Saint Antoine… et l’art de la parole
Nous connaissons tous saint Antoine comme modèle de sainteté, grand prédicateur, fidèle ami des pauvres, puissant intercesseur auprès de Dieu, thaumaturge. Pour peu que nous fréquentions ses écrits cependant, nous y découvrons une parole forte, un art exquis de manier les mots, d’en scander les rythmes, de varier le vocabulaire, un grand souci de transmettre ses connaissances, sa foi et son âme dans un langage imagé, vivant, accessible à tous.
Ajoutons à cet art, une voix forte, agréable, puissante, qui, au dire de ses biographes, s’imposait à un auditoire avide de l’entendre. La passion de communiquer, n’est-ce pas, de nos jours, la passion du vrai journaliste ? Le besoin de connaître, n’est-ce pas, pour nous tous, le désir le plus fort ?
Mais écoutons ses propres paroles :
« Le Semeur sortit semer sa semence.
La semence est la parole de Dieu (Lc 8,11).
Je sèmerai, moi aussi, sur vous,
au nom du Seigneur,
venu dans le monde semer sa semence »
(Dimanche de la Sexagésime).
« Comme l’huile entretient la lampe,
la prédication éclaire l’œil de la raison
pour qu’elle voie le rayon du vrai soleil.
Au nom du Seigneur,
je verserai,
moi aussi, l’huile de la prédication,
pour éclairer les yeux de ceux qui vivent dans les ténèbres du mal »
(Dimanche de la Quinquagésime).
Et tout au début de son œuvre, dans le Prologue, il explique :
« La sottise des lecteurs et des auditeurs
de notre temps est telle
que, s’ils n’entendent
pas un discours soigné,
des paroles élégantes,
recherchées et rares,
ils s’ennuient et méprisent
ce qu’ils entendent.
Or, la Parole de Dieu
ne doit pas être objet
de mépris ;
c’est pourquoi j’insère
dans mon discours des
explications de mots,
des images et des symboles,
tirés de la nature,
des animaux, des noms de personnages,
pour rendre accessible mon enseignement. »
Puis, tout au long de l’ouvrage, il se plaît à souligner que le prédicateur ressemble à la cithare qui frappe son auditoire avec la main de son bon exemple ; au pharmacien qui prépare les remèdes qui guérissent les intelligences ; au marteau qui inspire la crainte mais façonne les esprits ; à l’abeille qui cueille les fleurs de la prière, pour en nourrir le peuple de Dieu qui lui est confié.
Nous pouvons alors comprendre pourquoi saint Bonaventure, en retrouvant intacte la langue de saint Antoine au milieu d’un corps décomposé, a pu entonner cet hymne que nous prions et chantons en l’honneur de saint Antoine : « O Langue bénie. Tu as toujours béni le Seigneur et tu l’as fait bénir par tous. Nous constatons maintenant quelle grande valeur tu as acquise auprès de Dieu. »
La Langue, membre fragile dont la conservation fait parfois sourire le sceptique, peut, si l’on n’y prend garde, tout détruire, mais aussi, bien employée, tout construire...