Anne Bernet : les anges, lien entre le ciel et la terre
Que disent les Écritures de ces anges et de leur importance dans notre vie spirituelle ?
Il faudrait commencer par voir ce que dit le Credo. Chaque fois que nous récitons le symbole du Concile de Nicée, nous rappelons que nous croyons « à l’univers visible et invisible », autrement dit, nous confessons notre foi dans l’existence des esprits bons et mauvais, du Ciel et de l’Enfer. Ces anges ont parfois été un peu écartés de l’enseignement chrétien. Je me souviens que dans les années 1970, on ne nous parlait pas des anges parce qu’on les considérait comme des survivances empruntées par la Bible à la mythologie babylonienne. Or, ces anges sont pourtant partie intégrante de la Révélation. C’est bien l’archange Gabriel qui descend dans le temple annoncer à Zacharie la naissance prochaine de Jean-Baptiste et qui visite ensuite la Vierge pour lui annoncer le Sauveur promis à Israël. C’est également l’ange qui vient annoncer aux disciples et à Madeleine, le matin de la Résurrection, que le crucifié n’est plus dans le tombeau. Les anges sont omniprésents dans la Révélation.
Après ces années de « mise à l’écart », comment l’Église a redécouvert l’importance de ces anges ?
Avant tout un peu par nécessité. À la fin des années 1980, sous l’influence du courant du Nouvel Âge, les anges ont fait un retour en force dans l’imaginaire populaire. Et quels anges ! Nous avons assisté à une flambée d’invocations aux anges, que l’on a affublés de noms impossibles. Je rappelle que l’Église a toujours condamné l’invocation des esprits bienheureux par des noms de fantaisie. Les textes sont très clairs : hormis les noms des trois grands archanges Michel, Gabriel et Raphaël, tous les noms angéliques sont des noms de démons. Le Nouvel Âge a fait fleurir une foule de nouveaux anges qui n’étaient vraisemblablement pas très catholiques. C’est à ce moment que l’on a assisté à une réaction dans l’Église qui n’a pas voulu laisser à ces courants ésotériques la récupération d’une croyance absolument nécessaire et fondamentale dans la foi. Nous avons ainsi redécouvert l’importance de ces anges. Nous assistons aujourd’hui une nouvelle fois à un intérêt pour les esprits mauvais et les démons, si l’on en juge par le nombre d’ouvrages publiés en français ou en italien, par exemple, par des exorcistes. On peut mesurer ainsi combien leur influence inquiète l’Église.
Tout cela étant porté par une littérature et œuvre cinématographique abondante, à quoi attribuez-vous cette redécouverte de ces « anges » ?
Les anges ont comblé un vide dans des sociétés marquées par une perte du sens religieux. Étrangement, de nombreuses personnes ne croient plus en Dieu ni dans les dogmes chrétiens mais s’accrochent en revanche à ces esprits angéliques, qu’ils confondent avec la bonne fée de Cendrillon ou le génie de la lampe d’Aladin. Dans la pensée catholique, le rôle de l’ange n’est ensuite absolument pas de nous protéger de tout, ni de satisfaire nos besoins matériels. Mais l’une des explications est aussi à trouver, je crois, dans notre monde où la solitude est très prégnante. Pour beaucoup, revenir à la croyance de l’ange gardien est très consolant, savoir qu’il est un protecteur ou un ami, encore faut-il comprendre qui sont réellement ces anges. Mais, je pense que cette croyance a pu ramener un certain nombre de personnes à la foi.
À quoi sert un ange ? Quelle est sa fonction ?
Je crois qu’il faut poser la question à saint Augustin qui le dit très joliment : si vous lui demandez sa nature, l’ange vous répondra qu’il est esprit et si vous lui demandez son rôle il vous répondra qu’il est ange, au sens grec du terme, angelos, c’est-à-dire « messager ».
Cette redécouverte des anges, dans nos sociétés sécularisées, c’est aussi celle de ce lien entre la terre et le ciel ?
Oui, je pense qu’il y a beaucoup de cela. Il y a quelques années, j’avais été touchée par le témoignage d’un de mes lecteurs. Pilote d’hélicoptère de combat, il m’avait dit qu’il ne montait jamais dans son appareil sans penser à son ange gardien, et me précisait faire toujours très attention, avant de refermer la portière, à ne pas coincer son aile ! Il me semble que cette image résume assez bien le rapport entre le croyant et l’ange. L’ange est un protecteur et un ami, un éclaireur qui montre la voie vers le ciel, mais aussi un guide et un consolateur.
Comment expliquez-vous cette popularité des anges-gardiens ?
Il faut le répéter : nous sommes dans un monde où la solitude est devenue pénible. Plus nous paraissons connectés, plus nous sommes seuls. Nous vivons par ailleurs dans des sociétés marquées par l’insécurité et l’angoisse. Or, il est quand même rassurant de se dire qu’il y a quelqu’un auprès de vous, qui vous protège, qui vous défend et veille sur vous. Mais ne pensons pas que l’ange gardien est là pour nous garder de tout mal et de toute catastrophe.
Ange déchu, le diable est revenu lui aussi « à la mode », alors que, y compris chez les chrétiens, certains ont voulu l’oublier…
Oui, y compris certains prêtres. J’ai même entendu des exorcistes me dire qu’ils ne croyaient pas à la présence ou l’existence du démon ! Néanmoins, la présence du mal dans le monde a remis sur le devant de la scène cet ange déchu. Le diable n’est pas une figure mythologique, ni l’incarnation de nos pulsions mauvaises et serait donc le moyen de nous dédouaner de nos propres fautes et péchés, il est vraiment le diviseur, si l’on en revient à ses racines étymologiques.
L’archange saint Michel est très populaire chez les chrétiens, sa figure transcende les milieux culturels et sociaux, comment l’expliquez-vous ?
Saint Michel est avant tout le patron d’Israël, donc très logiquement il est passé à l’Église. Au IVe siècle, après la conversion de l’empereur Constantin, l’empire romain s’est rattaché au patronage de saint Michel et de nombreux royaumes se sont mis sous sa protection. Cette popularité se manifeste dans des faits historiques. Je vous renvoie au règne du pape Grégoire le Grand à la fin du Ve siècle, pendant l’épidémie de peste, où les pèlerins voient saint Michel ranger son épée dans le fourreau, ce qui fait cesser l’épidémie. Le Pape fera construire le fameux château Saint-Ange à l’endroit du mausolée d’Adrien. Cette popularité est immense, elle se manifeste bien sûr au Mont Saint-Michel, lors de la protection accordée par la France au moment de la guerre de Cent Ans. Cette protection dépasse de très loin les clivages politiques. Saint Michel est invoqué dans bien d’autres contextes, il est un des patrons de l’Italie et de l’Allemagne et il est inimaginable qu’il soit récupéré à des fins nationalistes !
Les catholiques doivent-il redécouvrir les anges ?
Il faut toujours les redécouvrir, d’abord pour ne pas les laisser aux milieux ésotériques, où l’on ne sait pas trop quels esprits sont invoqués. Il est excellent de revenir à la dévotion aux saints anges pour cultiver notre histoire spirituelle. En ce centenaire des apparitions de Fatima, on peut se rappeler que les petits voyants ont vu l’ange avant le cycle d’apparitions mariales. Enfin, il faut se souvenir que toutes les communautés, pays, églises, paroisses ont leur ange gardien. Il est toujours important d’invoquer leur intercession, afin qu’ils conduisent leurs protégés vers le Royaume du Père.