Père Giovanni Luisetto et la Bibliothèque Antonienne
L’approche paraissait rude, l’aspect sévère, la démarche rapide, presque fuyante, mais dès qu’on lui adressait la parole, il prêtait une oreille attentive, sa voix devenait douce et l’entretien passionnant. Cette figure de religieux, humble et caché et en même la plus connue parmi les Frères de la Basilique, avait passé sa vie entre la recherche intellectuelle et le soin des âmes, assidu au confessionnal, à l’accueil des pèlerins et à la direction spirituelle de jeunes. Il nous a quittés à l’aube d’un matin de juin, après une longue et grave maladie.
Le père Giovanni était né en 1917. Ordonné prêtre en 1941, il avait été Supérieur du séminaire de théologie durant les années difficiles de la guerre - nous-mêmes, nous avons été quelque temps son élève -, directeur du Messaggero, notre maison mère, avant de devenir, directeur de la Bibliothèque antonienne.
C’était un homme passionné d’histoire et d’archives dont le nom figure parmi les éditeurs de l’édition critique des Sermons de saint Antoine, publiée en 1979 : une œuvre monumentale qui demeure la référence officielle pour toute étude sur la pensée et l’esprit de saint Antoine. A cette œuvre, s’ajoutent des productions musicales et historiques liées à la vie de la Basilique et autres écrits de spiritualité antonienne et franciscaine.
Passionné d’histoire
Mais d’où lui venait cette passion pour les études et la recherche ? « J’ai toujours eu la passion pour l’histoire, disait-il, en particulier pour les Pères de l’Eglise. J’ai toujours aimé sonder les faits et les événements, afin de mieux reconstruire la personnalité des personnages auxquels je me suis intéressé. » Parmi ces personnages, Gerolamo Savonarole, dont il analysa les écrits, en vue de sa cause de béatification, cinq cents ans après sa mort sur le bûcher, Place de la Seigneurie, à Florence (23 mai 1498). Un travail qui s’inscrit dans l’actuel esprit de repentance... Mais aussi : père Francesco Antonio Vallotti, maître de chapelle à la Basilique de 1730 à 1780 ; père Bernardino Rizzi, compositeur de musique dodécaphonique, mort en 1968 ; père Girolamo Moretti, dont il publia les traités de graphologie, etc...
Mais son nom restera surtout lié à la Bibliothèque antonienne, dont il aimait retracer la riche histoire et qu’il dirigea pendant près de soixante ans. « Le premier noyau de cette Bibliothèque, racontait-il, remonte certainement à l’époque de saint Antoine lui-même, et certains manuscrits des Pères de l’Eglise conservés ici sont passés par ses mains, comme on peut le constater en parcourant ses Sermons. »
Cette Bibliothèque compte parmi les espaces les plus prestigieux de la Basilique de Padoue, par le nombre d’ouvrages et la valeur artistique. On y trouve, en effet, 80 000 volumes dont 500 codex de l’époque médiévale, le plus ancien, une Bible en plusieurs volumes, écrites en caractères parisiens et remontant au IXe s.
Mais le patrimoine de la Bibliothèque antonienne comprend également de nombreux manuscrits qui ont été utilisés pour les éditions critiques des œuvres de saint Antoine, mais aussi de saint Bonaventure, Jean Duns Scot, saint Thomas d’Aquin, le célèbre Joachim de Flore, Richard de Saint-Victor... Et de nombreuses œuvres littéraires, scientifiques et juridiques qui témoignent de sa valeur culturelle et attirent, encore aujourd’hui, de nombreux étudiants et chercheurs qui trouvent ici des sources précieuses et uniques pour leurs travaux.
A qui lui demandait combien de diplômes universitaires il comptait à son palmarès, il répondait : « Je n’ai que mon certificat d’études. » Mais une telle réponse ne correspondait que partiellement à la vérité, car s’il n’avait pas de diplômes, il possédait le bagage de connaissances qui lui ont permis de mener de front tant de recherches et d’inscrire son nom parmi les grands conservateurs du patrimoine culturel et spirituel de la Basilique.