La langue de saint Antoine Un miracle historique toujours d’actualité
« Si je m’attendais à ça ! Venir à Padoue et y découvrir une langue et des organes phonatoires de presque 800 ans d’âge… Admettez que, pour le linguiste que je suis, c’est particulièrement extraordinaire ! Quelle émotion ! » Cette réaction, observée récemment chez ce professeur émérite qui venait de découvrir l’histoire de saint Antoine, renvoie à l’émotion qu’insuffle la vue de ces reliques, autant chez les dévots que chez les visiteurs qui entrent par simple curiosité dans la Chapelle des Reliques de la basilique Saint-Antoine.
Comment se fait-il que de tels muscles se soient aussi bien conservés à travers les siècles ? Afin de mieux comprendre ce miracle, remontons le temps jusqu’au moment de leur découverte, en 1263. La seconde phase de construction de la Basilique venait alors d’être achevée et le Chapitre Général des Franciscains avait été organisé à Padoue pour célébrer ce moment en procédant en grandes pompes au transfert du corps de saint Antoine sous la coupole centrale de la nouvelle basilique.
Saint Bonaventure de Bagnoregio, le septième ministre général de l’Ordre des Franciscains, fit alors ouvrir le cercueil pour la toute première reconnaissance du corps de saint Antoine. La caisse, conservée pendant 32 ans dans la petite chapelle de Sainte-Marie-Mère-de-Dieu (l’actuelle Chapelle de la Vierge Noire), n’avait encore jamais été ouverte. Chacun pouvait donc s’attendre au pire.
La découverte de la relique
La suite nous est racontée par différentes sources écrites. La Benignitas, la biographie officielle de saint Antoine, rapporte que, tandis que le corps apparaissait réduit en poussière, « la langue, bien que conservée pendant trente-deux ans sous terre, était si fraîche, si rouge et si belle que l’on aurait dit que le très saint père venait juste de mourir ». En 1293 environ, La Raimondina précise quant à elle que : « La langue du saint […] fut retrouvée totalement intacte et si pointue qu’elle semblait appartenir à un homme vivant ». Un franciscain de la fin du même siècle commente : « Le fait fut vérifié non seulement par les frères mais par de nombreux laïcs, et en particulier par les douze dignes de foi élus par la commune de Padoue, qui ensuite en firent témoignage au pape. »
Au-delà de ces écrits qui narrent, non sans emphase, le miracle physiologique, il est fondamental de s’arrêter sur la théologie symbolique de la conservation de ces organes de la parole. Saint Bonaventure en comprit immédiatement le sens. Le cœur rempli d’admiration, il prononça ces mots restés ensuite gravés dans l’histoire : « Ô langue bénie, tu as toujours béni le Seigneur et tu as aidé les autres à le bénir ; il apparaît maintenant qu’elle fut grande, ta récompense auprès de Dieu ».
La langue comme instrument divin
C’est précisément par le moyen de cette langue-là, encore visible aujourd’hui, que le frère Antoine a commenté et transmis la Parole de Dieu. La Raimondina la définit comme « la trompette du Christ, l’instrument du Saint-Esprit et le verrou en bronze du Tabernacle ». C’est par elle que nous sont arrivés de précieux enseignements, notamment à travers les nombreux sermons fidèlement retranscrits. C’est enfin celle qui nous a offert de réfléchir à l’usage même de la langue, cet instrument qui peut servir tout autant à faire le bien, par la prière, les conseils ou le pardon, qu’à proférer le mal, par la critique, le dénigrement, ou la colère.
Chaque année, depuis plus de 750 ans, des milliers de fidèles se rendent témoins de ce miracle. La relique a été vénérée par de nombreux papes, comme Jean XXIII et Jean-Paul II, mais aussi par sainte Thérèse de Lisieux, qui écrivit dans son journal : « Après Venise, nous sommes allés à Padoue, où nous avons vénéré la langue de saint Antoine ». Une plaque commémorative, placée en août 1945, rappelle sa venue par ces mots : « De sa terre natale de France / âgée de moins de 15 ans / en pèlerinage vers Rome / sainte Thérèse de l’Enfant Jésus / le 12 novembre 1887 / à genoux devant le tombeau du Saint / en vénérait les précieuses cendres / et la langue bénie encore intacte ».
Pour cette fête de la langue, émerveillons-
nous, nous aussi, du miracle de cette relique, et laissons-nous guider par les mots du père Valentin Strappazzon, toujours soucieux d’offrir une réponse aux pèlerins en quête d’authenticité et de vérité historiques : « Vénérer aujourd’hui la langue de saint Antoine, c’est dépasser le doute que suscite le prodige ou le culte d’une relique, pour remercier Dieu d’avoir honoré Antoine en conservant intact l’organe de sa parole. C’est aussi se souvenir que, de son silence de Padoue, Antoine nous parle pour nous inviter à la prière et au bon usage de notre propre langue ».