Chez les invisibles
Ce défi difficile sera relevé avec les missionnaires qui œuvrent sur place. Témoignage du père Giancarlo Zamengo, directeur général du Messager, et du père Fabio Scarsato, directeur éditorial et auteur des photos, qui se sont rendus en Équateur pour évaluer la faisabilité du projet.
Je me trouve en pleine forêt, le ciel est grand, l’air est pur, cependant j’étouffe. Et ce n’est pas à cause du climat... Je me trouve à Jama, en Équateur. J’ai dans les mains des images de saint Antoine, j’en offre une au paysan en face de moi. Il me remercie, mal à l’aise. Autour de moi et du frère Fabio, des personnes silencieuses. J’ai la sensation qu’elles sont résignées. Elles croient peut-être que nous ne pouvons pas les aider. Je regarde mieux autour de moi et je m’aperçois qu’il y a quelque chose de bizarre. Partout où je suis allé, même dans les pays les plus pauvres, les enfants sont des enfants. Espiègles, curieux, bruyants. Ici, ils ne parlent pas, ne jouent pas, ne sourient pas. Je pense : « Tu as tout fait pour nous faire venir ici, saint Antoine ! ». Le Saint a voulu venir ici où l’espoir est faible, à l’autre bout du monde où personne ne le reconnaît.
Notre défi à relever
Tout commence à partir du terrible tremblement de terre du 16 avril 2016. Le nombre des victimes demeure inconnu car si en ville des aides sont arrivées, les habitants des villages dans la forêt n’ont pas été rejoints par les secours. Il s’agit surtout de familles de paysans qui vivent d’agriculture de subsistance, en pleine forêt, dans la misère la plus extrême. Que leur est-il arrivé ?
Le premier qui nous parle de ces familles est le père Walter Coronel qui a déjà été le référant pour des projets de la Caritas Saint-Antoine. Il est connu pour avoir choisi des paroisses difficiles, au cœur de l’Amazonie, qu’il rejoint par n’importe quel moyen : à pied, en canoë, à cheval… « Un projet post-tremblement de terre,
non », avions-nous dit au père Walter la première fois qu’il nous avait contactés. « Mais ce n’est pas que le tremblement de terre, venez voir ! », a-t-il insisté.
Nous sommes alors partis pour l’Équateur, le père Fabio et moi. Notre première étape a été Quito où se trouve un couvent de frères conventuels. Nous y restons une seule nuit : le lendemain, accompagnés par le frère Marco, nous partons pour Jama qui se trouve à 600 km. Pendant le voyage, le frère Marco nous explique que l’écart entre les riches et les pauvres se creuse. Et Jama en est un exemple. Ici, seules cinq familles sur 10 000 habitants possèdent toutes les activités du lieu.
Nous quittons la route principale et nous nous retrouvons dans une nuée de poussière : il n’y a pas de routes goudronnées. Nous arrivons enfin à Jama.
Le père Walter est exactement comme je l’imaginais : il a la force d’une avalanche malgré un grave problème de vue. Ce qui me frappe le plus est sa manière de faire face à des situations gravissimes avec un grand sourire. Mais sans être naïf !
Le jour suivant, nous partons pour Las Palmitas, un petit village dans la forêt de Jama où vivent 15 familles de cultivateurs et cueilleurs de cacao, complètement isolés. C’est ici que se trouve le premier chantier où tester le genre d’habitations que nous avons retenu pour le projet. Je demande à rencontrer les familles qui habiteront ces maisons, j’ai apporté des petits tableaux de saint Antoine qu’elles pourront accrocher dans leur nouvelle maison.
Saint Antoine a besoin de vous
Je m’aperçois que dans chaque baraque, il y a au moins deux handicapés. Tomasa est sourd-muette et 6 de ses 7 enfants ont le même handicap. La rencontre avec Isabel est celle qui me touche le plus. Elle a 9 ans, elle se place devant sa famille — ce qui m’étonne car d’habitude les enfants se cachent derrière leurs parents — et me regarde en silence. Une sœur m’explique qu’elle est la seule qui entend et parle dans sa famille. Elle se comporte déjà comme une adulte : elle sait qu’elle seule peut mettre en contact sa famille avec le monde, elle a pris la situation en main.
Le père Walter saisit mes pensées : « Il y a beaucoup de personnes handicapées ici. Cela est probablement dû à l’isolement et aux mariages entre consanguins. Il pourrait aussi y avoir d’autres causes, il faudrait faire des analyses… mais nous n’avons même pas l’argent pour les premières nécessités... ».
Je comprends alors la raison du silence, du fait que les enfants ne jouent pas. De cette sensation d’étouffer dans une atmosphère sans espoir. Je n’ai jamais vu une pauvreté si profonde. Je demande si quelqu’un s’occupe de ces personnes. Le père Walter m’explique que « des sœurs sont venues vivre ici et tissent leur espoir avec des petits gestes ».
Nous repartons le matin suivant pour un autre village encore plus éloigné et pauvre. Mais ici, c’est une tout autre histoire grâce à Mirian, la « sœur-curé de Buonos Aires », comme s’appelle ce groupe de cabanes.
Mirian nous attend au carrefour avec la route principale. Elle habite dans une maisonnette construite par l’évêque et vit de l’aumône des paroissiens dont elle est le point de repère. Elle se bat pour leur faire avoir la terre, les maisons, elle travaille avec les femmes et les enfants. Ici aussi, il y a de nombreux handicapés et une pauvreté immense mais la vie est en train de renaître. Nous entrons dans une maison en bois, et finalement on respire un air de fête. Les femmes cuisinent, les enfants jouent, espiègles et bruyants. Nous leur donnons du papier et des crayons pour qu’ils dessinent la maison dont ils rêvent… Damien ajoute un grand soleil sur sa maison, Kevin une voiture garée à côté. Carlita aimerait une maison avec des ailes ! La nouvelle maison fera la différence, elle reconstruira les familles et la communauté. Le soleil de Damien resplendira : l’espoir peut renaître même là où il semblait avoir disparu. Je vois quelle est la merveille d’être Église ensemble. Nous donnerons des maisons, les sœurs les rempliront de joie, le père Walter et l’évêque iront à la recherche d’âmes sans histoire pour leur redonner l’espérance. Saint Antoine nous a conduits ici, à l’autre bout du monde. Il nous a invités à entrer dans la maison des invisibles. Maintenant, il a besoin de nous pour rallumer leurs rêves.
(Avec la collaboration de Giulia Cananzi).