Que viva España franciscana !

22 Juin 2011 | par

 

« François prit la route du Maroc pour prêcher l’Évangile au miramolin et à ses coreligionnaires ; si grand était le désir qui le poussait vers le martyre qu’il abandonnait parfois son compagnon de voyage et se hâtait, ivre en esprit, de mettre son projet à exécution. Mais alors qu’il était déjà allé jusqu’en Espagne, le bon Dieu lui résista en face et l’empêcha d’aller plus loin en lui infligeant une maladie et en le faisant revenir du chemin sur lequel il s’était engagé » (Thomas de Celano, Vita prima, 57). Les historiens sont unanimes à reconnaître que durant l’été 1213, le poverello a tenté de rejoindre le Maroc par la voie terrestre, c’est-à-dire en passant par la Provence, le Languedoc et enfin l’Espagne. Mais jusqu’où est-il allé ? S’est-il rendu à Saint-Jacques de Compostelle, comme le racontent les Fioretti (ch. 4) ? C’est moins sûr. Quoi qu’il en soit, dès 1217, l’Espagne est du nombre des contrées vers lesquelles se dirigent les frères.

Les sources franciscaines témoignent de cette très ancienne présence des frères dans la péninsule Ibérique. Rencontrant François, un prêtre espagnol lui parle de ses frères en Espagne : « Tes frères, qui demeurent dans notre pays en un pauvre petit ermitage, se sont fixé ce mode de vie : se consacrer la moitié du temps aux soucis de la maison, l’autre moitié à la contemplation. » Et le prêtre de raconter qu’un jour, après avoir mis la table et sonné la cloche, tous les frères se réunissent, sauf un « qui était de ceux qui contemplent »... On le cherche, et on finit par le retrouver dans sa cellule, « prosterné la face contre terre, les bras en croix, immobile et sans respiration. À sa tête et à ses pieds brûlent deux chandeliers qui éclairent sa cellule

d’un éclat rougeoyant ». On le laisse en paix pour ne pas troubler son extase, mais soudain la lumière disparaît et

le frère revient à lui. Il se rend à table où il dit sa coulpe pour son retard. Et le prêtre espagnol de conclure : « C’est ainsi que cela se passe dans notre pays. » François exulte.

Parmi les récits de miracle réunis par Celano, il en est un qui concerne un paysan de Sahagun (province de Léon). Celui-ci a la curieuse idée de confier son cerisier qui est en train de dépérir à l’intercession de François ! Et « de façon admirable et contre toute espérance », l’arbre reverdit, fleurit et produit à nouveau des fruits. Et depuis, chaque année, l’homme apporte de ses cerises aux frères – pour leur plus grande satisfaction !

 

L’effervescence conventuelle

Au cours du XIIIe siècle, au moins quatre-vingts couvents sont fondés en Espagne, et notamment dans les grandes villes – Tolède, Barcelone, Séville. Dès 1228, les Clarisses sont présentes à Pampelune et, à la mort de Claire (1253), le pays compte une vingtaine de monastères. Par la suite, toutes les époques, toutes les réformes franciscaines, qu’elles soient masculines ou féminines, ont suscité de nouvelles vagues d’implantation... Certaines branches sont nées en Espagne et restent pratiquement inconnues en France. C’est le cas de l’Ordre de l’Immaculée Conception fondé par sainte Béatrice de Silva (1424-1490). Les moniales conceptionnistes, au bel habit bleu et blanc comme celui de la Vierge, fêtent cette année le cinquième centenaire de leur règle définitive (1511). Au sein de cette multitude de frères et de sœurs, la sainteté a fleuri : Pierre d’Alcantara, Diego-Joseph de Cadix, Pascal Baylon, Didace d’Alcala, François Solano, la capucine Marie-Angèle Astorch, Salvador de Horta...

Parmi les martyrs de la guerre civile (1936-1939) récemment béatifiés, figurent des membres de toutes les branches franciscaines. Ainsi, deux franciscains conventuels, Alphonse Lopez Lopez et Michel Remon Salvador, sont fusillés ensemble à Samalus, près de Barcelone, le 3 août 1936. L’aîné, Alphonse Lopez Lopez, entré tardivement en vie religieuse, fait profession en Italie, en 1911, et est ordonné prêtre la même année. Il est réputé pour son amour de Dieu et du prochain. Confesseur à Lorette, il revient au pays, à Granollers (Catalogne), où, comme maître des novices, il forme le jeune Michel Remon Salvador. Celui-ci se montre toujours affable et pacifique. Les deux franciscains refusent d’apostasier et meurent en répétant « Seigneur, pardonne-leur ».

 

Un riche patrimoine

En dépit des guerres et de l’anticléricalisme destructeur du XIXe siècle, l’Espagne a conservé un patrimoine franciscain extrêmement riche, et on ose espérer que les jeunes qui vont se rendre aux JMJ – et surtout les jeunes laïcs franciscains – vont prendre le temps de le découvrir.

À Madrid, les grands musées regorgent d’œuvres franciscaines : notez, au Prado, Saint Jacques de la Marche par Zurbarán, et à l’Académie des Beaux-Arts de San Fernando, l’Indulgence de la Portioncule par Claudio Coello. Toujours à Madrid, il faut entrer dans l’église San Francisco el Grande, ne serait-ce que pour voir, près de la sacristie, Saint Bonaventure recevant la visite de Thomas d’Aquin, une peinture de Zurbarán provenant du couvent d’Alcala de Henares. La petite église de San Antonio de la Florida (non loin de la gare Principe Pio) conserve un très bel ensemble de fresques de Goya consacrées à saint Antoine de Padoue. D’ailleurs, la tombe du grand peintre – qui avait demandé à être enseveli avec l’habit franciscain – se trouve dans cette église.

En cette année jubilaire, on peut s’arrêter plus particulièrement aux monastères de conceptionnistes, nombreux en Espagne (ils portent souvent le nom « de la Purísima Concepción »). Le premier monastère (proto monasterio) de Tolède mérite véritablement le détour. Il a été établi dans les bâtiments d’un couvent franciscain du XIIIe siècle. Dans le « cloître bas » (car il y a deux étages de cloître), subsiste une fresque montrant François et le séraphin, et les ailes de ce dernier sont d’un rose absolument extraordinaire. Le site très bien documenté du monastère (www.concepcionistastoledo.org) permet de voir ce fameux séraphin, et de préparer d’excellents desserts à partir des « recetas del convento »...

Puissent ces chefs-d’œuvre permettre aux JMJistes de mieux rencontrer les actuels frères et sœurs de la famille franciscaine. Le tremblement de terre qui a secoué la petite ville de Lorca en mai dernier a très gravement endommagé l’église du monastère des clarisses. Les dix moniales (aucune n’a été blessée, c’est un vrai miracle), aidées par leurs voisins, ont eu comme premier souci de retrouver dans les décombres de l’église le tabernacle et l’ostensoir ! Bref, ce sont de vraies clarisses !

Updated on 06 Octobre 2016