Quand Henri VIII divorce de Rome
En ce jour historique du 11 février 1531, le clergé anglais convoqué en assemblée à Cantorbéry (la plus haute entité législative de l’Église) accordait au roi Henri VIII les titres de « Protecteur unique, Lord suprême et autant que la loi du Christ le permet, Chef suprême de l’Église et du Clergé anglais ». C’est le frère d’Anne Boleyn, future reine d’Angleterre, qui décrit l’ambiance électrique de cette assemblée, le compromis obtenu et les concessions accordées que l’on peut entendre dans la formule « autant que la loi du Christ le permet ».
Coup de tonnerre dans la Chrétienté ! Comment expliquer que le royaume d’Angleterre, qui en ce début du XVIe siècle est si profondément marqué par le catholicisme romain dans ses structures politiques, économiques et sociales, s’en défasse aussi soudainement au profit de l’institution d’une Église nationale?
Le Réforme de Henri VIII qui est plus schismatique qu’hérétique (elle ne porte pas sur des questions de dogme) est due à première vue aux amours contrariés du monarque ainsi qu’aux excès et aux écarts du clergé traditionnel. Mais à l’arrière-plan se profile un acteur destiné à devenir la plus puissante institution politique du pays : le Parlement (qui représente la bourgeoisie urbaine lasse du joug religieux, le tiers du royaume appartenant aux monastères).
Du règne d’Henri VIII, la culture populaire et Hollywood en particulier (sous les traits de Charles Laughton ou de Richard Burton) ont surtout retenu la figure d’un « multirécidiviste matrimonial » obèse qui n’a pas hésité à faire exécuter deux de ses six épouses.
Un souverain de la Renaissance
Au-delà de cette image folklorique, Henri VIII est un homme d’une redoutable intelligence, cultivé, qui parle plusieurs langues. Il est bien loin d’être acquis aux idées de la Réforme, ayant même publié un ouvrage qui lui vaut de la part du pape le titre de défenseur de la foi. Contemporain de François 1er et de Charles Quint, il sait louvoyer entre les deux plus puissants monarques du Continent en se vendant au plus offrant. Il est entièrement de son époque et se pique d’humanisme en correspondant avec Érasme et Guillaume Budé.
C’est aussi un roi imprévu qui monte sur le trône à 17 ans, le 22 avril 1509, en lieu et place de son frère aîné, Arthur Tudor, mort prématurément. Pour maintenir l’alliance espagnole, il épouse sa belle-sœur, la veuve de son frère, Catherine d’Aragon. Plus âgée que son royal époux, elle sera enceinte à sept reprises mais seule une fille arrivera à survivre à la naissance, la future Marie Tudor (ou Marie-la-sanglante tellement sa tentative de ré-instaurer le catholicisme sera violente au cours de son bref règne de 1553 à 1558).
Certes, l’Angleterre ne connaît pas la loi salique (qui réserve le trône en priorité aux garçons) mais jusqu’alors, aucune femme n’est encore montée sur le trône. La dynastie, trop récente, n’est pas encore assez légitime, faisant courir le risque d’un retour de la guerre des Deux-Roses (qui a vu s’opposer les York et les Lancastre de 1455 à 1487) ou d’une prise de contrôle par un souverain étranger, via un mariage princier.
Or, étant donné que Charles Quint venait de rompre l’alliance entre l’Espagne et l’Angleterre, le mariage avec Catherine d’Aragon n’a plus de justification diplomatique. Et comme Henri est amoureux de la jeune Anne Boleyn (qui elle, lui donnera un fils avant de finir décapitée), il demande alors au pape Clément VII (Jules de Médicis) d’annuler le mariage en invoquant l’Ancien Testament : « Si un homme prend la femme de son frère, c’est une impureté […] ils seront sans enfant ».
Un pape empêché de consentir au divorce
Le pape lui aurait certainement accordé une réponse favorable, si lui-même, depuis le sac et le pillage de Rome de 1527 n’avait pas été sous la coupe de l’empereur Habsbourg.
La décision de divorcer n’est donc pas un caprice royal, mais le souci de pérenniser une dynastie naissante. Excédé par les atermoiements du pape, Henri VIII fait voter l’annulation de son mariage par une cour ecclésiastique avant de se faire excommunier. À cette excommunication, Henri VIII répond en faisant voter par le parlement anglais en 1534 « l’Acte de suprématie » qui proclame le roi, seul chef suprême de l’Église d’Angleterre. La contagion de l’Angleterre par les doctrines de Luther et de Calvin ne jouera qu’un rôle tardif dans l’affaire. Les deux siècles suivants seront marqués par les luttes et les conflits incessants de pouvoir entre protestants et catholiques (en particulier Irlandais) sur fond d’émergence du parti puritain. C’est à Élisabeth 1ère, fille d’Anne Boleyn qui règne de 1558 à 1603, qu’il reviendra de fixer, par l’Acte d’uniformité de 1562, les traits caractéristiques des institutions anglicanes, cette « troisième voie » entre catholicisme et protestantisme. Bossuet notait que « l’Église anglicane parle ambigument », Henri VIII ayant établi une Église nationale qui avait conservé pour l’essentiel les articles de la foi catholique, exception faite de la suprématie du pape sur l’Église d’Angleterre. Et c’est ainsi que la Grande-Bretagne n’a jamais connu de phase d’anticléricalisme semblable à celle de la France de la IIIe République, ni encore de réelle laïcisation de l’État.