10 ans d’un pontificat franciscain
Depuis leur fondation par saint François d’Assise, les ordres franciscains masculins ont donné plusieurs papes à l’Église. Certes bien plus récents, les Jésuites n’en ont donné qu’un seul : Jorge Mario Bergoglio, actuel pape François. Et tout jésuite qu’il est, le nom de pontife qu’il s’est lui-même choisi ne renvoie pas à la Compagnie de Jésus, mais plutôt aux Franciscains.
« Certains ne savaient pas pourquoi l’évêque de Rome a voulu s’appeler François, racontait-il aux représentants des médias en mars 2013, trois jours après son élection. Certains pensaient à François Xavier, à François de Sales, et aussi à François d’Assise. Je vais vous raconter l’histoire. » François narra alors qu’aussitôt son élection devenue claire aux yeux des autres cardinaux, alors que le dépouillement dans le secret du conclave se poursuivait, le cardinal brésilien Claudio Hummes lui avait dit : « N’oublie pas les pauvres ! ». « Et, poursuivit-il, cette parole est entrée en moi : les pauvres, les pauvres. Ensuite, aussitôt, en relation aux pauvres j’ai pensé à François d’Assise. Ensuite, j’ai pensé aux guerres, alors que le scrutin se poursuivait, jusqu’à la fin des votes. Et François est l’homme de la paix. Et ainsi est venu le nom, dans mon cœur : François. »
Dès les premiers instants de son pontificat, Jorge Mario Bergoglio a ainsi voulu s’inscrire dans les pas du Poverello. Une volonté d’autant plus visible que pour la première fois depuis l’an 913, le nouveau pape prenait un nom inédit, jamais porté par l’un de ses prédécesseurs (si l’on exclut Jean-Paul Ier, qui a choisi d’assembler les noms de ses deux prédécesseurs immédiats).
Faut-il une autre preuve du caractère franciscain du pape actuel ? Il inscrit explicitement son magistère dans les pas du saint d’Assise. Deux de ses encycliques – Laudato si’ (2016) et Fratelli tutti (2020) – ont pour titre des mots de saint François, un choix d’autant plus significatif que la seule autre encyclique signée de sa main (Lumen fidei, 2013) a en réalité été préparée durant le pontificat de son prédécesseur Benoît XVI. Depuis son élection en 2013, François s’est d’ailleurs déplacé dans la ville du Poverello plus que dans tout autre lieu (à l’exception de Rome bien sûr). À pas moins de quatre reprises, il s’est rendu dans la ville d’Ombrie, la première fois six mois après son élection, la dernière fois il y a six mois.
À l’école du Poverello
En revanche, cette proximité entre François le pape et François d’Assise ne se retrouve pas directement dans ses nominations. Alors que l’on aurait pu imaginer qu’il aurait voulu donner à l’Église des pasteurs s’inscrivant directement dans la spiritualité franciscaine, cela ne se retrouve pas dans le profil de ceux qu’il nomme à des postes à responsabilité. S’il arrive régulièrement que des membres de la famille franciscaine soient nommés évêques ou même cardinaux, cela ne se fait pas en des proportions différentes des pontificats précédents.
Car le projet du pape François n’est pas de promouvoir les Franciscains, mais est bien plus grand encore : il veut mettre l’Église entière – c’est-à-dire l’ensemble de la communauté des croyants – à l’école du Poverello. Dès le 19 mars 2013, pendant l’homélie de la messe inaugurale du pontificat, il appelait à « avoir du respect pour toute créature de Dieu et pour l’environnement dans lequel nous vivons (…) comme nous l’a montré saint François d’Assise ».
Quelques mois plus tard, devant les jeunes d’Assise, il invitait de même à regarder et suivre l’exemple du saint : « François a fait grandir la foi, a renouvelé l’Église ; et dans le même temps, a renouvelé la société, l’a rendue plus fraternelle ». Cette phrase pourrait à elle seule résumer ce que le pape François veut mener à bien durant son mandat à la tête de l’Église catholique.
Un moment franciscain
Et cette inspiration franciscaine ne se retrouve pas que dans le souci du Pape pour la Création et pour l’autre. Dans le dialogue interreligieux par exemple, il prend le saint d’Assise pour modèle. « En ce huitième centenaire de la rencontre entre saint François d’Assise et le sultan Al-Malik al-Kâmil, j’ai accueilli l’opportunité de venir ici comme croyant assoiffé de paix, comme frère qui cherche la paix avec les frères », déclarait-il ainsi lors de sa visite historique aux Émirats arabes unis en février 2019.
Pour le Pape, il semble qu’il n’y ait pas un seul domaine qui ne soit pas une occasion d’une invitation à se mettre à l’école franciscaine. En juin dernier, il concluait sa lettre apostolique sur la liturgie Desiderio desideravi par une prière de saint François d’Assise. « Frères, regardez l’humilité de Dieu et épanchez vos cœurs devant Lui ! », incite cette méditation.
S’ils ne sont pas « favorisés » par le pape François en termes de nominations, les Franciscains sont bien sûrs exhortés par lui à suivre le chemin de leur fondateur, peut-être plus encore que les autres.
« Pauvres, réfugiés et exclus sont vos maîtres », exhortait-il ainsi en 2021 dans un message aux participants au chapitre général de l’Ordre des Frères Mineurs Franciscains. Celui qui est pauvre et exclu est « signe, et presque sacrement de la présence de Dieu », insistait-il. Dans sa vision d’une Église « hôpital de campagne », aux « périphéries », le pape François voit donc la famille franciscaine aux avant-postes. De quoi assurer, comme le confiait le frère Massimo Fusarelli à La Croix à l’été 2021, quelques semaines après son élection comme ministre général franciscains, que « nous traversons un moment extraordinairement franciscain ».