A l’ombre des cloîtres
A première vue, parler de cloître franciscain relève du paradoxe. Cloître renvoie fondamentalement à une communauté cloîtrée, à un monastère, bénédictin ou cistercien. Les Frères Mineurs ont-ils besoin d’un cloître ? Dans le Sacrum Commercium, ce très beau texte poétique et théologique issu de la première génération franciscaine, Dame Pauvreté demande ingénument aux Frères: «Montrez-moi l’oratoire, le cloître, la salle du chapitre, le réfectoire et la cuisine, le dortoir, les étables, vos stalles travaillées, votre mobilier sculpté, et faites-moi visiter vos grands bâtiments». Autrement dit: «Montrez-moi votre monastère!» Plus tard, Dame Pauvreté demande à nouveau à voir le cloître. Alors les Frères l’emmènent sur une colline et lui font admirer un panorama splendide: «Madame, lui disent-ils, voici notre cloître».
Pourtant, les cloîtres, au sens architectural du terme, ont fait leur apparition dans les couvents franciscains. Très nombreux en Italie, il en existe encore quelques-uns en France. Ils ont été construits à toutes les époques: depuis le XIIIe siècle jusqu’à nos jours (le couvent d’Orsay, inauguré en 1956, en comporte un). Alors, sans doute, faut-il voir dans le cloître franciscain l’une des expressions du passage de l’intuition à l’institution pour reprendre le titre du livre du père Théophile Desbonnets. Mais comme le remarque l’éminent franciscanisant, l’intuition de François a heureusement survécu au travers de l’institution. Et cela se vérifie à propos du cloître. Nombre d’entre eux respirent effectivement l’esprit du Poverello.
Certes, il existe d’immenses complexes conventuels qui n’ont rien à envier à leurs homologues bénédictins ou cisterciens. Le couvent des Cordeliers de Montpellier (aujourd’hui détruit) comportait trois cloîtres et six dortoirs. San Francisco de Lima, le plus grand couvent du Nouveau Monde, compte lui aussi plusieurs cloîtres. Accolé à l’église Saint-François de Palma de Majorque, le cloître gothique déroule ses immenses galeries sur deux étages. On pourrait multiplier les exemples. Rien de spécifiquement franciscain dans ces architectures, souvent magnifiques.
Le vrai cloître franciscain a pour modèle Saint-Damien, à Assise. De petites dimensions (c’est essentiel !), il est très souvent non voûté et couvert d’une charpente en bois. Seuls éléments de pierre : les arcades ouvertes sur le jardin, ou, plus simplement encore, une série de piliers.
Le plus ancien cloître franciscain intégralement conservé en France est à découvrir en Bourgogne, à Charlieu. Construit à fin du XIVe siècle en gothique rayonnant, il est une pure merveille d’élégance; à tel point qu’au début de notre siècle il a bien failli traverser l’Atlantique pour aller orner le court de tennis d’un milliardaire américain ! On remarquera la décoration très soignée des arcades et la présence de chapiteaux figuratifs dans la galerie nord. A peu près de la même époque date le petit cloître des Récollets de Saverne. Curieusement, alors que ce lieu respire le franciscanisme par son charme et son raffinement, il n’était pas destiné à l’origine aux Frères Mineurs, mais à un petit ordre hospitalier suivant la règle de saint Augustin, les Frères de Steigen. Les Observants (auxquels ont succédé les Récollets) n’en ont pris possession qu’en 1486. Notez la finesse et la variété des réseaux de pierre qui forment le remplage des baies gothiques.
Les couvents bâtis au XVIIe siècle pour les différentes réformes franciscaines ont également été dotés de cloîtres. Bourg-Saint-Andéol a conservé pratiquement intact son couvent de Récollets et aujourd’hui ce sont les malades de l’hôpital qui profitent de la fraîcheur du cloître. Celui des Capucins d’Evreux a gardé sur ses murs une trentaine de panneaux peints où sont inscrits des appels à la conversion toujours actuels: «Mortel, arrête, arrête, où cours-tu malheureux ? Tu cours après du vent par un orgueil extrême, tu te cherches partout, et te perds en tous lieux. Va, pour te retrouver, rentre un peu dans toy même».
Enfin, les communautés féminines, cloîtrées le plus souvent, ne pouvaient pas se passer de cloître. Celui de Mortagne-au-Perche, construit au XVIe siècle pour des Clarisses urbanistes fondées par Marguerite de Lorraine, constitue peut-être le plus beau cloître franciscain subsistant en France. En vous y promenant, vous aurez une pensée pour les actuelles Clarisses d’Alençon. Issues elles aussi de Marguerite de Lorraine, les moniales alençonnaises ont dû rebâtir leur monastère au XIXe siècle, mais leur cloître reproduit fidèlement celui de Mortagne. Le cloître d’Alençon est à priori inaccessible au commun des mortels, mais il a la chance de rester dans sa vocation originelle, au service d’une communauté vivante. C’est bien là l’essentiel.
Où voir des cloîtres franciscains en France ? Amiens, vestiges du cloître des Sœurs Grises, rue du Général-Leclerc Bourg-Saint-Andéol (Ardèche), hôpital, ancien couvent des Récollets (accès libre). Chambéry, Musée Savoisien, ancien couvent des Cordeliers (accès libre). Charlieu (Loire), couvent des Cordeliers (du 15 juin au 15 septembre : ouvert tous les jours de 10 h à 19 h ; en dehors de ces dates, fermé le lundi). Dole (Jura), Palais de Justice, ancien couvent des Cordeliers (accès libre, du lundi au vendredi de 9 h à 18 h). Evreux, Ecole Nationale de Musique, ancien couvent des Capucins (accès libre, tous les jours de 9 h à 20 h). Mortagne-au-Perche (Orne), hôpital, ancien monastère des Clarisses (accès libre). (Orne), hôpital, ancien monastère des Clarisses (accès libre). Saint-Emilion (Gironde), ancien couvent des Cordeliers (accès libre, en été de 10 h à 19 h). Saverne (Bas-Rhin), ancien couvent des Récollets (accès libre, en semaine de 8 h à 22 h et les dimanches et jours fériés, de 10 h à 22 h). Tarascon (Bouches-du-Rhône), place Frédéric Mistral, ancien couvent des Cordeliers (ouvert uniquement lors d’expositions temporaires). |