Prenons soin du chant liturgique
Vous qui avez déjà composé quatre messes et tout récemment un Je vous salue Joseph, quel est votre registre ?
C’est un genre exigeant en matière de composition. Il y a des règles d’écriture et de nombreux chants sont composés avec des erreurs considérées comme des fautes d’orthographe de la musique. Mon registre est bien écrit ; je ne dis pas bien composé, ce serait présomptueux, mais il est écrit pour la voix, il est chantable, a une prosodie soignée, c’est-à-dire un lien entre la musique et les paroles. Par exemple, on ne doit pas mettre une syllabe muette sur un temps fort. Mon registre est le chant de grande assemblée : il peut être très compliqué pour le chœur mais doit permettre une certaine aisance pour l’assemblée. Ce qui me préoccupe le plus est de ne pas perdre l’assemblée car elle doit trouver sa place dans la liturgie.
Le chant liturgique connaît-il un retour en grâce ?
Nous faisons attention aux chants mais malheureusement les critères retenus ne sont pas bons. On pense trop à la participation de l’assemblée et en souhaitant lui faciliter la tâche, on fait des choix qui ne sont ni liturgiquement ni pédagogiquement bons. À mon sens, il y a un retour en grâce des chants liturgiques car les gens instruits musicalement cherchent un renouvellement. La difficulté que l’on a avec le répertoire des communautés nouvelles est que la plupart des chants sont composés par des personnes qui ne sont pas des compositeurs. Elles font donc des erreurs, notamment liturgiques, en ajoutant des paroles car cela arrange la mélodie ou qu’il manque des syllabes. Mais quand on compose, la mélodie est au service du texte. C’est le texte qui prime ! On ne peut pas composer une mélodie et essayer de faire entrer un texte dedans, cela ne marche pas, c’est aussi hasardeux que le loto !
Quelle est la place du chant à la messe ?
La place du chant liturgique est essentielle dans la liturgie dominicale. Dans celle de la semaine, nous ne sommes pas dans ces questionnements-là. La musique ne doit pas être là pour enjoliver mais pour servir. Quand elle se déconnecte du mystère célébré, nous ne comprenons pas le sens de la messe. Par exemple, prendre la même mélodie pour un Kyrie ou un Agnus Dei est une erreur. Tant de personnes la font car elles pensent que cela simplifie le chant de l’assemblée, mais cela est illusoire. Pédagogiquement, on montre à l’assemblée qu’on en est au même point. C’est comme si on servait le même plat en entrée, en plat de résistance et au dessert à des amis ! Cela embrouille la compréhension de la messe. On ne peut pas faire comprendre la messe à une assemblée en lui disant les choses, cela en casserait le sens. En revanche, par le choix du répertoire, il y a une vraie pédagogie.
Quelles erreurs devrions-nous éviter ?
Pour pallier l’erreur de chanter une messe en entier d’un même répertoire, j’avais proposé dans ma paroisse parisienne de constituer des Kyriale pour l’ordinaire de la messe (Kyrie, Gloria, Alleluia ou acclamation de l’Évangile pendant le Carême, Agnus), et notamment un Kyriale festif et solennel. Il faut être attentif aux tonalités musicales pour que cela ne casse pas la dynamique et qu’elles soient compatibles. Par exemple dans le Sanctus, il ne doit pas y avoir de refrain, sinon, la structure n’est pas comprise : le Sanctus, c’est l’adoration des anges chez Isaïe. Il a souvent un caractère vainqueur mais il ne faut pas oublier la dimension de l’adoration, de la prosternation, cela peut être très doux, un peu à l’image d’un Sanctus grégorien. Le Sanctus a cette logique et si on change la dynamique d’un chant par sa structure, on ne permet pas de faire comprendre le chant et sa place dans la liturgie.
Pourquoi est-ce fondamental de prendre soin du chant liturgique ?
Si nous n’en prenons pas soin, une incompréhension naît dans l’assemblée. La liturgie n’est pas juste un code ou une marche à suivre, c’est un sens. Le chant d’entrée est très important car il doit constituer cette nouvelle assemblée, différente chaque dimanche. Il y a une progression constante. L’offertoire et la quête ne sont pas une pause dans la messe ! On suit la progression, avec la dimension pénitentielle qui nous amène à chanter ensuite la gloire de Dieu. Nous sommes ainsi disposés à écouter la Parole, puis amenés à l’homélie la commentant. Après cette réflexion, nous sommes prêts à faire notre profession de foi. C’est de là que jaillit notre prière de l’assemblée, la prière universelle qui nous emmène vers l’Eucharistie. Toutes ces phases s’enchaînent et nous préparent à l’Eucharistie. L’animateur de chant doit connaître la pédagogie de la liturgie : son rôle est essentiel mais malheureusement très galvaudé.
Qu’est-ce qui caractérise un beau chant liturgique ? Et ce qui le différencie du grégorien ?
Un beau chant est un chant bien écrit, exigeant en qualité d’écriture et de prosodie. Le beau chant est un chant dans lequel on ne doit pas être gêné par une erreur d’harmonie ou d’écriture musicale ! Par essence, le grégorien est le répertoire de l’Église. Il faut perpétuer cette tradition et nous ne devons pas l’oublier. Il y a une vraie urgence à le remettre au goût du jour car on est en train de perdre un vrai trésor liturgique, spirituel et artistique ! Un beau chant favorise l’intériorité. Aujourd’hui, on a tendance à changer le spirituel par l’émotionnel. Un beau chant porte l’assemblée mais sans tomber dans le sentimentalisme ou le sensationnalisme. On ne veut plus faire chanter en latin mais chanter un chant des communautés nouvelles en latin ne pose pas de problème. Chacun se campe dans ses retranchements. C’est très idéologique.
Quel avenir voyez-vous pour le chant liturgique ?
Je pense que d’ici une quinzaine d’années, il y aura un renouveau et peut-être même de la part des communautés nouvelles ! Un bon chant doit être atemporel. Les premiers chants des communautés nouvelles, comme d’autres compositions de la même époque vieillissant mal, ne sont plus utilisables.
À l’approche de Pâques, comment vivez-vous votre métier ?
Le Carême est un temps d’ascèse que je vis en levant les doigts des claviers de l’orgue pour jouer le moins possible et revenir au silence ! Pâques est pour moi un moment fantastique. Pouvoir mettre du faste, de la solennité, de la joie après 40 jours d’ascèse me réjouit profondément ! Quelle joie de célébrer l’émerveillement face à ce Mystère avec tant de force ! Pâques est l’occasion de retrouver le sens de la liturgie.