la province capucine de Touraine – laquelle couvre tout le Poitou –, il cherche un moyen de contrer le protestantisme. En 1614, il confie à un de ses frères son projet : « former un groupe de prédicateurs, pour prescher, catéchiser, disputer et confesser, par les villes et bourgs et vivre à l’Apostolique ». Autrement dit : une escouade de religieux fonctionnant ensemble, et non pas des individus isolés et donc fragilisés ; des capucins bien formés, notamment en hébreu et en grec, pour pouvoir affronter dans la controverse les pasteurs protestants, toujours très cultivés ; enfin des frères qui acceptent de vivre, non pas dans des couvents, mais à la manière des apôtres, c’est-à-dire une vie apostolique, itinérante, et fidèle à la règle de saint François. En 1616, Joseph se rend à Rome pour demander l’approbation de son projet, et il en revient avec l’autorisation en poche mais aussi avec des pouvoirs spéciaux accordés à ses missionnaires, comme par exemple « lire les livres défendus hérétiques et tous les autres prohibés pour les réfuter » ou encore « célébrer la messe sur un autel portatif et à découvert en la présence des hérétiques excommuniés, quand même ce soit sur un autel rompu ». En 1617, les six premiers capucins de la mission du Poitou sont nommés : Jean-Baptiste d’Avranches, Anselme d’Angers, Anastase de Nantes, Louis de Champigny, Eutrope de l’Isle Bouin et Hubert de Thouars. Avant d’entrer chez les capucins, Jean-Baptiste d’Avranches, brillant helléniste, travaillait à Rome au sein de la Bibliothèque vaticane. C’est dire le niveau du recrutement.
Une idée qui a fait école
Les six premiers ne suffisent pas à la tâche, et ils sont bientôt une trentaine de capucins à travailler à la mission. S’ils opèrent des conversions, ils redonnent surtout confiance en eux aux paysans catholiques. Très vite la Mission du Poitou va servir de modèle.
En 1621, Honoré de Champigny, provincial capucin de Paris écrit au père Joseph : « Il a été proposé en notre dernier chapitre d’ériger une mission, pour faire un autre bataillon par deçà, et comme un camp volant, tantôt en Normandie, tantôt en Picardie, et en sorte de courir de part et d’autre où l’ennemi [c’est-à-dire l’hérésie protestante] se trouverait, car il est ici le maître de la campagne. Je vous prie de me faire ce bien de m’envoyer copie de votre mission et de la bulle d’oraison des quarante heures, afin qu’en notre chapitre prochain, nous traitions de cette affaire ».
Au-delà même du monde capucin, le père Louis-Marie Grignion de Montfort et ses confrères vont s’inspirer des mêmes méthodes pastorales et vivre, eux aussi, « à l’apostolique ». C’est également vrai de tous les religieux affectés aux missions paroissiales, au XIXe comme au XXe siècle. Enfin, des initiatives comme la Mission de Paris de Mgr Suhard ou même la Fraternité missionnaire des prêtres pour la ville du cardinal Lustiger se situent elles aussi dans la filiation lointaine de la Mission du Poitou. Entre le capucin qui s’en va trouver le paysan à sa charrue et celui qui devient prêtre ouvrier à Nanterre dans les années 1950, c’est la même ardeur missionnaire, vécue à la franciscaine !