Paris 1874. Inventer l’impressionnisme
Pour célébrer le 150e anniversaire de la naissance de l’impressionnisme, le musée d’Orsay consacre une exposition à l’exposition fondatrice du célèbre mouvement. L’idée n’est pas de reconstituer à l’identique l’accrochage de 1874 mais plutôt d’essayer de comprendre l’effet que fit l’évènement à l’époque. Si l’histoire a retenu les noms de Monet, Renoir, Degas, Morisot, Pissarro, Cézanne et Sisley, 31 artistes y ont participé. Ils sont d’âge et d’horizons divers : près de 40 ans séparent le doyen Adolphe-Félix Cals du cadet Léon-Paul Robert, et le milieu social de Morisot est très éloigné de celui de l’anarchiste Pissarro et des communards Ottin et Meyer. Mais ils ont en commun de partager une même volonté d’exposer librement et de vendre leur travail, et de s’émanciper ainsi du Salon. Leur exposition organisée en dehors des circuits officiels et du marché était un choix courageux et osé. Le succès fut, de fait, très mitigé : seules quelques toiles vendues et 3 500 visiteurs comptabilisés.
Exposition manifeste À posteriori
L’exposition est organisée dans l’ancien atelier du photographe Nadar boulevard des Capucines, un lieu qui symbolise la modernité. L’espace est sur deux niveaux desservis par un ascenseur. Il bénéficie en journée de la lumière naturelle et en nocturne d’un éclairage au gaz. Le quartier, secteur des théâtres et des affaires, bien placé pour attirer les professionnels des alentours, est en plein renouvellement. L’exposition s’ouvre deux semaines avant le Salon. Environ 200 œuvres sont exposées. La première salle fait la part belle à Renoir, Monet et Degas avec d’éblouissants instantanés de la vie moderne dont le fameux Impression, soleil levant de Monet. Croyant faire un bon mot, Louis Leroy, journaliste du quotidien Charivari, se dit « impressionné » par ces « impressionnistes » ironisant sur cette nouvelle peinture. Le nom était lancé mais il ne s’est pas imposé immédiatement : il lui faudra attendre le début du XXe siècle et l’écriture à posteriori de l’histoire du mouvement.
Le choix de la modernité
L’exposition consacre également un espace au Salon officiel pour situer le contexte. Le souvenir de la guerre franco-allemande de 1870 et de l’insurrection révolutionnaire de la Commune, l’année suivante, reste très vif. Il a inspiré un bon nombre des œuvres retenues par le jury. Le romancier et critique d’art Émile Zola observe que les œuvres qui passionnent le public sont « les scènes tragiques de la dernière guerre ». Les exposants du boulevard des Capucines ont été boudés par le public et éreintés par la critique. Pourtant ceux dont les noms ont été retenus par la postérité avaient bel et bien engagé dès 1874 la peinture dans une autre voie, celle de la liberté, dans la manière, dans la touche, mais aussi dans le choix de leur sujet. Ils représentent le monde en proie à l’accélération du temps et en perpétuel mouvement. Mais qui, à l’époque, pouvait penser que se jouait là un tournant majeur de l’histoire de l’art ? Il est toujours étonnant de voir que des œuvres aujourd’hui si prisées aient pu alors paraître aussi déroutantes.