Le retour en grâce du pèlerinage
Les beaux jours revenus, les restrictions sanitaires assouplies, les chemins de randonnée de nos régions retrouvent leur public. Jeunes et moins jeunes, promeneurs en groupe ou solitaires, s’y côtoient. Mais aux côtés de ceux qui sont en balade de quelques heures ou en randonnée de plusieurs jours, se trouvent ceux qui marchent dans un but spirituel : les pèlerins. Si ce n’est parfois un chapelet ou une coquille Saint-Jacques, rien ne les distingue des autres marcheurs, sinon leur motivation. Et pourtant, c’est bien souvent pour eux et par eux, qu’au fil des siècles, nombres des routes et chemins actuels ont été élaborés. Le dicton ne dit-il pas que tous les chemins mènent à Rome, un des premiers lieux de pèlerinage – tant historiquement qu’en matière de fréquentation – de la chrétienté ?
Avant la pandémie du Covid-19, les pèlerinages ont connu un véritable regain, comme un refuge face à un monde toujours plus rapide et connecté. Parmi les plus anciens pèlerinages d’Europe, celui vers Saint-Jacques-de-Compostelle, en Espagne, a été parcouru – à travers ses différentes routes – par plus de 200 000 personnes par an au cours de la décennie écoulée. Un chiffre en constante progression, puisqu’il augmentait de 10 % tous les ans jusqu’à l’an dernier. Accomplissant le trajet par étapes depuis quelques années, Jean-Baptiste en est sûr : « Le pèlerinage va vite retrouver ses fidèles, après des mois de restrictions, la vie au grand air va attirer ! ». D’autant plus, souligne-t-il, que la marche à pied est l’occasion d’une expérience de sa propre « vulnérabilité », redécouverte utile alors que la pandémie a mis à nu la vulnérabilité collective.
Goûter de tous ses sens
Accomplir un pèlerinage, explique le père Renaud Saliba, oblat de Marie-Immaculée et recteur du sanctuaire marial de Pontmain en Mayenne, c’est tout d’abord « quitter son environnement, sa zone de confort, pour se mettre en marche ». Telle est d’ailleurs l’étymologie du mot pèlerin : c’est l’étranger, celui qui est d’un autre pays. En ce sens, la Bible donne quantité de pèlerins en exemple, d’Abraham à qui le Seigneur ordonne « quitte ton pays, ta parenté et la maison de ton père, et va vers le pays que je te montrerai » (Gn 12, 1) à la Vierge Marie qui « se mit en route et se rendit avec empressement vers la région montagneuse » de sa cousine Élisabeth (Lc 1, 39). Toute l’histoire du Salut insiste donc sur cette nécessité de quitter son confort, c’est-à-dire se décentrer de soi, dans une démarche de foi. C’est ainsi que le Concile Vatican II parle de « l’Église en pèlerinage sur la terre ».
Ce pas de côté vis-à-vis de soi-même, accompli dans le pèlerinage, permet de s’ouvrir à ce qui se vit dans le lieu de destination. « Si l’on se met en marche vers un lieu, poursuit le recteur de Pontmain, c’est ensuite pour y demeurer un certain temps et le goûter de tous ses sens afin de laisser sa sensibilité être touchée. » Car le pèlerinage n’est pas du tourisme, il ne s’agit pas de venir et de repartir aussitôt, une fois la photographie prise. Cela est d’autant plus vrai pour le christianisme qui est une religion incarnée. Cela signifie que la foi s’exprime dans l’être tout entier – et avec le pèlerinage, le corps est mis à contribution ! – mais aussi que la puissance de Dieu s’est exprimée de manière réelle dans l’histoire en des lieux réels. À Pontmain, comme à Lourdes, la Salette, ou rue du Bac à Paris, on vient prier là où la Vierge est apparue. À Rome, on vient se recueillir là où les apôtres Pierre et Paul et tant d’autres chrétiens ont donné leur vie.
Par excellence, les lieux de cette foi incarnée sont ceux des textes bibliques. Ainsi, début mars, le pape François a-t-il tenu à se rendre en pèlerinage dans la plaine d’Ur, en Irak, terre d’Abraham. Mais pas besoin d’être pape pour se rendre sur les lieux de la Bible, comme en témoignent les nombreux chrétiens qui chaque année – sauf en cette période de pandémie – se rendent en Terre Sainte. « En venant sur place, on comprend mieux l’Évangile et ses symboles et ce qu’ils signifiaient pour les Apôtres et les premiers disciples », souligne Pauline, qui s’est rendue en Israël-Palestine et qui a suivi un pèlerinage méditerranéen suivant l’évangélisation par saint Paul. « Là, on foule de nos pieds les lieux mentionnés et on peut recevoir la Parole comme ceux qui en étaient les premiers destinataires. Grâce au pèlerinage, la foi est véritablement incarnée, dans les lieux et dans mon expérience personnelle. »
Vivre la parole évangélique
Autre lieu où la Parole évangélique s’incarne, bien plus près de chez nous : Lourdes, la fameuse cité mariale des Pyrénées. « Ce qui s’y vit est tout à fait étonnant, c’est un monde à l’envers où tout est au service des personnes malades : d’abord elles, puis tout le reste, souligne avec entrain Anne. C’est le lieu d’application de cette belle promesse du Christ : les derniers seront premiers » (Mt 20, 16). D’abord venue avec des amis, elle s’y rend désormais chaque année ou presque, en famille, avec son mari et leurs deux garçons. « C’est toujours extraordinaire de voir les enfants évoluer sans complexe ni a priori au milieu des personnes différentes, que malheureusement on ne voit pas d’habitude. À Lourdes, tout se fait très simplement car tout est fait d’abord pour les personnes malades. »
Le pèlerinage ne s’achève toutefois pas sur place, mais bien au retour chez soi. L’expérience se poursuit donc, ne se cantonne pas au trajet ou au lieu visité. De nombreux prêtres et religieuses expliquent que leur vie a été transformée à leur retour d’un pèlerinage et y voient l’origine de leur vocation consacrée. Pour d’autres, c’est un changement de mentalité au quotidien que suscite le pèlerinage. Marqués par cette expérience, ils créent chez leur famille et leurs amis le désir d’accomplir un tel cheminement. « Si je suis parti vers Saint-Jacques, confie Jean-Baptiste, c’est sur les conseils d’autres dont les récits ont été très incitatifs. » Désormais, il est accompagné de sa fiancée et, tous deux, viennent apporter un maillon supplémentaire à la chaîne ininterrompue des pèlerins.