Les religieuses, actrices de paix
« Bien sûr que nous avons entendu des confessions ! » Les yeux pétillants, la religieuse qui vient de prononcer cette phrase s’amuse de la réaction suscitée dans son auditoire. D’autant que le cadre est on ne peut plus formel : nous sommes dans la très austère salle de presse du Vatican. Après quelques instants de pause, elle poursuit : « Mais nous n’avons pas donné l’absolution ».
La confidence est signée de Sœur Alba Teresa Cediel Castillo, une religieuse missionnaire auprès de peuples indigènes en Colombie, en pleine Amazonie. Alors, pourquoi entendre ces confessions si celles-ci ne sont pas suivies par une absolution ? Tout simplement, explique la religieuse car « nous sommes présentes en tous lieux ». Comprendre : dans de tels endroits isolés et où un prêtre ne passe parfois qu’une fois par an si ce n’est moins, il est bien fréquent que des religieuses soient présentes.
Au-delà de son caractère bien particulier – tout le monde ne vit pas dans la forêt amazonienne – l’histoire témoigne d’une réalité bien concrète : les religieuses sont parfois la seule présence d’une Église « institutionnelle » au sein de la population. Cela est vrai en Amérique du Sud, mais aussi en Europe : on voit souvent dans nos régions quelques religieuses, témoins vivants d’une vieille et déclinante présence chrétienne. Les statistiques le prouvent d’ailleurs, puisqu’il y a presque 50 % de plus de religieuses que de prêtres (diocésains et religieux) à l’échelle mondiale.
Cette réalité est bien sûr particulièrement visible pour les religieuses de congrégations apostoliques, c’est-à-dire ne vivant pas cloîtrées. En effet, leur action, bien loin du ministère sacerdotal, peut se déployer au plus près de la vie des autres, dans une présence parfois discrète mais toujours agissante. Sœur Emmanuelle et sainte Mère Teresa de Calcutta en sont probablement les exemples les plus connus mais elles sont loin d’en être les seules. Aujourd’hui encore, nombreuses sont les religieuses qui s’investissent au service de l’humanité souffrante, par des vies « consacrées à l’eucharistie par le contact avec le Christ, caché sous les espèces du pain et du corps souffrant des pauvres », selon les mots de Mère Teresa.
« Dieu le Père agit »
Il en est ainsi de Sœur Alba Teresa, lorsqu’elle entend des confessions en pleine Amazonie. Elle explique : « avec l’humilité avec laquelle cet homme ou cette femme se sont rapprochés de nous dans des situations de maladie, déjà proches de la mort, nous croyons que Dieu le Père agit ». En d’autres termes, entendre ces confidences est une mission de paix, pour le pénitent avec lui-même et avec Dieu.
Et ce ministère n’est bien sûr pas la seule action pour la paix et la défense des plus pauvres des religieuses vivant dans l’immense forêt. L’exemple le plus frappant est celui d’une religieuse des Sœurs de Notre-Dame de Namur, Sœur Dorothy Stang. « Nous ne pouvons pas parler des pauvres : nous devons être pauvres avec les pauvres », disait cette religieuse américaine. Arrivée en Amazonie brésilienne au milieu des années 1960, elle s’engage pour la justice sociale, en faveur de communautés les plus démunies, affaiblies par la déforestation et l’accaparement des terres. Menacée pour son action, elle déclarait : « Je ne veux pas fuir, ni abandonner la bataille de ces agriculteurs (…) : ils ont le droit sacro-saint d’aspirer à une vie meilleure sur une terre où ils pourront vivre et travailler dignement tout en respectant l’environnement. » La violence finit par rattraper Sœur Dorothy Stang : alors qu’elle s’oppose à une exploitation illégale de bois, elle est assassinée en 2005 par deux hommes, agissant très certainement sous les ordres d’éleveurs de bétail.
Toujours au service de la paix par la mission auprès de l’humanité souffrante, se trouvent aussi les témoignages de religieuses se consacrant aux malades. Par son action déterminée, la religieuse togolaise Sœur Marie Stella a ainsi grandement contribué à améliorer la condition des enfants atteints du Sida auprès desquels elle œuvre. Et pas seulement en parvenant à recueillir des fonds permettant des traitements et une amélioration des conditions de vie, mais aussi en respectant la dignité de ces enfants. « Il y avait une vraie stigmatisation, des enfants étaient dépistés et chassés par leur famille ou abandonnés », se souvient-elle. « Je me disais qu’en tout malade, en tout enfant abandonné, je rencontrais Dieu lui-même qui est en souffrance. »
Martyres de la charité
Sur le même continent, les témoignages ne manquent pas de religieuses ayant tout donné pour vivre auprès de malades, et ce jusqu’à leur vie, comme ces religieuses mortes après avoir contracté le virus Ebola en assistant des victimes de cette maladie. En 2021, le pape François a décrété la mort en « martyres de la charité » de six religieuses italiennes, décédées en 1995 en République démocratique du Congo après avoir contracté le terrible virus.
« Leur plus grande compétence était leur capacité à transformer un hôpital en un lieu d’espérance et de bien pour les gens et pour les pauvres », saluait en 2014 l’évêque du diocèse où leur cause en béatification a été conduite.
Et ces exemples ne doivent pas faire oublier l’action priante des religieuses de vie contemplative. Ainsi, la constitution des Carmélites affirme que « les religieuses, embrassant cieux et terre dans le Christ et solidaires de la mission universelle de l’Église, présenteront au Père dans leur prière, les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses des hommes de ce temps, des pauvres surtout et de ceux qui souffrent ». À l’image de sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus, qui – certes quelques semaines avant d’entrer au Carmel – priait pour la conversion du criminel condamné à mort Henri Pranzini afin de « l’empêcher de tomber en enfer ». Et donc d’être en paix avec Dieu à l’heure de sa mort.