Simone Weil entre foi et philosophie
Par son attention aux autres, sa volonté de vivre en accord avec ses principes et son intense quête spirituelle, Simone Weil est l’une des figures les plus originales de la philosophie française. Elle n’occupe cependant pas encore toute la place qu’elle mérite.
Qualifiée par Albert Camus de « seul grand esprit de notre temps », Simone Weil est l’une des figures les plus originales de la pensée française au XXe siècle. Son engagement constant aux côtés des plus humbles et son inlassable quête spirituelle finira par la mener vers une forme de sainteté. Pendant toute sa brève vie, elle va pratiquer une philosophie incarnée, nourrie de son expérience directe du malheur humain.
Simone Weil est née le 3 février 1909 à Paris dans une famille bourgeoise juive mais agnostique. Son frère André, né en 1906, lui apprend à lire en cachette pour faire une surprise à leurs parents, alors qu’elle n’a que cinq ans et lui, huit.
Sa vocation charitable est très précoce. En 1914, elle refuse de manger du sucre quand elle apprend que les soldats dans les tranchées en sont privés. Très jeune, elle est attirée par le communisme. À dix ans, elle défile avec des grévistes en chantant l’Internationale et vend l’Humanité sur le parvis du Sacré-Cœur. Mais elle saura s’en détacher et deviendra l’une des rares intellectuelles de gauche à avoir le courage de dénoncer le stalinisme dès le début des années 1930.
En 1928, Simone intègre l’École normale supérieure en philosophie où elle développe une passion pour la Grèce antique. Elle obtient l’agrégation trois ans plus tard. Ses condisciples sont frappés par son absolue sincérité et son intransigeance envers toute forme d’injustice, qui la poussent vers une forme d’ascèse et le refus de tout plaisir.
Vivre au plus près des ouvriers
Elle choisit d’aller enseigner la philosophie au Puy, une région minière, pour être proche du milieu ouvrier, participant activement aux grèves de l’hiver 1931-32. À la fin de 1933, alors qu’il est pourchassé par Staline, Trotski se réfugie en France et est invité à passer le 31 décembre chez les Weil. Simone n’hésite pas à tenir tête à l’ancien chef de l’Armée rouge en lui reprochant les conditions de travail des ouvriers soviétiques, aussi dures que dans le monde capitaliste. Le ton monte plus d’une fois entre eux.
Aucun autre philosophe français n’aura eu autant à cœur comme Simone Weil de faire concorder actes et paroles. Il lui faut partager la vie et la misère des ouvriers et elle va travailler dans trois usines différentes entre 1934 et 1935. Elle y découvre un enfer et la conviction que les ouvriers sont trop écrasés pour renverser leur oppression. Les grèves de 1936, lors du Front populaire, la remplissent de joie. En juillet de la même année, elle s’engage dans les Brigades internationales, contre Franco, dans les rangs des anarchistes. Mais gravement brûlée, elle doit regagner la France. Elle dénoncera, en même temps que Georges Bernanos, les massacres des franquistes et les exécutions sommaires des républicains, soucieuse de lutter contre toutes les injustices, d’où qu’elles viennent.
Son cheminement vers le Christ
Entretemps, elle va rencontrer Dieu, et ce en trois étapes. D’abord au Portugal, en 1935, où elle éprouve son premier choc spirituel en assistant à une procession. Puis, elle se trouve en 1937 à la chapelle Santa Maria degli Angeli à Assise, quand « là, dans la chapelle de saint François, quelque chose de plus fort que moi m’a obligée pour la première fois de ma vie à me mettre à genoux ». Enfin, en 1938, elle décide de passer Pâques à l’abbaye Saint-Pierre de Solesmes : « Au cours de ces offices, la pensée de la passion du Christ est entrée en moi pour toujours ».
Elle se met à dialoguer intensément avec le père Perrin, un Dominicain, et le philosophe Gustave Thibon, catholique de droite, qui fera paraître à sa mort, son ouvrage le plus célèbre, compilé à partir de cahiers qu’elle lui avait confiés : La Pesanteur et la grâce. Tout en cheminant vers le catholicisme, elle est un peu mal à l’aise avec l’Église, trop hiérarchique à son goût. Elle mourra donc sans avoir reçu le baptême.
En juin 1940, elle se réfugie avec ses parents à Marseille, se sentant menacés parce que juifs. Elle y mène des activités de résistance et cheminement spirituel. Après un bref séjour à New-York, elle rejoint la France libre à Londres, où elle meurt de tuberculose le 24 août 1943, épuisée par une vie de fréquentes maladies. Ses livres paraîtront tous après sa mort, à partir de 1951, en grande partie grâce aux efforts d’Albert Camus.
Sa pensée, très originale, mêle sources grecques et Révélation chrétienne. Elle célèbre la beauté du monde (« C’est le sourire de tendresse du Christ pour nous à travers la matière »), tout en soulignant l’importance de l’expérience du malheur pour comprendre la condition humaine, reprenant ce vers du tragique grec Eschyle : « Par la souffrance, la connaissance ». Son concept central est celui de médiation, qui permet l’unité entre des êtres différents, et c’est le Christ qui incarne la « médiation divine » par excellence, entre les hommes et le Père, entre le Père et l’Esprit.
On ne saurait trop recommander de lire ses principaux textes, tel L’enracinement, ou sa correspondance, qui font d’elles une grande conscience morale susceptible d’éclairer notre époque et l’un des meilleurs écrivains français du XXe siècle.