Le peuple d’Antoine
Dès la mort de saint Antoine, de nombreuses personnes se rendent sur sa tombe pour honorer sa mémoire et lui demander des grâces. L’Assidua, la première biographie du saint, parle ainsi de lui : « Et de fait, l’Orient et l’Occident, le Midi et le Nord firent accourir leurs habitants en ordre de procession, et tous ces gens, voyant les merveilles s’accomplir sous leurs yeux par les mérites du bienheureux Antoine, exaltaient sa sainteté comme il convient ». La biographie atteste de la participation de nombreux groupes : les citoyens de Capo di Ponte (qui s’étaient d’abord disputé le corps du saint), de nombreux religieux (de la ville et des alentours) et l’ensemble des citoyens, « en chœurs ordonnés de louange » ; même l’évêque de Padoue et le podestat sont là, pieds nus comme tout le monde. « De même la foule des étudiants de l’Université, si nombreux à Padoue ». Chaque groupe porte un énorme cierge, qu’il fallait souvent couper pour entrer dans l’église Santa Maria Mater Domini, qui était alors petite. Pour tous, le pèlerinage au tombeau du Saint est une occasion de conversion : « Ils étaient alors pris par l’espérance de la grâce désirée, ils confessaient aux frères leurs péchés […] Ceux-là pourtant qui gardaient cachées leurs fautes, selon ce qui est écrit, même en venant chercher le salut ne réussissaient pas à avancer sur la voie de la guérison. Mais quand ils étaient confessés et avaient par bonheur abandonné leur malice, alors tout d’un coup, à la vue de tout le monde, ils obtenaient leur grâce. »
Après que saint Antoine fut déclaré protecteur spécial de la ville de Padoue en 1256, sa fête a été célébrée de manière plus solennelle. Cette même année, il fut établi que le 12 juin, la veille de la fête, les confréries et les associations d’art et d’artisanat devaient se rendre au sanctuaire et y déposer une offrande de cierges et de candélabres, et qu’une semaine plus tard, le 20 juin, le clergé de la ville, le podestat et toute la seigneurie devaient se rendre en procession dans l’église pour assister à la messe présidée par l’évêque.
L’ordre de la procession
Les archives contiennent divers documents concernant l’ordre de la procession (dont certains datent de 1461) et d’autres qui témoignent de querelles sur diverses questions. Par exemple, en 1579, un acte du Chapitre du couvent Saint-Antoine demande aux « gentilshommes députés de la ville » que la procession ait lieu après les vêpres et non comme le voudraient certains docteurs en droit canon, qui, pour ne pas être précédés par les moines dans la procession, ont obtenu de l’illustre et souverain évêque de la ville et d’autres, que la procession ait lieu le matin. L’accompagnement musical était toujours présent : de nombreuses annotations attestent de paiements en faveur de chanteurs ou de musiciens qui accompagnaient la procession avec des trompettes, des flûtes, des tambours, des harpes, des luths, des violons et des orgues. Parmi les frais, apparaissaient également celui des enfants qui accompagnaient de leurs chants les reliques de saint Antoine, transportées sur des charrettes.
Mais comment la procession se déroulait-elle ? Un témoignage nous est donné par le texte Le religiose memorie (Les mémoires religieuses, ndlr) écrit en 1590 par Valerio Polidoro, un frère mineur conventuel. Dans le chapitre Della solennissima processione, che si fa nella festa del Santo (De la très solennelle procession qui a lieu lors de la fête du Saint), il raconte l’évènement grandiose pendant lequel les reliques de saint Antoine et une grande partie de l’argenterie de la Basilique étaient transportées sur 37 charrettes « préparées pour cet usage ». La procession était ouverte par les orphelins, suivis par divers groupes : celui des marchands, les notaires, les légistes, ainsi que des représentants des Frères Mineurs de l’Observance, des Capucins (ces derniers étant proches de la relique du menton) et des Conventuels, parmi lesquels en particulier les frères de la basilique Saint-Antoine. Un fait intéressant rapporté par Polidoro est la présence des pères Jésuates (un ordre mendiant de l’époque) qui accompagnaient le chariot avec la relique de la langue, la plus importante et la plus vénérée. Le cortège était clôturé par les présidents de la Veneranda Arca, suivis par les membres du gouvernement de la ville (Podestat, Capitaine, Députés), la noblesse padouane et toute la population.
D’autres documents donnent une description différente, mais les points communs sont nombreux. Par exemple, une feuille de papier datant de la fin du XVIe siècle rapporte que le premier chariot de la procession porte une statue en argent de saint François et le dernier une statue en argent de saint Antoine.
Mais la procession ne se déroule pas toujours selon l’ordre prévu. En 1665, une annotation rapporte que pendant la procession, il y avait eu des émeutes, pendant ou à cause desquelles des reliques étaient tombées et de l’argenterie ou des reliquaires avaient été endommagés. C’est pourquoi, en 1673, il fut décidé de ne plus porter la relique de la langue en procession, mais de la garder exposée dans la sacristie pendant toute la durée de la fête. À sa place, c’est la relique de l’os du bras de saint Antoine qui est portée en procession.
Dans un document de 1713, on se plaint du fait que « beaucoup de saintes reliques sont portées dans de petites charrettes mal arrangées et peu décentes, avec un désordre manifeste qui diminue la dévotion des fidèles, et très souvent il arrive dans la procession que les reliquaires eux-mêmes soient brisés ». C’est pourquoi il est ordonné que les charrettes soient ajustées, ornées d’argenterie et renouvelées pour éviter qu’elles ne se brisent et pour favoriser « la magnificence, le décorum et la dévotion ».
Ces dernières années, la procession s’est déroulée avec la participation des confréries et des associations présentes dans la Basilique. Au cours de la procession, la relique du menton est portée par la confrérie de la Milice des bouchers de l’Immaculée et la relique du doigt dans le reliquaire entre les mains du Ministre provincial qui préside la messe et la procession. L’attention de tous se porte surtout sur la statue en bois du Saint, œuvre du siècle dernier, à laquelle les fidèles sont très attachés.