Théodore Rousseau. La voix de la forêt
Les autres artistes font le voyage en Italie pour se former à l’art de l’Antiquité et se confronter aux maîtres de la Renaissance, mais Théodore Rousseau préfère sillonner la France. À l’époque de sa formation, déjà, il veut peindre la nature pour elle-même et non comme décor pour des scènes mythologiques. Entre 1830 et 1837, de Fontainebleau au Mont Blanc, en passant par la Normandie, les Landes et l’Auvergne, le peintre étudie les arbres, les rochers, les sous-bois, les marais. Il travaille d’abord en plein air, au plus près du motif, puis il retouche longtemps ses œuvres dans l’atelier. Sa technique, expérimentale, contraste avec celle des autres artistes de son temps. Il n’hésite pas à mélanger l’aquarelle, la gouache et le pastel, réalise ses ébauches au fusain puis peint par-dessus et efface ainsi la frontière entre esquisse et tableau. Ses œuvres sont systématiquement refusées aux Salons. Découragé, il finit par ne plus rien envoyer. Paradoxalement, ce rejet qui lui vaut le surnom de « grand refusé » lui permet d’acquérir une notoriété et un véritable succès critique et commercial en France comme à l’étranger.
Barbizon, le village des artistes
Lorsque Rousseau s’installe à Barbizon en 1847, le hameau ne compte qu’une seule rue. Derrière les maisons, la plaine s’étend à perte de vue, ponctuée de quelques bosquets. À l’est, s’étale la spectaculaire forêt de Fontainebleau. Depuis le début du siècle, celle-ci attire des dizaines de peintres, qui logent à l’auberge du Père Ganne. L’ouverture de la ligne de chemin de fer Paris-Melun favorise l’essor de ce que l’on nommera bientôt la « colonie » des peintres de Barbizon, à défaut d’être une véritable école. Une communauté se forme autour de Rousseau : les peintres Narcisse Diaz de la Peña, Karl Bodmer, Jean-François Millet, Charles Jacque et les photographes Eugène Cuvelier et Gustave Le Gray.
Le défenseur de la forêt
Théodore Rousseau arpente la forêt en solitaire du matin jusqu’au soir. Ses œuvres y sont toujours précisément situées, et le spectateur peut le suivre dans ses promenades au fil des saisons, du pavé de Chailly à la Gorge aux Loups, en passant par le plateau de Bellecroix, les sous-bois du Bas-Bréau, les déserts de Macherin et d’Apremont, les rochers de Franchard ou encore la Mare aux Fées.
Sa grande ambition est de peindre « la manifestation de la vie ». La forêt de Fontainebleau compte de nombreux « arbres remarquables », chênes et hêtres grandioses et séculaires. L’artiste observe l’entrecroisement de leurs branches, scrute leur musculature, leurs nœuds. Il les portraitise, littéralement.
Le parcours s’achève avec Le Massacre des innocents, une huile qui dénonce les coupes massives d’arbres, remplacés par des pins. Saccagée par les bûcherons, les randonneurs, les touristes et les besoins de l’industrie, la forêt trouve en Rousseau un défenseur. Il écrit au ministre de l’Intérieur, le duc de Morny, au nom de tous les artistes qui peignent la forêt. Grâce à cet appel passionné naît, en 1853, la toute première réserve naturelle au monde sous le nom de « réserve artistique ».