La science, une chance à saisir
Le Messager. Vous travaillez avec le Centre national d’études spatiales. Etes-vous astronaute ? Comment vous situez-vous en tant que théologien ?
Jacques Arnould. Bien sûr, je ne suis pas astronaute ! Mais je suis ingénieur agronome de formation, et, à ce titre je me suis intéressé aux sciences du vivant et à leurs conséquences sur notre société, comme sur notre foi. Mon intérêt pour les techniques spatiales – ce que l’on appelle l’astronautique – est venu un peu par hasard, ou du moins, par le biais de l’observation de l’environnement terrestre à l’aide des satellites. Ensuite, le Centre National d’Etudes Spatiales, le CNES, m’a proposé de travailler avec eux sur les enjeux éthiques de leurs activités. Non pas pour donner toutes les réponses ou établir les Dix Commandements du Directeur Général, mais, dans un premier temps, pour prendre conscience que ces activités, comme toutes celles entreprises par l’homme, possèdent une dimension éthique.
- On s’imagine, en effet, que les satellites, une fois lancés, ne posent plus de problèmes pour nous, simples terrestres…
- On a tort et on a raison. Certes, contrairement aux délires d’un grand couturier parisien, une station orbitale ne retombe pas sur Terre comme une tuile d’une toiture. Pas plus d’ailleurs les satellites de la société de téléphonie spatiale Iridium qui vont arrêter de fonctionner pour faillite économique. Toutefois, ces objets finissent bien par perdre de l’altitude et, s’ils ne brûlent pas, il convient de guider leur chute, afin d’éviter les accidents. En tout cas, il ne faut pas qu’ils polluent l’espace, car ils risquent d’endommager d’autres satellites, une navette spatiale, une station orbitale. C’est bien une question de déontologie et d’éthique. Même chose en ce qui concerne les vols habités : quels risques les astronautes peuvent-ils prendre? Comment gérer le caractère international des équipages? Autre domaine, celui des Nouvelles Techniques d’Information et de Communication, les NTIC : quelle éthique de la diffusion, lorsqu’on sait que n’importe qui peut diffuser n’importe quoi partout dans le monde, sans contrôle direct ? Même problème avec l’observation depuis l’espace : ce qui relevait, il y dix ans, du secret défense est aujourd’hui sur Internet! Enfin, et c’est peut-être le plus captivant pour le biologiste que je suis: la question de la vie extra-terrestre…
- Vous intéressez-vous au vivant extra-terrestre?
- Oui, en particulier dans le cadre du programme du retour d’échantillons de la planète Mars, probablement avant la fin de cette décennie. Nous ne savons pas encore si nous trouverons des formes de vie sur d’autres planètes, au moins les plus proches, donc accessibles. Quelles précautions devons-nous prendre pour ne pas polluer la Terre (voire pire encore), mais aussi pour ne pas polluer ces autres planètes? Déjà les missions Apollo ont été soumises à des quarantaines assez stricte. Derrière les problèmes techniques, se posent de passionnantes questions philosophiques: qu’est-ce que la vie? Comment se comporter à l’égard de l’autre? L’homme s’est toujours posé ce genre de questions; aujourd’hui, elles prennent une forme nouvelle, car nous découvrons de nouveaux visages de l’autre: ce n’est plus celui qui habite l’autre caverne, de l’autre côté du fleuve, de la montagne ou de l’océan. Aujourd’hui, l’autre peut être un extra-terrestre… mais aussi l’embryon de quelques jours (et ce sont les débats autour de l’avortement) ou l’homme en fin de vie (et voilà les controverses à propos de l’euthanasie). Ce n’est pas facile de trouver des réponses et, pourtant, c’est bien dans la rencontre de l’autre que je puis me trouver moi-même.
- Quels sont les problèmes qui se posent aujourd’hui sur le rapport entre science et foi, du procès de Copernic, de Galilée, etc. ?
- Ces grands procès de l’histoire des rapports entre science et foi ont été des moments douloureux pour l’Eglise et, surtout, pour les scientifiques; certains y ont laissé leur vie, d’autres leur possibilité de travailler ou la confiance de leurs proches. Un travail d’historien s’impose encore aujourd’hui pour comprendre les enjeux de ces procès, car j’ai tendance à penser que, sauf exception, tous les protagonistes voulaient bien faire, chercher la vérité. Il faut aussi reconnaître, de part et d’autre, les tendances au dogmatisme, les difficultés à changer les idées, les théories. J’essaie, avec les moyens et les occasions qui se présentent, de pratiquer la dispute entre scientifiques et théologiens. Le mot de dialogue me paraît trop galvaudé: il convient d’élaborer des opinions, des hypothèses, de les confronter honnêtement, de reconnaître nos accords (car ils existent) mais aussi tous les fossés qui nous séparent. Travail difficile, mais absolument nécessaire, car, depuis Galilée, la science a pris une place essentielle au sein de nos sociétés.
