Des tertiaires aux laïcs franciscains
François « met en place trois Ordres : le premier, il l’appelle celui des Frères Mineurs, celui des Pauvres Dames devient le médian, mais le troisième, celui des Pénitents, accueille les deux sexes ».
Cette antienne des laudes de la fête de saint François, composée par Julien de Spire pour la canonisation du Poverello (1228), indique clairement une conviction partagée très tôt par les Frères : François a fondé trois Ordres, et le troisième est destiné aux hommes et aux femmes restés dans le monde. En réalité, il s’agit là d’une reconstruction a posteriori, et le mouvement de pénitents est antérieur à François. Mais qu’importe ! Les pénitents franciscains, regroupés sous la bannière d’un “Tiers-Ordre”, seront appelés “tertiaires”.
Nous n’allons pas retracer ici la longue histoire de ce Tiers-Ordre, mais seulement évoquer son évolution récente en France. Notons simplement que dès le XIIIe siècle, il a pris deux directions très différentes : d’une part, des hommes, mais surtout beaucoup de femmes, ont vécu une vie religieuse en communauté. De ce Tiers-Ordre “régulier” sont issues toutes nos congrégations de Sœurs Franciscaines. D’autre part, des gens souvent mariés, mais aussi célibataires (par exemple des prêtres), ont constitué des fraternités du Tiers-Ordre “séculier”.
Léon XIII et le renouveau du Tiers-Ordre
Ces fraternités étant par principe reliées à un couvent de Frères, la Révolution va leur porter un coup fatal en supprimant les Ordres religieux. Néanmoins certaines parviennent à se maintenir et retrouvent le chemin des couvents lorsque ceux-ci réapparaissent au milieu du XIXe siècle.
À Paris, la fraternité qui s’était réunie au Grand Couvent des Cordeliers sous l’Ancien régime, se place sous l’obédience (autorité) des premiers fils de saint François revenus dans la capitale, en l’occurrence les Capucins, en 1853. Mais le Tiers-Ordre ne retrouve un réel dynamisme qu’avec l’avènement du pape Léon XIII, lui-même tertiaire. Pour le septième centenaire de la naissance de saint François (1882), le pape délivre une encyclique par laquelle il invite fortement les évêques « à faire connaître et estimer à sa valeur le Tiers-Ordre ». Léon XIII considère en effet que seule « cette sainte milice de Jésus Christ » peut apporter des remèdes aux maux dont souffrent les sociétés occidentales (lutte des classes, franc-maçonnerie, individualisme). La France se couvre alors de fraternités, parfois très nombreuses (Roubaix), et les tertiaires s’engagent dans le catholicisme social. « Si le socialisme est devenu le danger imminent de notre société, le capitalisme, c’est-à-dire la prédominance injuste du capital, et les abus qui en sont résultés, sont les vraies causes du désordre social actuel », déclarent les participants au premier congrès national du Tiers-Ordre réuni à Paray-le-Monial en 1893. Cette accentuation sociale finit par inquiéter Rome, et dès le début du XXe siècle, les tertiaires sont invités à considérer le Tiers-Ordre avant tout comme « une école de perfection chrétienne ».
Pendant la première moitié du XXe siècle, les effectifs des fraternités restent importants (peut-être deux cent mille tertiaires en France dans les années vingt), mais le Tiers-Ordre s’interroge sur son avenir. Il subit de plein fouet la concurrence de l’action catholique, mieux armée pour l’apostolat ; tout en ayant conscience de son unité, il souffre d’être séparé en deux obédiences, franciscaine et capucine ; enfin, il hésite sur ce qui fait son caractère propre. Est-il, oui ou non, un Ordre religieux ? À cette époque, les tertiaires prennent un nom de religion, font leur “profession” après un temps de “noviciat”, et se font souvent enterrer avec l’habit de l’Ordre.
Du Tiers-Ordre à l’Ordre franciscain séculier
Ici comme ailleurs, les premiers changements ont lieu pendant la Deuxième guerre mondiale. En 1941, à une époque où la plupart des fraternités ne sont pas mixtes, le père Pol de Léon Albaret réunit les premiers couples tertiaires et jette les bases de la fraternité Notre-Dame des foyers, appelée à connaître un rayonnement important. Mais la vraie révolution se produit aussitôt après les événements de mai 68. Réunis en juillet à la Champfortière, les délégués laïcs des deux obédiences proclament l’unité du Tiers-Ordre, son caractère séculier (c’est-à-dire non-religieux), et son autonomie par rapport au Premier Ordre. Ce vent de réforme se propage au monde entier et conduit à l’approbation par Paul VI d’une nouvelle règle (1978), destinée, non plus au Tiers-Ordre, mais à l’Ordre Franciscain Séculier (OFS). On ne parle plus de “profession”, mais “d’engagement” pour les laïcs franciscains. Quant aux frères accompagnant les fraternités, ils ne sont plus appelés les “directeurs”, mais les “assistants”. Tous ces changements de vocabulaire sont significatifs.
Ce renouveau des structures s’accompagne d’une longue période de crise en France. Les effectifs sont en chute libre. Depuis 1971 (600 fraternités pour 15 000 membres), ils ont été divisés au moins par trois, et les jeunes sont très peu nombreux. Dans beaucoup de fraternités, l’Église fait l’objet de critiques virulentes, et “l’engagement” dans l’OFS n’apparaît guère concevable.
Depuis quelques années, cette spirale du découragement et du déclin paraît enrayée. Dans chaque branche du Premier Ordre, des Frères manifestent un réel dynamisme spirituel et peuvent donner envie à des laïcs de vivre l’Évangile avec François. Par ailleurs, telle ou telle fraternité très vivante, comme celle de Bitche, a su communiquer ses richesses et son savoir-faire à l’ensemble de l’Ordre. De nouvelles initiatives sont prises en direction des jeunes et des familles (vacances franciscaines). Ici ou là, des fraternités renaissent et recommencent à célébrer dans la joie des engagements de frères et de sœurs. Enfin, le 29 août dernier, à Nancy, une nouvelle fraternité a été canoniquement érigée sous le patronage de saint Crispin de Viterbe. Saint François, n’oublie pas tes fils et filles de l’Ordre Franciscain Séculier !