« L’Église n’a pas toujours béatifié les enfants »
Comment êtes-vous devenu postulateur d’une cause en béatification ?
C’est vraiment par Anne-Gabrielle Caron que je me suis lancé dans cette aventure. Avant sa mort à l’âge de 8 ans et demi, Anne-
Gabrielle était louvette dans la meute Europa Scouts de Toulon, une association dont j’étais le président et j’avais été informé de sa maladie. Après sa mort, j’ai reçu le texte de l’homélie de ses obsèques et j’ai instantanément eu la conviction de sa sainteté.
Une fois à la retraite, j’ai contacté les parents d’Anne-Gabrielle et leur ai dit ma disponibilité à les aider si une cause en béatification devait être ouverte. Initialement, le curé de la paroisse d’Anne-Gabrielle pensait nommer un prêtre de sa communauté comme postulateur, mais la charge de travail que cela représentait ne le permettait pas. Comme je le connaissais bien, il m’a proposé et j’ai accepté après avoir réfléchi avec ma femme.
Cette dernière est d’ailleurs vice-postulatrice. C’est une grande aide, tout d’abord parce que nos sensibilités se complètent mais aussi car, par cette position, elle est partie prenante dans la confidentialité de la cause. Je peux donc en parler avec elle, lui faire part de mes réactions et nous pouvons confronter nos hypothèses. C’est un vrai travail ensemble.
Comment se forme-t-on à devenir la principale cheville ouvrière d’une cause en béatification ?
C’est essentiellement une auto-formation à partir des documents qui existent et d’échanges avec des postulateurs d’autres causes. J’ai aussi la chance d’avoir retrouvé un camarade étudiant que je n’avais pas vu depuis une quarantaine d’années ; il travaille à la Congrégation des causes des saints et m’a beaucoup aidé.
Il y a également des ouvrages sur le sujet, notamment un manuel du postulateur établi par la Congrégation. Celui-ci a l’inconvénient d’être en italien et il a donc fallu que je me mette à étudier cette langue. Si la cause se poursuit après la phase diocésaine et si j’étais choisi comme postulateur pour la phase romaine, je devrais suivre un cours dédié à Rome.
Y a-t-il des particularités pour les causes en béatification d’enfants par rapport à celles pour des adultes ?
Pendant longtemps l’Église n’a pas considéré possible la béatification d’enfants, hors cas de martyrs. Ce n’est pas qu’elle y était opposée ou qu’elle ne considérait pas la sainteté des enfants possible, mais parce qu’il a longtemps été considéré qu’il fallait au moins une dizaine d’années de pratique héroïque des vertus théologales et cardinales – à partir de l’âge de raison – pour envisager une béatification.
Tout au long du XXe siècle, il y a eu un grand travail théologique mené pour vérifier que les enfants étaient canonisables. Ce cheminement de l’Église est notamment né de la volonté du pape saint Pie X de laisser les enfants accéder à la communion, ce qui selon lui conduirait à des cas de sainteté. Tout ce travail a conduit à la canonisation des premiers enfants confesseurs (donc non martyrs) en 2017 seulement ; il s’agit de deux des trois voyants de Fatima, François et Jacinthe Marto.
Quelles sont les sources pour votre travail de postulation ?
Par rapport à une cause concernant un adulte, c’est évidemment un travail particulier, d’autant qu’il y a beaucoup moins de matière, déjà par le fait que le temps a moins duré. Pour beaucoup de causes, nous pouvons disposer de leurs écrits, base essentielle. Pour Anne-Gabrielle, nous avons deux pages d’un petit carnet, écrites par une enfant de huit ans ! Heureusement, des religieuses, impressionnées par sa personnalité, avaient conseillé à sa mère de noter ses mots. Elle l’a fait scrupuleusement et en a d’ailleurs tiré un ouvrage dans lequel, selon moi, la sainteté de sa fille transparaît clairement.
La seconde source vient du témoignage des gens qui ont connu Anne-Gabrielle. Il apparaît, et c’est très important, qu’il n’y a pas de contradiction entre les témoignages de ces personnes, parents ou familiers et celui de sa mère. Par exemple, lorsque des enfants, mal à l’aise avec les handicaps causés par sa maladie, avaient des réactions méchantes avec Anne-Gabrielle, elle ne répliquait jamais avec méchanceté, mais au contraire pardonnait. Elle prenait sur elle et pardonnait vraiment. Des témoins racontent ces scènes, et pas seulement sa mère. Il y a donc une cohérence des témoignages qui est un élément de la solidité de la cause.
Selon vous, pourquoi cette cause mérite-t-elle particulièrement d’être étudiée ?
Malgré ses très grandes souffrances, Anne-Gabrielle souriait sans cesse. Tous les témoignages parlent de ce sourire qui marquait les gens. Ce n’est pas normal, et je le dis à escient, car pour une béatification l’Église demande un exercice des vertus au-delà de la normale. Accepter les souffrances sans rechigner, les offrir en souriant, c’est bien au-delà de ce que les gens habituels – nous – sont capables de faire.
Il y a d’autres enfants qui souffrent, qui ont des morts admirables mais l’Église ne peut pas présenter tout le monde. Je crois qu’on a besoin de mesurer que la sainteté est possible. Anne-Gabrielle est décédée en 2010, il y a beaucoup de photos d’elle où elle apparaît comme une enfant d’aujourd’hui. Nous recevons beaucoup de témoignages du monde entier nous disant combien Anne-Gabrielle leur parle.
Que vous apporte cette mission de postulateur ?
Deux choses : l’émerveillement et l’action de grâces. C’est une vraie merveille qu’une enfant de sept ans ait pu ainsi accepter la maladie, les souffrances qui allaient avec et la mort lorsqu’elle a compris qu’elle serait l’issue. Tout cela, Anne-Gabrielle l’a accepté, en offrant ses souffrances pour les pécheurs et ce, en arborant toujours un sourire. Malgré ses grandes douleurs, Anne-Gabrielle souriait sans cesse, tous les témoignages en parlent.
C’est aussi l’émerveillement de voir combien de personnes l’invoquent pour des raisons diverses et reçoivent des grâces. J’ai notamment eu des témoignages de parents qui ne pouvaient pas avoir d’enfants, et qui ont reçu ce don de Dieu après cette prière à Anne-Gabrielle. Je pense aussi à une religieuse de la Réunion, qui nous a écrit pour nous dire combien le témoignage d’Anne-Gabrielle l’aidait dans sa propre vie spirituelle. On constate donc qu’il y a véritablement une réputation de sainteté autour de cette petite fille.
Je suis toujours émerveillé devant la présence de la grâce, à laquelle je suis beaucoup plus sensible depuis le début de cette mission. Je mesure qu’elle est très présente dans nos vies et je peux le toucher du doigt à travers Anne-Gabrielle, par son exemple et les témoignages magnifiques qu’elle suscite.