Le Japon : une épopée franciscaine
« Avec le temps, j’ai ressenti le désir d’aller comme missionnaire au Japon, où les Jésuites ont toujours fait un travail très important ». Ainsi se confiait le cardinal Jorge Maria Bergoglio à la revue El Jesuita en 2010. Le futur pape François n’a jamais pu réaliser son désir, mais il a souvent manifesté son intérêt pour l’Empire du soleil levant et pour son histoire chrétienne.
De cette dernière, le pape retient essentiellement (comment lui en vouloir ?) l’arrivée de saint François Xavier à Kagoshima (15 août 1549). Cet évènement marque le point de départ de la première évangélisation du Japon par les Jésuites, ainsi que la surprenante histoire des chrétiens cachés.
On sait en effet qu’en dépit de terribles persécutions et de la fermeture du pays au monde occidental pendant deux siècles, les missionnaires, à leur retour dans les années 1860, ont eu l’immense surprise de découvrir des fidèles ayant réussi, en l’absence de tout clergé, à se transmettre de génération en génération l’essentiel de la foi chrétienne.
26 condamnations à mort
Mais l’histoire du christianisme au Japon ne se résume pas aux Jésuites et aux chrétiens cachés. Le pape François, en se rendant à Nagasaki, viendra se recueillir auprès du monument dédié aux martyrs de 1597, dont la majorité portent une bure franciscaine.
Arrivés en 1593 des Philippines, des frères mineurs espagnols avaient réussi à établir des couvents et à construire une léproserie près de Nagasaki. Mais injustement soupçonnés de fomenter des plans d’invasion espagnole, ils sont arrêtés avec d’autres missionnaires.
Le tyran Hideyoshi prononce à leur encontre vingt-six condamnations à mort : Pierre Baptiste et cinq franciscains espagnols (dont Philippe de Jésus, né à Mexico de parents espagnols), trois jésuites japonais (dont Paul Miki), et enfin dix-sept tertiaires franciscains japonais, parmi lesquels deux jeunes garçons de onze et treize ans, Louis et Antoine.
Rassemblés à Kyoto, les condamnés parcourent un long chemin de croix de 800 km, en plein hiver. Le 5 février 1597, ils sont crucifiés face à la mer — face à l’occident — sur une colline dominant Nagasaki.
Trois siècles plus tard, l’histoire franciscaine du Japon va renaître de ses cendres de manière assez inattendue : un Français, Maurice Bertin (1870-1968), polytechnicien devenu enseigne de vaisseau, entre dans l’Ordre (1896), après que son navire a fait escale à Nagasaki, où il avait ressenti un appel aussi mystérieux qu’impérieux : restaurer l’ordre de saint François au Japon.
Après son ordination, il appartient à la cohorte de religieux expulsés (1903), et se retrouve au Québec, où il fonde le couvent de Trois-Rivières. En 1906, enfin, il part pour le Japon, à Sapporo, où il vient prêter main forte à des frères allemands venus de Thuringe. Il est bientôt rejoint par d’autres Canadiens.
En 1921, Rome confie aux franciscains venus du Québec un territoire bien à eux, la mission de Kagoshima, au sein du diocèse de Nagasaki. Mais le Japon, toujours méfiant à l’égard des étrangers, confie leur mission au clergé autochtone. Les frères se retirent autour d’Urawa (au nord de Tokyo), et fondent couvents et paroisses. Ils cherchent à former des franciscains japonais et à implanter une vie franciscaine féminine. En 1936, un commissariat provincial est érigé, puis en 1977 une province, qui compte alors 118 religieux japonais et 108 étrangers.
Les Frères Mineurs Conventuels ont écrit eux aussi une belle page de cette nouvelle évangélisation du Japon, grâce à saint Maximilien Kolbe. Celui-ci, dès son séjour à Rome, rêvait de partir comme missionnaire en Asie. En 1917, avec quelques autres frères, il fonde un mouvement marial de prière et d’action missionnaire, la Milice de l’Immaculée.
Retourné en Pologne, il y développe le mouvement, grâce à une revue et à la « cité de l’Immaculée », mais l’appel de la mission reste fort en lui. En 1930, après un passage par Lourdes et Lisieux, il part pour le Japon où il se dépensera sans compter jusqu’en 1936. Le 24 avril 1930, avec quatre frères polonais, il débarque à Nagasaki.
Génie de la mission
Un mois plus tard, paraît le premier numéro du Seibo no kishi (le Chevalier de l’Immaculée en japonais), dont le tirage dépasse encore les 40 000 exemplaires dans les années 1980.
Au Japon, Maximilien Kolbe développe un véritable génie de la mission, de l’organisation et de l’inculturation. La petite « cité de l’Immaculée » qu’il aménage au pied du mont Hikosan (Mugenzaï no Sono, le jardin de l’Immaculée) montre qu’il a parfaitement compris l’essence contemplative de l’âme japonaise. Quant aux bureaux et à l’imprimerie de la revue, ils sont situés tout près du réseau ferroviaire, afin de permettre une diffusion très rapide dans tout le pays.
L’un des compagnons de Maximilien Kolbe, le frère Zenon Zebrowski († 1982), va donner toute la mesure de son zèle apostolique après les bombardements atomiques de 1945. Il est l’abbé Pierre et mère Teresa réunis. Il fonde des orphelinats et un village de chiffonniers près de Tokyo, la « cité des fourmis ».
Sous son influence, une jeune chrétienne d’un milieu aisé, Élisabeth Marie Satoko Kitahara (1929-1958), s’inscrit à la Milice de l’Immaculée, donne sa courte vie aux plus pauvres et meurt de la tuberculose dans une grande réputation de sainteté.
Dans les années 1980, le père Strappazzon a pu encore rencontrer des frères qui avaient fait profession entre les mains du père Kolbe. Petit-fils de bonze, frère François-Xavier Imaoka, alors âgé de 82 ans, se souvenait : « Il était calme, il parlait d’une voix basse et tranquille ; il agissait avec douceur et patience. La formation qu’il nous donnait était silencieuse, fondée plus sur le témoignage qui entraîne que sur l’abondance des paroles ».
Aujourd’hui, ces témoins ont disparu, et, tous les observateurs le constatent, le catholicisme semble marquer le pas, sinon régresser au Japon. Pourtant les frères — Franciscains, Conventuels et même Capucins —, sont toujours présents, même s’ils sont moins nombreux (les Franciscains sont un peu plus d’une centaine aujourd’hui, et on compte une quinzaine de couvents de Conventuels).
En 2015, l’héroïcité des vertus d’Élisabeth Marie Satoko Kitahara a été reconnue, et les frères conventuels envisagent de transporter ses restes mortels dans une église franciscaine au Japon. Peut-être que seuls des saints sont à même de sortir le Japon de la torpeur mortifère où il semble parfois se complaire.