Les facettes du silence
« Il n’y en a pas assez ! », s’exclame Marie-Thérèse, mère de famille et grand-mère, lorsqu’on lui demande ce qu’elle pense du silence. « On a peu l’occasion d’en avoir », se désole-t-elle au milieu d’un quotidien très chargé, entre les devoirs familiaux, les engagements en paroisse, les bénévolats…
Pour Jérôme, père de quatre enfants de 8 à 17 ans, le silence est une « valeur éducative » incontournable. « Chez nous, confie cet infirmier de profession, en nous inspirant de la pédagogie scoute, on demande aux enfants de respecter le “silence de la nuit”. Même pour ceux qui ne dorment pas, la règle est d’observer le silence par respect pour les autres. La première des nécessités est celle du respect du sommeil, mais le silence permet de respecter aussi l’intériorité, la prière de l’autre… ou la fatigue des parents ». « C’est aux parents de cadrer. Pas plus tard qu’hier, narre encore Jérôme, il y avait une telle excitation qu’on a demandé un silence complet avant de passer à table. Ricanements, blagues, cela peut prendre 5 minutes pour retrouver le calme, mais ce n’est pas grave ».
Si c’est aux parents de l’imposer en quelque sorte aux enfants, « au final ils se rendent compte que quand on est toujours dans le bruit, la rigolade, les cris, c’est épuisant ».
Le silence pour retrouver l’essentiel
Le silence est aussi nécessaire et constitutif de la vie de foi : « Le silence est propice à ce que Dieu parle à l’âme ; nous sommes intimement convaincus que Dieu ne se révèle que dans le silence », insiste Jérôme. Apprendre le silence, c’est aussi apprendre que « les paroles comptent ». « Le silence doit être brisé pour une bonne raison, on ne parle pas juste pour meubler le silence, notre parole doit être pesée, mesurée. Cela apprend à accepter que je peux ne rien avoir d’intéressant à dire à l’instant T – et ce n’est pas grave. Le silence n’est pas gênant, il n’est pas une absence de quelque chose, au contraire il existe en soi dans la nature et il doit être respecté comme n’importe quel autre élément de la Création ».
Etty Hillesum constatait d’ailleurs dans son journal intime : « Tout autour, un flux de paroles qui vous épuisent parce qu’elles n’expriment rien. Il faut être toujours économe de paroles signifiantes. Le silence doit nourrir de nouvelles possibilités d’expression ».
Les victimes du silence
En revanche, pour l’écrivain italienne Natalia Ginzburg (1916 – 1991, cf. photo en p.36), le silence peut être aussi « une maladie mortelle » qui « fait chaque jour des victimes ». Celle qui s’est engagée avec son mari dans la lutte antifasciste, estime que le silence « peut atteindre une forme fermée, monstrueuse, diabolique de malheur : flétrir les jours de la jeunesse, rendre le pain amer ».
Bien sûr qu’il existe des silences « mortifères », abonde Jérôme. « Le silence est délétère quand il cache quelque chose de mauvais : la faute pas admise de celui qui a fait une sottise et ne veut pas l’avouer, ou l’emmurement qui laisse s’installer une spirale destructrice ». Et au niveau sociétal et politique, le silence est tout aussi coupable lorsqu’il dissimule « des exactions » ou encore « des abus ». Ce silence fait mal mais il n’est pas éternel, avertit Jérôme : « Nous disons toujours à nos enfants que cela finit par se savoir un jour – et il peut être trop tard. On finira forcément par savoir qui, comment, et pourquoi… le dicton “Faute avouée est à moitié pardonnée” a une certaine sagesse. Bien sûr qu’il faudra une réparation mais on est toujours beaucoup moins sévère et plus compréhensif avec quelqu’un qui reconnaît son erreur ».
Mettre des mots sur les choses
Le silence peut cacher « une souffrance, la peur d’être rejeté, incompris », souligne encore le père de famille. Dans ce cas, quelle attitude avoir pour l’éducateur ? « On peut aider à parler, à condition qu’il y ait une relation et un dialogue avec l’enfant, déjà mis en œuvre dans la vie quotidienne. Si on les laisse s’enferrer dans leur portable, ce sera moins simple d’aller chercher la discussion quand il y a un problème. Il s’agit de solliciter régulièrement son avis même dans les choses anodines : que veux-tu manger demain, où souhaites-tu aller en vacances, etc. ».
Pour Jérôme, une bonne façon de rompre un silence malsain, est de poser des questions claires pour essayer de libérer la parole de l’enfant ou de l’adolescent : Es-tu harcelée ? Est-ce qu’on se moque de ton physique ?... « Si on met des mots, les enfants comprennent que les parents ont compris, qu’ils ne sont pas paranos ». « Il ne s’agit pas de faire du racolage, précise-t-il. Les choses ont un nom. Aujourd’hui on n’ose plus nommer les choses, mais on ne règle pas les problèmes de société en appelant un chat un chien ».