Noël, fête de réconciliation
La scène historique est bien connue. En 1914, alors que la Première Guerre mondiale a déjà connu des massacres atroces, des combattants de part et d’autre des tranchées se sont retrouvés le jour de Noël pour un moment de trêve. Là, une partie de football a opposé Britanniques et Allemands, ici un ténor a chanté des chants de Noël sous les applaudissements des hommes des deux côtés. Le temps de Noël, la fraternité avait pris le dessus sur la haine. C’est cette histoire que raconte notamment le film Joyeux Noël, sorti en 2005 (cf. Messager de décembre 2020), et que la statue qui se trouve à Liverpool et que vous voyez sur la photo ci-dessus commémore.
Plus proche de nous, le pape François avait appelé à imiter l’exemple des combattants de la Grande Guerre, en demandant de « faire taire les armes » dans le conflit « insensé » en Ukraine, pour Noël 2022. « Ce sujet n’est pas à l’ordre du jour », avaient sèchement répliqué les responsables russes, alors que les voix plaidant en ce sens se faisaient entendre avec plus d’insistance à l’approche de la fête de la naissance du Christ.
Comme sur la scène internationale, la venue du « Prince de la Paix » et la période de préparation qui précèdent peuvent être l’occasion de s’interroger sur une trêve, voire un dépassement des conflits, y compris dans nos propres vies personnelles et familiales. L’Église recommande d’ailleurs que ce temps soit mis à profit pour une réconciliation avec Dieu, à travers le sacrement du même nom. « Alors que Noël se fait proche, je vous invite, en recevant le sacrement de réconciliation, à préparer votre cœur pour recevoir le Seigneur dans votre vie », exhortait ainsi le pape François à quelques jours de Noël 2015. « À Noël, Dieu vient frapper à ma porte, explique de son côté le diocèse de Paris. C’est là qu’il veut venir pour fêter Noël avec moi. »
Gestes de réconciliation
Mais la question de la réconciliation avec d’autres personnes peut aussi se poser. Noël, et les festivités qui l’accompagnent, peuvent nécessiter de se forcer à s’interroger sur certaines relations blessées, en particulier avec des membres de la famille ou d’anciens proches. « Noël, c’est, dans la personne même de Jésus, la paix de Dieu qui descend sur notre terre, écrit Mgr Thierry Scherrer, évêque de Laval (Mayenne). C’est donc un temps pour oser en famille des gestes de réconciliation. Un temps où le pardon peut faire refleurir le désert de nos vies. »
Le cas de parents séparés – qu’ils soient divorcés ou non, que leur éventuel mariage religieux ait été reconnu comme nul ou non – est par exemple éloquent. « Mon ex-mari veut que l’on fête Noël ensemble avec les enfants et cela me gêne beaucoup », doute ainsi une jeune femme. « Chez les croyants, c’est souvent l’envie d’être ensemble qui l’emporte sur le reste et il est important de réunir la famille à cette occasion », expliquait en 2017 Catherine Audibert, psychologue et auteur d’Œdipe et Narcisse en famille recomposés.
Toutefois, la réponse à ce doute appartient évidemment à chacun et permet également de s’interroger sur cette relation, sur son impact sur les enfants et sur le reste de la famille. Car la blessure peut être plus profonde qu’un amour échoué. Des violences peuvent avoir été portées, des traumatismes peuvent demeurer ouverts. Et cela n’est pas seulement vrai qu’avec des ex-conjoints, mais peut aussi être le cas avec des parents, ou d’autres membres de la famille. La liste des violences possibles est longue, d’autant que celles-ci ne sont pas forcément des violences physiques : préférences entre les frères et sœurs, rancœurs, disputes non réglées… Et il ne faut pas oublier que la volonté de réconciliation n’est pas forcément réciproque, laissant courir le risque d’une amertume plus grande encore si le geste de proximité lancé ne trouve pas de répondant.
Accepter l’humanité de l’autre
Ainsi, alors que Noël est pour beaucoup un moment de réjouissances, certains peuvent voir ces célébrations approcher avec crainte, si ce n’est angoisse. « Je redoutais ces fêtes de Noël… Nous étions tous réunis, pour moi c’est le plus beaux des cadeaux, je ne pouvais espérer mieux, se souvient une femme sur un espace de discussion entre proches de personnes alcooliques. Et voilà, qu’encore une fois, il a bu [...] et cela s’est mal terminé. » « Ces périodes sont toujours difficiles », confirme une autre, tandis qu’une troisième renchérit : « J’appréhendais Noël moi aussi : c’était la première fois que nous étions si peu, ma fille a coupé les ponts. » Noël, fête de rassemblement pour les uns, de craintes pour d’autres.
Mais ces attitudes ne s’opposent pas au pardon et à la réconciliation – même si ces mots ne signifient ni des retrouvailles forcées ni un retour au meilleur des mondes. « Le pardon est un mouvement individuel, il ne suppose pas le consentement de l’autre », expliquait au micro de RCF un jeune homme dont le cousin avait été tué sous ses yeux. Il est ainsi possible de pardonner l’autre dans son cœur, sans jamais le revoir : faire en soi-même la paix avec la blessure infligée par l’autre.
La réconciliation ne veut donc pas forcément dire repartir sur de nouvelles bases avec celui qui nous a blessés, car les atteintes peuvent être trop profondes pour être jamais résorbées. « L’étape d’après, la réconciliation, suppose de renoncer à la vengeance, d’accepter l’autre dans son humanité », poursuivait le jeune homme. Dans son humanité, avec toutes ses blessures, y compris et peut-être surtout celles qu’il a infligées. Car c’est justement cette « humanité fragile, blessée, malade » - les mots sont encore du pape François – que le Christ est venu revêtir par sa naissance. Noël, détaillait ainsi Mgr Laurent Ulrich, archevêque de Paris, dans son homélie pour la fête de l’an passé, est ainsi la « révélation toujours actuelle de l’amour infini et inconditionnel [de Dieu] pour notre monde blessé ».