Des cartables chez les frères !

Franciscain rime avec fraternité, pauvreté, minorité... et pourquoi pas avec enseignement, collège, instruction ? Aujourd’hui, en France, les Frères Mineurs n’ont la tutelle d’aucun établissement scolaire, mais il n’en fut pas ainsi dans le passé.
15 Septembre 2021 | par

François d’Assise n’a pas fondé un ordre enseignant. Les frères, qui alternent entre la vie de solitude en ermitage et la prédication au cœur de la ville bruyante, n’ont pas vocation à ouvrir des écoles ou des universités. Pourtant, assez vite, et du vivant même de François, l’ordre prend un « tournant pastoral ». Pour le dire schématiquement : les impératifs ecclésiaux (notamment la nécessité de confesser les fidèles) prennent le pas sur le charisme franciscain. Lors des fêtes de Pâques de 1224, à Saint-Denis, Frère Aymon ne quitte pas son église pendant trois jours « pour entendre les confessions et réconforter grandement le peuple ». Mais ce « tournant pastoral » peut être entendu dans un sens beaucoup plus large. Au cours de l’histoire, les fils de saint François ont accompli des tâches extrêmement diverses, tout simplement parce qu’il y avait une urgence et personne pour y faire face. Pensons aux capucins (et capucines) pompiers. C’est dans ce contexte que des frères mineurs, à l’occasion, vont se vouer à l’enseignement.

Sous l’Ancien Régime, il n’existe pas de ministère de l’Éducation nationale. Ce sont les municipalités qui gèrent les écoles. Au fur et à mesure que progresse l’alphabétisation des populations, l’encadrement scolaire tend à se développer. Depuis le curé dans son village, jusqu’aux Jésuites, en passant par les frères des écoles chrétiennes et les sœurs de la Congrégation Notre-Dame, l’Église fournit alors un très bel effort dans le domaine éducatif. Parfois néanmoins, ce quadrillage d’établissements scolaires présente un vide ou un maillon faible. C’est alors que l’on fait appel aux Frères Mineurs.

 

Le collège de Tourcoing
Dans la deuxième moitié du XVIIe siècle, Tourcoing, qui est déjà une ville industrielle textile, connaît un fort développement démographique et compte 12 000 habitants. En 1666, la municipalité autorise les récollets de la province Saint-André (c’est-à-dire des franciscains réformés) à s’y implanter, aux conditions suivantes : « les pères s’engagent à enseigner la langue latine jusqu’à la classe de rhétorique [l’équivalent de notre terminale] inclusivement, à le faire aussitôt que les Magistrats leur auront trouvé une place convenable et aussi longtemps qu’il plaira au seigneur et aux habitants de Tourcoing ». Le contrat stipule également « qu’en cas d’épidémie, les religieux seront obligés d’aller à la peste et d’exposer leur vie pour le bien public ». Enfin les récollets sont tenus d’accompagner le clergé local lors des processions solennelles. Un couvent est construit, et le collège, placé sous le patronage de saint Bonaventure (l’intellectuel franciscain par excellence), va fonctionner jusqu’à la Révolution.

L’enseignement, gratuit, y est délivré par trois récollets, dont un « préfet des études » qui est en même temps gardien du couvent. Les classes vont en principe de la sixième à la terminale, mais seules les années correspondant à notre actuel collège (jusqu’à la troisième) sont ouvertes en permanence. Les matières enseignées comprennent « les principes de la langue latine », le catéchisme, la géographie, l’histoire « ancienne et moderne », ainsi que des rudiments de mathématiques. Les cours durent deux heures et demie le matin, « compris la messe, sous la surveillance d’un régent », et deux heures l’après-midi – ce qui semble plus raisonnable que les horaires d’aujourd’hui ! Comme dans les autres établissements de l’époque, le projet éducatif du collège Saint-Bonaventure fait une large place à l’émulation. Chaque année, des prix sont décernés aux meilleurs élèves lors d’une cérémonie présidée par la municipalité, et le palmarès nous est connu à partir de 1725.

En 1789, le collège compte soixante élèves, et son recrutement est presque uniquement local. Répondant à un questionnaire du directoire du département, le maire de Tourcoing reconnaît sa grande utilité, et affirme qu’il en est sorti « beaucoup de grands sujets ». Le 19 août 1790, les pères Masquelier et Malarmé remettent comme de coutume les prix offerts par la ville, et ils peuvent encore assurer les cours de l’année scolaire suivante. Le 25 mai 1791, en dépit d’un fort soutien populaire, les deux religieux sont invités à quitter les lieux. L’enseignement s’interrompt à Saint-Bonaventure, comme partout ailleurs. Il reprend dès 1795 dans les écoles primaires, mais il faut attendre le Concordat et plus précisément 1802 pour que d’anciens récollets (dont Louis Masquelier) puissent rouvrir dans les bâtiments du couvent un collège secondaire. Il n’est d’ailleurs pas impossible qu’au cours des années précédentes l’enseignement se soit poursuivi clandestinement.

Au XIXe siècle, le collège traverse de nombreuses crises et change à plusieurs reprises de nom et d’emplacement. Mais il a survécu à tout : c’est aujourd’hui la dynamique Institution du Sacré-Cœur, qui a fêté en 2016 le 350e anniversaire de sa fondation.

 

En Amérique latine aussi
En France, on connaît quelques autres initiatives comparables à celle de Tourcoing. Ainsi, à Condé-en-Brie (au sud de l’Aisne), un petit collège, fondé au XVIe siècle, est confié en 1659 à des tertiaires réguliers franciscains appelés « Picpus ». Ces religieux ont pour mission « d’enseigner gratuitement aux enfants de la paroisse les lettres latines et grecques, et de les rendre rhétoriciens parfaitement congrus ». Mais c’est surtout en terres missionnaires que des frères sont amenés à ouvrir des écoles. Encore aujourd’hui, en Amérique latine, l’éducation constitue un secteur important de la mission des Frères Mineurs. Ainsi, la province franciscaine de Bolivie – la provincia Misionera San Antonio en Bolivia – compte aujourd’hui six établissements scolaires au sein desquels les frères déclarent vouloir « former de bons chrétiens et de bons citoyens selon le charisme de saint François d’Assise ». Parmi ces établissements, le Colegio Particular Franciscano, fondé en 1909 à Potosí, a eu comme premier directeur le frère Apollinaire Simoni († 1913), franciscain corse, arrivé comme missionnaire en 1879. Le Colegio Particular de Potosí, véritable institution de la cité minière, continue de jouer un très grand rôle dans la formation de la jeunesse masculine et féminine, puisqu’il est désormais mixte. Sa fête patronale, le jour de la Saint-Antoine, donne lieu à de grandes réjouissances. Sa charte insiste sur la formation « intégrale » donnée aux jeunes, par le biais d’une « proposition pédagogique humaniste, chrétienne et franciscaine ». 

Updated on 15 Septembre 2021
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