Consommer en chrétien
« Quand j’hésite entre des tomates bon marché pleines de pesticides venues d’Argentine et des tomates bio à 4 ¤ le kilo, je pense au petit coin de terre dont j’ai la responsabilité quand je consomme. Et j’achète les tomates bio », témoigne Stéphanie qui a choisi, au fil des années, de faire évoluer sa pratique de consommatrice pour la mettre en cohérence avec sa foi. « En effet, j’ai été très touchée par une intervention d’Amélie Huard, qui a fondé avec son mari un collectif de chrétiens engagés dans l’écologie intégrale. Elle nous conseillait de nous représenter mentalement la petite parcelle de la Création qui nous est confiée. À chaque fois que nous achetons quelque chose, nous avons des comptes à rendre sur la manière dont il est produit », relate-t-elle.
Une démarche qui s’inscrit pleinement dans ce qu’enseigne l’Église catholique à travers sa doctrine sociale : « Nous sommes faits à l’image d’un Dieu qui est créateur et qui nous invite à être créateurs », explique Pierre-Yves Gomez, fondateur du parcours Zachée, qui est suivi chaque année par des centaines de chrétiens désireux d’intégrer dans leur vie quotidienne la Doctrine sociale de l’Église. « La Création n’est pas achevée. Dieu a créé le monde et l’a confié aux hommes, en leur disant : “Dominez la Terre, soumettez les espèces”. Dès lors, nous avons un mandat. Chacun d’entre nous est dépositaire de quelques biens pour participer à la Création. Nous serons jugés sur notre gestion, sur la manière dont nous aurons usé des biens qui nous ont été remis, ainsi que le dit le Seigneur dans l’Évangile : “Bon gestionnaire, entre dans la joie de ton maître.” »
Bénédicte est responsable de la chronique « Consommer malin, consommer chrétien », sur la radio chrétienne locale RCF en Berry, qui invite chaque semaine les auditeurs à repenser leurs modes de vie au quotidien à la lumière de l’Évangile. Pour ce membre de la Communauté de l’Emmanuel adepte de la sobriété heureuse, le lien entre foi et manière de consommer est évident : « Dans notre communauté, nous disons chaque jour l’acte de consécration à Marie de saint Louis-Marie Grignion de Montfort, par lequel nous remettons à la sainte Vierge “tous nos biens intérieurs et extérieurs”. Alors, quand je jette une énième chaussette veuve ou que j’hésite à repriser un vêtement déchiré, je pense à Marie, et je me dis qu’elle avait sûrement un grand respect pour les biens qu’elle possédait. Il m’arrive de demander pardon pour le mauvais usage que je fais des biens ». Bénédicte est aussi très marquée par la Parole de Dieu, dans sa façon de consommer : « Quand je lis dans l’Évangile que le Fils de l’homme n’a pas où reposer sa tête, que les apôtres arrachent les épis de blé pour se nourrir, ou encore que Jésus se donne dans du pain et dans du vin, cela me fait réfléchir sur la manière de consommer de notre société d’abondance. Trop souvent, nous vivons comme si les biens de notre terre étaient illimités. » Or la « surconsommation nous éloigne du Christ », estime Bénédicte qui en fait l’expérience concrète dans sa vie quotidienne : « Je trie régulièrement mes affaires pour les donner. Quand je tarde un peu à faire cet exercice et que j’ai trop de biens amoncelés, je me sens étouffée dans mon rapport à Dieu. » Pour autant, elle met un soin particulier à faire son marché ou à choisir des biens de qualité qui plairont à ses enfants : « Consommer est aussi une manière d’aimer mon prochain. Acheter des vêtements ou des légumes à la va-vite ou sans discernement reviendrait à mépriser ceux à qui je les destine. »
Consommer avec discernement, sans oublier que la Création ne nous appartient pas, c’est ce à quoi le Pape invite en déclarant dans son encyclique Laudato Si’ : « Nous oublions que nous-mêmes, nous sommes poussière (cf. Gn 2, 7). Notre propre corps est constitué d’éléments de la planète, son air nous donne le souffle et son eau nous vivifie comme elle nous restaure ». À la suite de saint François, il évoque la Terre comme « la maison commune », ou encore comme « une sœur, avec laquelle nous partageons l’existence, et comme une mère, belle, qui nous accueille à bras ouverts ». « Nous avons grandi en pensant que nous étions ses propriétaires et ses dominateurs, autorisés à l’exploiter », écrit le Pape, qui dénonce « les dégâts que nous lui causons par l’utilisation irresponsable et par l’abus des biens que Dieu a déposés en elle ». « Si le seul fait d’être humain pousse les personnes à prendre soin de l’environnement dont elles font partie, « les chrétiens, notamment, savent que leurs devoirs à l’intérieur de la Création et leurs devoirs à l’égard de la nature et du Créateur font partie intégrante de leur foi ». Pour les chrétiens, rappelle le Pape tout au long de son encyclique, en appelant à l’« écologie intégrale », la charité envers l’humanité, en particulier la plus fragile, s’articule avec celle que nous devons à « notre sœur la terre ». D’où la prière finale : « Les pauvres et la terre implorent : Seigneur, saisis-nous par ta puissance et ta lumière pour protéger toute vie, pour préparer un avenir meilleur, pour que vienne ton Règne de justice, de paix, d’amour et de beauté. »