- Dans votre dernier livre, Dieu, le singe et le big-bang (Cerf) vous évoquez Darwin et l’évolution. Comment un chrétien doit-il comprendre aujourd’hui cette théorie ? Le singe est-il, oui ou non, l’ancêtre de l’homme… et de Jésus Christ?
- La question de l’évolution des espèces fait peur, parce qu’il y est question de l’homme. Comment, en effet, concevoir la part de contingent, d’imprévu, s’il y en a, avec un projet de Dieu se déroulant progressivement dans le temps? Derrière cette peur, il y a la façon d’interpréter la foi en la toute-puissance de Dieu. Pour être tout-puissant, Dieu doit-il construire une multitude d’univers ou un seul? En même temps, cette vision de la toute-puissance est quelque peu en contradiction avec l’image du Dieu tout aimant et faible qu’est Jésus Christ. Faut-il tomber dans cette sorte de bi-théisme qui consiste à avoir, d’un côté un Dieu Créateur, bon constructeur, parfait horloger, et de l’autre, un Dieu Rédempteur, Jésus Christ, homme sensible à nos souffrances et lui-même souffrant une mort en croix? Les deux sont vrais. Ce qui serait faux, ce serait de les mettre l’un contre l’autre, de choisir l’un ou l’autre, alors que dans le Credo nous disons que c’est un même Dieu! Certains ont cherché à les concilier: je pense en particulier au Christ cosmique de Teilhard de Chardin, qui aide à percevoir la toute-puissance de Dieu dans l’histoire, libre, et à l’exclusion de tout déterminisme. Cette possibilité de liberté, nous la revendiquons pour nous: par le péché, nous avons la possibilité de dire non à Dieu. La réalité que nous confessons comme étant œuvre de création par Dieu, vit dans la contingence: un mélange de déterminisme, de hasard et de contraintes. C’est pourquoi, nous pouvons lui appliquer l’idée d’élection.
- C’est l’image du dé que vous employez dans votre livre…
- Dans l’image du dé, ce qui est intéressant, c’est que tout n’est pas possible à tout moment. Il n’y a que six combinaisons... Il faut compter avec ce qu’on est. Un mouton à cinq pattes reste une aberration de la nature… Or, la liberté de la création est du même ordre. Tout se produit dans un certain contexte, et non dans le désordre. Le Fils de Dieu est venu dans notre chair, il a pris notre humanité; peut-être aurions-nous préféré avoir pour ancêtre un aigle, un cheval… ou un ange?
L’idée d’évolution véhicule toutes ces peurs, car nous craignons de perdre notre place, celle d’être au sommet de l’histoire, d’être les meilleurs, les plus beaux, les plus intelligents et, finalement, les derniers des Mohicans... Il faut un peu plus de modestie et surtout plus d’espérance et de confiance en Dieu.
- Faut-il voir notre spécificité dans les ancêtres qui nous ont précédés ou dans ce que nous sommes appelés à devenir ?
- La question de nos points communs avec d’autres espèces pose finalement celle du commencement et de l’origine. Au fond, quels fondements donnons-nous à l’espèce humaine, quelle originalité? La science nous apporte de nombreuses réponses: il y a des capacités biologiques, psychologiques, des différences notables avec les autres organismes, une capacité d’adaptation exceptionnelle, sur terre, sur la lune, demain peut-être sur Mars. A cela, le Christ ajoute une autre originalité : il est celui qui accomplit pleinement le projet de Dieu, parfaite image du Père, face à qui nous ne sommes que des images dégradées, imparfaites.
Si donc l’homme a quelque chose de commun avec le singe, dans son mode de fonctionnement, dans sa sensibilité, par son origine religieuse, il a le privilège d’être créé à l’image de Dieu. Cette image qu’il est appelé à devenir.
- Dans cette création qui ne cesse de se construire, quel rôle l’homme doit-il jouer pour que lui-même et la nature environnante soient vraiment nouveaux ?
- René Dubost, un biologiste français qui a surtout travaillé aux USA, à une telle question, a répondu de la manière suivante, en parlant de cette caractéristique de notre espèce qui est d’être capable et en même temps obligé de choisir : choisir d’être humain, sans trop savoir d’ailleurs ce qu’est l’être humain, sinon peut-être cet être en devenir, en devenir d’image de Dieu.
La science nous enseigne qu’il y a la nécessité de choisir. Beaucoup de choses restent à faire, tout n’est pas inscrit dans notre univers et il y a dans notre univers une part de liberté, de hasard (le terme arabe azzahr désigne précisément le jeu de dés), qui pour le chrétien signifie possibilité de choisir, de lutter et d’espérer.
La science, aujourd’hui, est une chance à saisir: par le savoir qu’elle apporte, elle élargit notre regard, enrichit notre liberté, nous rend plus responsables de nous-mêmes et des autres.
Propos recueillis par
Valentin Strappazzon