Jean-Paul II, les Franciscains et Cracovie
Cracovie. De part et d’autre de la rue Franciszkanska, l’archevêché et le couvent des franciscains conventuels. En voisin, Karol Wojtyla a fréquenté les frères. Le rappel de ces liens accompagne une brève visite franciscaine de l’une des plus belles villes de l’Europe du Centre-Est.
Cracovie, 2 Avril 2011, 21h37... Les Polonais n’ont pas oublié. Ils se sont rassemblés en face du n° 3 de la rue Franciszkanska (la rue “franciscaine”), ils ont apporté leurs petites bougies, et font mémoire de cet instant où, en 2005, ils ont perdu leur Père et leur frère, “leur” pape Jean-Paul II. Mais pourquoi à cet endroit ? Le n° 3 de la Franciszkanska correspond à l’archevêché de Cracovie. Pendant presque quinze ans (1964-1978), ce fut la résidence de Karol Wojtyla.
De l’autre côté de la rue (et c’est la raison de son appellation), un large parvis nous découvre la façade de l’antique basilique Saint-François de Cracovie. Depuis 1237, c’est ici que bat le cœur franciscain de l’ancienne capitale de la Pologne. Au départ, ce sont les liens du voisinage qui ont uni Karol Wojtyla et les frères mineurs conventuels. De sa fenêtre, il pouvait voir l’église (dont les parties les plus anciennes remontent au XIIIe s.), mais aussi les vastes bâtiments du couvent, où se sont formés tant de jeunes franciscains, notamment Maximilien Kolbe. Le père Siméon Barcyk, frère mineur conventuel, se souvient : « Le cardinal Wojtyla célébrait une messe tous les ans pour la Saint-Sylvestre dans notre basilique, après quoi il rencontrait nos frères étudiants. Dès qu’il se trouvait à Cracovie, c’est ici qu’il venait réciter son bréviaire. On le voyait même parfois confesser, dans le dernier confessionnal à droite. En 1974, toujours dans notre église, il était intervenu au cours du Symposium international organisé à l’occasion du 700e anniversaire de la mort de saint Bonaventure. » Et le vieux franciscain d’ajouter avec émotion : « C’est lui qui m’a ordonné diacre ! »
Les plus jeunes frères, quant à eux, se souviennent avant tout des visites du pape. En 1979, il avait rencontré les malades à l’intérieur de la basilique. En 1991, il s’était entretenu avec les familles des franciscains polonais qui, quelques jours auparavant, étaient morts pour le Christ dans les Andes péruviennes. Mais pour ces jeunes frères mineurs, comme pour toute la jeunesse cracovienne, les moments les plus inoubliables restent encore ceux qu’ils ont passés à guetter le pape à sa fenêtre. Ils étaient nombreux à se rassembler en soirée devant le 3 de la rue Franciszkanska, pour une dernière prière, quelques chants, et un échange de plaisanteries à n’en plus finir...
2 avril 2005. Le soir même où l’on apprend le retour de Jean-Paul II vers le Père, les franciscains font réaliser une immense affiche qu’ils suspendent à leur mur, juste en face de la “fenêtre du pape”. On peut y lire ces mots, inspirés par le Cantique des créatures de saint François d’Assise : « Sois béni, Seigneur... pour Jean-Paul II » et cette signature : « les voisins franciscains ».
Cracovie la franciscaine
À André Frossard qui l’interrogeait sur ses modèles, Karol Wojtyla avait répondu : « Je dois beaucoup à saint François d’Assise, qui, ne se croyant pas digne de l’ordination, s’en tint au diaconat, et à frère Albert Chmielowski, son plus fidèle disciple dans ma patrie. » Or c’est à Cracovie que frère Albert a fondé ses congrégations. Et Cracovie regorge d’établissements franciscains. Ainsi, non loin de la basilique Saint-François, sur la rue Grodzka, voici le monastère des Clarisses. L’église, dédiée à saint André, est l’une des plus anciennes de la ville. Elle présente en guise de façade un “massif occidental” typique de l’art roman du nord-est de l’Europe. À l’origine, c’est un monastère bénédictin ; les Clarisses, fondées en 1245 par la bienheureuse Salomé (†1268), héritent de cette église en 1318. Aujourd’hui elles sont une quarantaine de moniales.
En poursuivant la rue Grodzka, au pied du château de Wawel, surgit l’imposante église baroque des Bernardins. C’est ainsi qu’on appelle en Pologne les Franciscains Observants à cause du plus illustre d’entre eux, Bernardin de Sienne. En 1453, Jean de Capistran, cette autre colonne de l’observance, prêche à Cracovie ; il fait si forte impression que les Observants font souche immédiatement. À un petit édifice en bois succède bientôt une grande église de pierre dont la dernière reconstruction remonte à la fin du XVIIe s. Les statues des grands saints de l’Ordre montent la garde sur la façade tandis qu’à l’intérieur, de nombreux autels permettent de découvrir des figures moins connues, comme celle de saint Simon de Lipnika, canonisé en 2007. Cet étudiant de l’université de Cracovie se convertit brutalement en écoutant la prédication de Jean de Capistran. Devenu franciscain, il parcourt la Pologne en propageant le culte au saint nom de Jésus. La peste s’étant déclarée à Cracovie, il se dévoue, avec ses frères, au service des malades. Il finit lui-même par succomber à la terrible maladie (1482).
Les Réformés (l’équivalent de nos Récollets) s’installent eux aussi à Cracovie. Leur couvent Saint-Casimir, d’abord implanté dans les faubourgs, est ruiné par l’invasion suédoise. En 1658, il est rapatrié en vieille ville, à l’ombre des remparts aujourd’hui remplacés par un poumon vert, le “Planty”. Depuis cette date, les frères n’ont jamais quitté les lieux.
Plus récemment arrivés (1695), les Capucins ne sont pas les moins populaires à Cracovie. Leur couvent, bâti à l’extérieur du noyau primitif de la ville, est une vraie ruche. À droite de l’église, la chapelle Notre-Dame de Lorette (1712-1719) est chère au cœur des Polonais. Durant tout le XIXe s., elle sert de point de ralliement à ceux qui se battent pour l’indépendance de la Pologne. C’est aussi dans cette chapelle que l’un des insurgés de janvier 1863, Adam Chmielowski (le fameux frère Albert, canonisé en 1989), prend l’habit de tertiaire franciscain en 1887.
Mais toute cette vie franciscaine se conjugue aussi au présent et au futur... Les Franciscains de Cracovie disposent d’une bonne équipe de football et les Capucins réunissent début septembre un chapitre des nattes en présence de leur ministre général et du frère Raniero Cantalamessa, le prédicateur de la Maison pontificale.