Chopin, pianiste de l’âme
Il est une tombe, au Père Lachaise, qui depuis 170 ans croule en permanence sous les fleurs. C’est celle de Chopin qui n’a jamais cessé de susciter l’attachement et la passion des musiciens et des mélomanes du monde entier. Même si l’on a coutume de dire que sa musique reflète à la fois l’âme tourmentée de la Pologne et l’exaltation du romantisme français, elle est universelle. Il est ainsi le compositeur classique le plus apprécié en Extrême-Orient.
Pour tout pianiste qui se respecte, son œuvre est la seule sur laquelle on ne saurait faire l’impasse. L’intégralité de cette œuvre dure moins de 24 heures, avec le piano omniprésent. Avec Franz Liszt, Chopin est le père de la technique pianistique moderne, apportant de nouvelles sonorités ainsi qu’une vision nouvelle de l’instrument à travers un répertoire aussi atypique qu’adulé, constitué de monuments comme le cycle des Études, les Nocturnes, les 24 Préludes ou les deux concertos pour piano. Par son souci de la concentration et son refus du bavardage, ses morceaux durent rarement plus de dix minutes. Balzac le résume ainsi : « Chopin joue de l’âme au piano ».
L’histoire de Fryderyk Franciszek Chopin commence à Varsovie, où il naît le 1er mars 1810. Son père, Nicolas Chopin, est d’origine lorraine, venu en Pologne au service de la comtesse Skarbek dont il épouse la dame d’honneur, Justyna Krzyzanowska, originaire de la petite noblesse. Chopin passe les vingt premières années de sa vie en Pologne qui est alors occupée et administrée par la Russie, jouissant tout d’abord d’une certaine autonomie jusqu’en 1825, année qui voit l’avènement du tsar Nicolas 1er, un ferme partisan de l’absolutisme.
Une musique savante aux racines populaires
Le jeune Frédéric se révèle précocement très doué, et il n’a que six ans lorsque ses parents confient sa formation à un musicien tchèque, Wojciech Zywny, qui cultive des goûts originaux pour l’époque, appréciant Bach qui était alors presque tombé dans l’oubli, ainsi que Haydn et Mozart, considérés comme des compositeurs d’une autre époque. Ce qui fait que malgré tous ses épanchements romantiques, l’œuvre de Chopin restera toujours ancrée dans le classicisme de ses prédécesseurs.
Il n’a que sept ans qu’il compose déjà deux polonaises qui, si elles sont encore un peu pauvres harmoniquement, manifestent déjà la subtilité et l’élégance qui seront la marque de son style. Et il n’a que 15 ans lorsqu’il est mentionné pour la première fois dans la presse internationale à l’occasion d’un concert de bienfaisance. On y souligne la richesse de ses idées et son sens de l’improvisation.
S’il s’inscrit dans le sillage de ses maîtres classiques, il prend aussi conscience très tôt de la richesse du patrimoine de la musique populaire de son pays, à l’occasion de vacances passées dans la campagne polonaise, invité à des noces et des fêtes de moissons. Il met un soin particulier à transcrire les chansons et les danses populaires de la Mazovie, allant jusqu’à payer une paysanne pour obtenir un texte exact.
Il quitte la Pologne en novembre 1830, juste avant l’insurrection populaire contre la tutelle russe, et malgré l’attachement qu’il ne cesse de déclarer envers son pays natal, il n’y reviendra jamais. Il arrive à Paris en octobre 1831 et devient très vite le professeur de piano le plus recherché de l’aristocratie polonaise et du grand monde parisien. Il obtient la nationalité française en 1835, joue devant le roi Louis-Philippe à Saint-Cloud et se lie d’amitié avec le fabriquant de pianos Camille Pleyel, sensible à son touché unique.
De 1838 à 1847, il forme avec l’écrivain George Sand un des couples les plus célèbres du XIXe siècle. Ils fréquentent le Tout-Paris romantique, Delacroix, Berlioz, Balzac, Liszt. En 1838, en quête d’un peu de solitude, ils séjournent aux Baléares où il tombe malade. On lui diagnostique une tuberculose. Le couple se réfugie au monastère de Valldemosa.
Une œuvre à redécouvrir sur instruments d’époque
De retour en France, il passe chaque été à Nohant, dans le Berry, un cadre particulièrement propice à son inspiration. George Sand dit de ces moments : « Et puis la note bleue résonne et nous voilà dans l’azur de la nuit transparente. Des nuages légers prennent toute la forme de la fantaisie ».
Il donne son dernier concert à Paris le 16 février 1848, dont les places se vendent en une semaine. Très affaibli, il meurt le 14 octobre 1849, au 12 place Vendôme. Selon son vœu, le Requiem de Mozart est interprété à ses funérailles et son cœur est ramené à Varsovie par sa sœur qui le place dans les catacombes de l’église de la Sainte-Croix.
Depuis, pas un instant sa gloire n’a pâli. Chopin laisse aux pianistes un héritage considérable et très diversifié qui peut s’avérer d’une difficulté inouïe, comme la dernière étude de l’opus 25. Cependant, de nombreux musicologues ont souligné que les interprètes de Chopin ont trop souvent versé dans les « pâmoisons romantiques » alors qu’à son époque on décrivait son style comme « brillant, délié, à l’expression châtiée, presque froide ». C’est pour cela qu’au traditionnel concours Chopin qui a eu lieu à Varsovie en septembre 2018, les candidats ont uniquement joué sur des pianos d’époque, une petite révolution qui a révélé tout un ensemble de subtilités jusqu’ici ignorées, qui nous invitent à redécouvrir ce géant, toujours et encore.