La foi dans les étoiles
« Regarde le ciel, et compte les étoiles, si tu le peux… » (Gn 15, 5). Qui ne s’est jamais souvenu de cette parole du Seigneur à Abraham en regardant les étoiles, un soir d’été ? Dans la nuit noire, celles-ci apparaissent, indénombrables, comme une promesse de l’infini de Dieu. Dans son Cantique des Créatures sur la Création, saint François d’Assise remercie d’ailleurs le Seigneur pour leur beauté : « Loué sois-tu, mon Seigneur, pour sœur Lune et les étoiles : dans le ciel tu les as formées, claires, précieuses et belles ».
Pour le Poverello, pas de doute, le Seigneur créateur de toutes choses est le seul à pouvoir être à l’origine des astres stellaires. C’est d’ailleurs ce que dit le récit de la Genèse. « Dieu fit les deux grands luminaires : le plus grand pour commander au jour, le plus petit pour commander à la nuit ; il fit aussi les étoiles », enseigne le premier livre de la Bible (Gn 1, 16). Mais à l’inverse, pour certains, ce système sans fin, qui n’a même pas la Terre pour centre, serait plutôt le révélateur de la vanité de l’homme qui se croirait créé par un Dieu.
Au contraire, entend-on parfois, les étoiles, les planètes, les galaxies sont les témoins d’une création née du Big Bang, bien loin d’un univers créé par la Parole de Dieu, comme le raconte tout le premier chapitre de la Genèse. La création divine, dépassée par le Big Bang ? « L’explication la plus simple c’est qu’il n’y a pas de Dieu, personne n’a créé l’univers », assurait par exemple Stephen Hawking, le célèbre astrophysicien britannique. Et il voulait prouver : « Le temps n’existait pas avant le Big Bang. Donc Dieu n’aurait pas eu le temps de créer l’univers ».
Voulant reléguer Dieu au rang de croyance non-scientifique, ces assertions rapides oublient pourtant que même la théorie du Big Bang n’est pas incompatible avec la foi – qui ne cherche d’ailleurs pas à être une preuve scientifique de l’existence de Dieu. D’ailleurs, d’où vient cette théorie du Big Bang ? D’un prêtre ! C’est le chanoine belge Georges Lemaître qui dans l’entre-deux-guerres théorisa l’hypothèse d’un univers en expansion. Et le nom de cette théorie ? Elle vient d’un cosmologiste critique, athée, pour se moquer de la thèse lui donnant ce nom presque simplet de « Big Bang » - littéralement « grand boum ».
Il ne faut pas imaginer que les travaux du prêtre belge lui ont valu une quelque condamnation. Au contraire, ils sont reconnus par la hiérarchie catholique et il est nommé en 1936 membre de l’Académie pontificale des sciences, dont il deviendra président en 1960 – charge qu’il occupera jusqu’à sa mort, six ans plus tard. Georges Lemaître se permettra même en 1951 de faire savoir à Pie XII que celui-ci a une conception erronée de sa théorie, lorsque, voulant la saluer dans un discours, il la rapproche trop du texte de la Genèse.
Si l’Église, et encore plus la hiérarchie romaine, est souvent taxée d’être anti-sciences, la réalité est en fait tout autre. L’incompréhension remonte au procès de Galilée, dont on oublie souvent d’ailleurs qu’il était très proche du pape Urbain VII, mécène, avec d’autres hommes d’Église, de nombre de ses travaux. Mais la condamnation de sa thèse de l’héliocentrisme a bien eu lieu, comme le reconnaîtra en s’excusant le pape Jean-Paul II en 1992. « La majorité des théologiens ne percevaient pas la distinction formelle entre l’Écriture sainte et son interprétation, ce qui les conduisit à transposer indûment dans le domaine de la doctrine de la foi une question de fait relevant de l’investigation scientifique. »
Le cas de Galilée ne doit pas aboutir à considérer définitivement l’Église comme opposée à l’étude des astres, comme le montre bien l’exemple de Georges Lemaître. Aujourd’hui encore, des prêtres sont particulièrement investis dans le champ de la recherche astrophysique. C’est par exemple le cas du prêtre jésuite canadien Adam Hincks, qui a fait des études en cosmologie. « Je ne serais pas surpris qu’à long-terme ma mission me conduise vers l’apostolat intellectuel et comporte de la recherche scientifique, ce que je tiens pour un bien en soi, [car il s’agit] d’une façon de rendre gloire à Dieu en contribuant à ce que la culture profane a de mieux à offrir », confiait-il dans un article de la revue de sa province en 2019. Pour ses supérieurs, pas question d’ailleurs de ne pas profiter de son expertise scientifique. « Il serait stupide de ne pas profiter de la formation qu’un homme apporte à la Compagnie, lui avait déclaré le directeur des vocations. Et je peux te dire une chose : nous ne sommes pas stupides ! »
Une institution incarne peut-être mieux que tout autre cette alliance entre hommes de foi et hommes de sciences : l’Observatoire astronomique du Vatican. Trouvant ses origines dans la réforme du calendrier sous le pape Grégoire XIII (1572-1585) – qui a donné le calendrier actuel – cette institution est confiée depuis ses origines aux Jésuites. « Des mathématiciens, astronomes et autres scientifiques de la Compagnie de Jésus ont contribué à l’avancement de la connaissance de l’univers, assure la Compagnie. Ils sont à la pointe de la recherche scientifique et couvrent un large éventail de sujets, de l’examen des plus petits grains de poussière interplanétaire à l’origine et à la structure de l’univers. »
Et si les observations se font désormais depuis l’Arizona, aux États-Unis, et non depuis Rome (la pollution lumineuse de la Ville éternelle ne permettant pas les meilleures conditions), l’équipe est toujours du plus haut niveau. Il ne s’agit en effet aucunement d’une institution symbolique, mais bien d’une équipe de chercheurs, du plus haut niveau. Fin avril, un communiqué venait ainsi annoncer que « Les chercheurs de l’Observatoire astronomique du Vatican ont proposé une radicale nouvelle compréhension du moment du Big Bang. (…) Cette nouvelle perspective pourrait déclencher une révolution dans notre compréhension de l’univers à ses débuts. » Preuve s’il en était, qu’aujourd’hui encore, la foi ne s’oppose absolument pas à la recherche scientifique sur les origines de l’univers par l’observation, pour ne pas dire la contemplation, des étoiles.