Être père : une grâce
Pierre a 42 ans, professeur d’histoire à l’université. Marié à Géraldine, il est papa de trois jeunes enfants. Jolie famille, sans histoire, foyer aimant où les années sont passées sans nuages. Pourtant, depuis quelques mois, Pierre est en plein doute. Ses enfants testent ses limites, il est devenu irritable et des tensions sont apparues avec son épouse. « On parle souvent de la crise de la quarantaine, raconte-il, je ne sais pas trop ce que cela veut dire mais disons que je vis une période de remise en question, et c’est la première fois que je me retrouve avec des interrogations sur le sens de mon rôle de père, sur ce que signifie tenir ma place au sein de ma famille ».
Comme Pierre, nombreux sont les pères à traverser une phase de sécheresse dans un monde où il est demandé que le père soit à la fois fort, présent, protecteur, mais aussi, dans une période où se brouillent les repères anthropologiques, qu’il dévoile sa part de féminité, qu’il joue parfois un rôle de « mère »…
Cette période de fragilité chez le papa quadragénaire a correspondu aussi avec un assèchement spirituel, un sentiment de ne plus vraiment percevoir quelle est la volonté de Dieu pour sa vie. Invité par un ami, Pierre a décidé l’an dernier de participer au pèlerinage des pères de familles organisé au début de l’été à Cotignac dans le Vaucluse. « Au cours de cette marche, j’ai pu confier à saint Joseph mes difficultés de père, explique Pierre, mais surtout tisser un solide réseau d’amitié en partageant des souffrances et en portant celles des autres papas ».
Signe des temps, la marche des pères vers Cotignac est un succès grandissant. Depuis trente-cinq ans, ce pèlerinage, commencé de manière confidentielle, réunit chaque année pas moins de 1 200 papas. Un succès qui a donné naissance à de nombreux autres pèlerinages partout en France. À Vézelay, mais aussi de l’Auvergne aux Pyrénées, en passant par la Bretagne, ou même l’Île de La Réunion !
Paternité terrestre, paternité spirituelle
D’où viennent ces difficultés à parfois « trouver sa place ? » Être père consiste à trouver sa place dans une famille où la mère, en quelque sorte, l’est déjà avant la naissance de l’enfant. Ce qui n’est pas sans poser parfois des difficultés, en raison de l’attachement de la mère à l’enfant, plus ou moins prononcé, de la puissance du complexe d’Œdipe.
Mais la paternité, si elle n’est pas « acquise », se construit ou plutôt, pourrait-on dire, se « déploie » avec patience et humilité. L’autorité du père consiste finalement à poser des limites à son enfant, afin qu’il ait un cadre et des repères pour sa vie.
Comme saint Joseph, la paternité est d’abord présence aimante et fidèle, et acceptation humble de son rôle. Joseph, en entendant les paroles de l’ange en songe, accepta la volonté du Seigneur de choisir son épouse pour enfanter le Sauveur.
Sept qualités
Lors d’une audience en février 2015, le pape François, dans une série de catéchèses consacrées à la famille, résumait les qualités d’un « bon » père de famille, qu’il énumérait au nombre de sept, chiffre qui rappelle les dons de l’Esprit Saint.
Le Pape expliquait d’abord que les enfants ont besoin d’un père qui fasse preuve de sagesse de cœur. Une sagesse qui conduit à la maturité, celle d’enseigner et de corriger les erreurs, tout en sachant rester discret.
Troisième caractéristique, la proximité envers son enfant et sa mère. Cela passe par un partage des joies et des souffrances avec l’épouse, et des moments d’accompagnement privilégiés de l’enfant, au cours des différentes phases de sa croissance. Il est présent pour guider et rassurer. Quatrième qualité, la patience, essentielle, que ce soit dans les tâches du quotidien comme dans la vie de prière.
La magnanimité est la cinquième qualité énumérée par le Pape : comme dans la parabole du Fils prodigue, « les enfants ont besoin de trouver un père qui les attende quand ils reviennent après leurs échecs ».
Sixième qualité, la fermeté, le père doit savoir corriger avec fermeté mais sans humilier, enfin, et c’est sans doute ce qui sous-tend les autres, le père doit être un homme de foi. « Sans la grâce de Dieu, les pères se découragent », expliquait le Souverain Pontife, invitant à cultiver la vie spirituelle.
Accompagner et dépasser
À différents niveaux, le rôle du père est fondamental dans la construction de son enfant. Outre son rôle symbolique de référent pour celui-ci, il a également un rôle de différenciation : il fait prendre conscience à l’enfant du monde qui l’entoure. Les psychologues mettent également en évidence la fonction « séparatrice » paternelle, en ce sens que le père apprend à l’enfant à prendre confiance en lui, en l’invitant à se tourner vers l’extérieur, à avoir une juste distance avec sa mère.
« C’est alors que le père met au monde l’enfant, il l’invite à se dépasser, l’entraîne plus loin que cette sécurité maternelle pour qu’il puisse trouver la sécurité en lui-même », explique le père Nicolas Buttet, fondateur de l’institut Philanthropos près de Fribourg.
Dans sa période de doutes, Pierre a le sentiment de ne pas trouver sa place face à son épouse, parfois trop fusionnelle avec ses enfants. « Cela m’a forcé à beaucoup communiquer », souligne-t-il, pour lui partager ses difficultés. C’est à la femme de faire découvrir à l’homme qu’il a sa place, insistent les psys. Encore faut-il que chacun accepte d’exercer son rôle. « Le plus souvent, ce sont les pères qui refusent de prendre leur place de père, alors que les mères n’attendent que ça. Mais je vois aussi des pères qui se transforment en “mère bis”, ou qui veulent avant tout être “copain” » explique le psychanalyste Jean-François Rouzières.
« Dans un sens, le père se soumet à ses enfants pour les aider à grandir en maturité », poursuit Nicolas Buttet. Le père n’est pas là pour écraser, mais se fait au contraire plus petit, il « se met au niveau de », pour emmener plus loin, pour accompagner, à l’image de saint Joseph.