Kirishitan, chrétien en japonais
Tous, nous avons admiré le courage et la dignité dont ont fait preuve les Japonais, après le tsunami du mois de mars. Pour faire davantage connaissance avec nos frères japonais, et en particulier avec les chrétiens, plongeons-nous dans l’histoire franciscaine du pays du soleil levant.
Après le séisme du 11 mars dernier, le père O. Chegaray, responsable des Missions étrangères de Paris pour le Japon, a témoigné de son admiration pour « le sang-froid et la dignité exemplaires » dont les Japonais ont fait preuve dans leur malheur. Dans un e-mail daté du 14 mars, il déclarait : « Hier, à la messe dominicale, alors que je prononçais l’homélie, l’église a été fortement secouée. J’avoue avoir eu du mal à garder tout mon aplomb, mais personne dans l’assistance n’a bougé... » Pour manifester notre proximité spirituelle à l’égard des catholiques japonais (450 000 personnes sur plus de cent millions d’habitants), nous pouvons relire leur histoire, et plus spécialement l’histoire de leurs liens avec la famille franciscaine.
L’arrivée de saint François Xavier à Kagoshima (15 août 1549) marque le point de départ de la première évangélisation du Japon. En une trentaine d’années, c’est une mission florissante et exclusivement jésuite qui voit le jour. En 1583, lorsque le dictateur Hideyoshi décide l’expulsion des missionnaires, les chrétiens (les kirishitan), au nombre de 200 000, sont répartis en de nombreuses communautés, et la grande église dédiée à Notre-Dame de l’Assomption constitue l’un des monuments les plus célèbres de Kyoto.
En 1593, un frère mineur espagnol, Pierre-Baptiste, envoyé comme émissaire par le gouverneur des Philippines auprès de Hideyoshi, brise le « monopole jésuite », réussit à faire venir des compagnons, à établir des couvents et à construire une léproserie près de Nagasaki. Cette mission franciscaine connaît elle aussi une certaine prospérité, mais bientôt nos religieux sont injustement soupçonnés de préparer l’invasion du pays par l’Espagne. Le dictateur fait procéder à des arrestations et prononce vingt-six condamnations à mort : Pierre-Baptiste et cinq franciscains espagnols (dont Philippe de Jésus, originaire de Mexico), trois jésuites japonais (dont Paul Miki), et enfin dix-sept tertiaires franciscains japonais, parmi lesquels deux jeunes garçons de onze et treize ans, Louis et Antoine. Rassemblés à Kyoto, les condamnés vont parcourir un long chemin de croix de 800 km, en plein hiver, et, le 5 février 1597, ils sont crucifiés face à la mer– face à l’occident –, sur une colline dominant Nagasaki. Ainsi commence une ère de persécutions qui va se prolonger pendant toute la première moitié du XVIIe siècle. De nombreux missionnaires sont martyrisés, et un système inquisitorial se met en place pour éradiquer définitivement le christianisme. Pour forcer les chrétiens à se dénoncer ou à apostasier, on les oblige à fouler aux pieds une image religieuse. En 1627, Rome béatifie les martyrs de Nagasaki, et l’événement provoque une importante production iconographique. Il subsiste de très nombreuses représentations des crucifiés, depuis la célèbre gravure de Jacques Callot jusqu’aux multiples fresques des églises franciscaines d’Amérique latine.
La seconde évangélisation du Japon
Pendant deux siècles, le Japon vit coupé du monde. Dans les années 1840, les autorités japonaises laissent à nouveau accoster les navires occidentaux, et aussitôt, les missionnaires en profitent pour s’introduire dans le pays. Les prêtres des Missions étrangères de Paris sont parmi les premiers à entrer au Japon, et le père Petitjean fait bâtir à Urakami, près de Nagasaki, une église dédiée aux martyrs de 1597 – désormais canonisés (1862). Le 17 mars 1865, un mois après la consécration de l’église, des villageois d’Urakami se présentent de leur propre initiative au père Petitjean et lui tiennent ces propos étonnants : « Notre coeur est comme le vôtre. Maria-sama no dozo wa doko ? (où est la statue de Marie ?) » Le missionnaire français n’en croit pas ses yeux : il se trouve en présence de « chrétiens cachés ». En dépit des persécutions et en l’absence de tout clergé, des kirishitan ont réussi à se transmettre de génération en génération l’essentiel de la foi chrétienne. À la même époque, des œuvres d’art précieusement conservées dans les familles réapparaissent au grand jour, comme ce tableau d’inspiration franciscaine baptisé Notre-Dame du Japon, qui se trouve aujourd’hui... à Paris, au couvent des frères mineurs capucins.
Cette rencontre entre les « chrétiens cachés » et les missionnaires européens (on en fêtera en 2015 le 150e anniversaire) marque le début de la seconde évangélisation du Japon. La famille franciscaine y prend une part active. Au début du XXe siècle, des frères mineurs canadiens, puis allemands, s’implantent dans le nord du pays, à Sapporo. En décembre 1921, un franciscain français, le père Maurice Bertin, aidé de frères canadiens, ouvre une mission à Nagasaki. Aujourd’hui les frères mineurs constituent une petite province de 80 religieux. Ils ont joué un rôle important dans la traduction de la Bible en japonais. Les capucins, arrivés après la seconde guerre mondiale, forment une custodie d’une vingtaine de frères, présents surtout dans l’île d’Okinawa, à l’extrême sud du pays.
Les frères mineurs conventuels ont aussi écrit une belle page de cette deuxième évangélisation. En 1930, le père Maximilien Kolbe arrive à Nagasaki dans l’espoir d’y fonder une nouvelle cité de l’Immaculée. Un de ses jeunes compagnons, le frère Zenon Zebrowski († 1982) va donner toute la mesure de son zèle apostolique après le bombardement atomique. Il est l’abbé Pierre et mère Teresa réunis. Il fonde des orphelinats et un village de chiffonniers près de Tokyo, la « cité des fourmis ». Sous son influence, une jeune chrétienne d’un milieu aisé, Marie Elisabeth Satoko Kitahara (1929-1958), donne sa courte vie aux plus pauvres et meurt dans une grande réputation de sainteté. Les franciscains conventuels sont en charge du procès en béatification de cette figure lumineuse de catholique japonaise.
Aujourd’hui, en dépit de la visite du bienheureux Jean-Paul II (février 1981), le catholicisme semble marquer le pas au Japon. Le nombre de fidèles est en baisse depuis plusieurs années. Une « troisième évangélisation » apparaît nécessaire, afin de proposer aux Japonais un christianisme davantage inculturé et plus enraciné dans l’Évangile. En invoquant « Notre-Dame du Japon », espérons que, cette fois encore, des ouvriers franciscains répondront présents ! n
Pour en savoir plus :
Pierre Dunoyer, Histoire du catholicisme au Japon, 1543-1945, Paris, le Cerf, 2011, 25 euros
Sylvie Morishita, « Notre-Dame du Japon : un tableau kirishitan retrouvé à Paris », dans Études franciscaines, 2010, fascicule 1, p. 125-137.