Chambord : les 500 ans d’un rêve de pierre
Fort de sa victoire à Marignan l’année précédente, François 1er apparaît en 1516 comme le premier des princes chrétiens. Le 18 août, il signe avec le pape Léon X le concordat de Bologne qui va régir les rapports entre la France et le Saint-Siège jusqu’en 1790. Il décide dans la foulée de faire construire un château en Sologne, en bordure de la forêt de Chambord où il aime chasser, au cœur de ce val de la Loire qui attire la cour de France depuis le XVe siècle.
Le 6 septembre 1519, François 1er adresse une lettre à son chambellan, François de Pontbriand, un habitué des chantiers royaux de Loches et de Blois, pour le nommer surintendant des travaux du futur château et ordonner les dépenses à venir. C’est le plus vieux document connu concernant Chambord.
Pensé dès le départ comme une résidence de chasse, ce château, assez éloigné de Blois et d’Amboise, n’est pas conçu comme un lieu d’où va s’exercer le pouvoir, mais comme le palais idéal d’un prince architecte. Un bâtiment harmonieux, à la toiture dentelée sans pareille, qui continue à nourrir nos rêves cinq siècles plus tard.
On le considère souvent comme le château de la Belle au bois dormant — à tort, puisqu’il s’agit en fait du château d’Ussé —, car il a été le décor de plus d’un conte de fées, comme en 1970 pour le film Peau d’Âne de Jacques Demy ou comme fréquente source d’inspiration pour Walt Disney.
Inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO en 1981, il a aussi été classé sur la première liste française de monuments historiques en 1840, ce qui aurait pu ne jamais advenir car il a connu une histoire mouvementée, en particulier à la Révolution où il a été pillé et vandalisé au point qu’il fallut envoyer un régiment pour rétablir l’ordre. Le mobilier en sera dispersé à cette époque.
L’influence de Léonard de Vinci
Malgré la renommée de l’édifice, l’énigme de l’identité de son architecte n’est toujours pas levée. Néanmoins, on y sent très fortement l’influence de Léonard de Vinci, invité à la cour de France en 1516 comme « premier peintre, architecte et ingénieur du roi », en particulier dans divers croquis de ses carnets.
Le plan centré du donjon, l’escalier à double révolution, le système de latrines à double fosse et conduit d’aération viennent directement de son inspiration. François 1er y a de son côté laissé sa marque, son emblème, la salamandre (supposée résister aux flammes), étant représentée plus de 300 fois sur les plafonds et les murs.
La partie centrale du château est le donjon, d’un ordonnancement alors inédit en France, qui s’inscrit dans un plan centré en croix grecque qui n’est pas sans rappeler la basilique Saint-Pierre de Rome. Sa particularité est la rigoureuse orientation des diagonales du donjon suivant les axes nord-sud et est-ouest, les tours marquant exactement les quatre points cardinaux. La vue depuis les terrasses du toit est spectaculaire, permettant d’opérer un tour complet sur les jardins à la française et les bois.
Le joyau du château, au cœur du donjon, est l’escalier à double révolution, surmonté par la plus haute tour du château, la tour-lanterne, composé de deux rampes jumelles en hélice qui s’enroulent l’une au-dessus de l’autre. Deux personnes qui empruntent chacune des rampes peuvent se voir à travers les ouvertures aménagées dans le noyau sans jamais se rencontrer, pour la plus grande joie des touristes.
Si le corps du château est de style Renaissance italienne, l’ornementation des parties hautes, hérissées de cheminées et de tourelles d’escaliers, plus médiévale, évoque le style des châteaux forts et confère à Chambord sa silhouette si caractéristique, jamais aussi belle que lorsqu’elle se détache dans la brume du petit matin.
Au cœur du pouvoir et des passions
Depuis 500 ans, le château, qui a connu des hauts et des bas, a très souvent servi de décor au pouvoir en place. Le président Macron y a ainsi fêté son 40e anniversaire en 2017.
Louis XIV, qui en achève la construction, y séjourne souvent, accompagné par la troupe de Molière et de Lully qui y donne des comédies-ballets, dont Le Bourgeois gentilhomme. En 1820, il est offert au duc de Bordeaux qui vient de naître, dernier prétendant direct au trône de France, qui prendra ensuite le titre de comte de Chambord.
Le château et le domaine sont achetés par l’État français en 1930 et servent de refuge à certaines œuvres du Louvre pendant la guerre, la Joconde y séjournant quelques mois, dès août 1939. En 1950, apparaissent les premières chasses présidentielles, car Chambord est avant tout un vaste domaine boisé et clos de 5 440 hectares, entouré d’un mur d’enceinte (le plus grand de France) de 32 km de long, à la faune riche et variée.
Le château est actuellement en restauration afin de retrouver son aspect du XVIe siècle. Tout récemment, une polémique a surgi dans le milieu des monuments historiques lorsque le directeur a voulu redorer les épis de faîtage, les girouettes et les fleurs de lys, preuve qu’il continue à susciter les passions. Et alors qu’on avait l’habitude de le voir comme un château vide, on peut découvrir depuis le
14 juin dernier la reconstitution d’un décor d’époque dans neuf de ses pièces, dont un petit théâtre très réussi. Mais ce sera surtout le 6 septembre prochain qu’il proposera un grand spectacle numérique, avec concerts et feux d’artifices, pour fêter dignement les cinq siècles de ce rêve de pierre.