L’art et l’Evangile une alliance féconde
La Lettre s’adresse «à tous ceux qui, avec un dévouement passionné, cherchent de nouvelles épiphanies de la beauté.» A tous les artistes, donc, car l’art est une valeur universelle.
Mais pourquoi parler d’alliance ? L’Eglise n’a-t-elle pas inspiré de tous temps peintres, architectes, sculpteurs, musiciens et poètes ? Certes, mais ce long rapport d’amitié a été brisé, soulignait déjà Paul VI en 1964. Alors que l’art est un acte de création, à l’image de celui de Dieu. Nous vivons une certaine forme d’humanisme, «caractérisée par l’absence de Dieu» (Jean-Paul II). Alors que l’art est gratuité, notre société en fait une source de calcul et de profit. Expression de la beauté, l’art associe le vrai et le bien, mais certaines productions blessent la foi des croyants (Paul VI). Dans les pays de dictature, l’art n’a pas droit de cité ; dans les démocraties où la religion est reléguée dans le domaine privé, il est ignoré, et la liberté d’inspiration devient prétexte à provocation et à scandale.
L’artiste, un créateur comme Dieu Pour repartir sur des bases nouvelles, le Pape propose un dialogue qui « s’enracine aussi bien dans l’essence même de l’expérience religieuse que dans celle de la création artistique. » Le modèle de toute création, dit-il, est Dieu lui-même, mais tandis que Dieu crée en tirant quelque chose de rien, l’artiste crée en utilisant et en donnant forme à quelque chose qui existe déjà. D’où cette expression heureuse : « Dans la création artistique, l’homme se révèle plus que jamais image de Dieu. Il réalise cette tâche en modelant la merveilleuse matière de son humanité, et en exerçant une domination créatrice sur l’univers qui l’entoure» (n° 1).
L’art au service de la beauté Dans un sens très large, tout homme, souligne le Pape, est artisan de sa propre vie. auteur et responsable de ses actes. L’artiste est certes capable, en suivant les règles de son art, de produire de beaux objets, mais «quand il façonne un chef-d’œuvre, il dévoile aussi sa propre personnalité... il exprime ce qu’il est et comment il est... L’histoire de l’art n’est pas seulement une histoire des œuvres, elle est aussi une histoire des hommes» (n° 2).
Des hommes qui savent harmoniser le beau avec le bien. La beauté, en effet, est le don, le «talent» que Dieu a accordé aux artistes. Ils doivent. comme dans la parabole, le développer pour le mettre au service du prochain et de toute l’humanité. Et de même que la société a besoin de scientifiques, de techniciens, d’ouvriers, de témoins de la foi, de maîtres, de pères et de mères pour garantir la croissance des personnes, elle a besoin d’artistes pour enrichir son patrimoine culturel. Pour répondre à cette vocation, l’artiste ne doit pas se laisser dominer par la recherche de la popularité, du succès, du calcul et du profit personnel, car «il y a une éthique. une spiritualité du service artistique qui, à sa manière, contribue à la vie et à la renaissance d’un peuple» (n° 4).
Création artistique et acte de foi En poussant plus loin sa réflexion, le Pape établit un lien entre la beauté des œuvres d’art et la beauté de l’Evangile. «En se faisant homme, écrit-il, le Fils de Dieu a introduit dans l’histoire de l’humanité toute la richesse évangélique de la vérité et du bien ; en elle, il a révélé une nouvelle dimension de la beauté. La Bible est devenue une sorte d’«immense dictionnaire» (Paul Claudel). d’atlas iconographique (Marc Chagall) où la culture et l’art chrétien ont puisé.» Et de parcourir vingt siècles de notre histoire pour montrer que, depuis les fresques des catacombes jusqu’aux productions les plus récentes, les artistes ont très abondamment puisé dans l’Ancien et le Nouveau Testament, alliant création artistique et acte de foi.
Car il y a de profondes analogies entre l’art et la foi. Avant de réaliser une œuvre, l’artiste contemple la réalité, cherche à interpréter son mystère caché, sonde le plus loin possible l’abîme de lumière qui a en Dieu sa source originaire; de même, la foi suppose une rencontre personnelle avec Dieu en Jésus Christ, et cette rencontre peut, elle aussi, tirer avantage de l’intuition artistique. Ainsi, par exemple, «les œuvres de Fra Angelico sont un modèle éloquent d’une contemplation esthétique qui est sublimée dans la foi.» Et saint François d’Assise, au dire de saint Bonaventure, «contemplait dans les belles choses le Très Beau et, en suivant les traces imprimées dans les créatures, il poursuivait partout le bien-aimé». «Toute forme authentique d’art est, à sa manière, une voie d’accès à la réalité la plus profonde de l’homme et du monde» (n° 6).
Vers une nouvelle alliance A partir de ces réflexions et sur ces bases communes, le Pape propose donc la «nouvelle alliance avec les artistes», souhaitée par Paul VI et déjà amorcée par l’appel aux artistes lancé au terme du Concile Vatican II, dans l’esprit d’amitié, d’ouverture et de dialogue inauguré par ce même Concile.
Car l’Eglise a besoin d’écrivains, de poètes, de musiciens, d’architectes, «pour traduire en formules significatives ce qui, en soi, est ineffable» (n° 12). Et l’art (même si cela est exprimé sous forme d’interrogation) a besoin de l’Eglise, car la religion est pour l’artiste «une grande source d’inspiration» et «le religieux est l’un des sujets les plus traités par les artistes de toutes les époques» (n° 13).
Vibrant appel aux artistes La Lettre s’achève sur un vibrant appel à tous les artistes qui prend le rythme d’un vrai plaidoyer.
Vient en premier le constat de la profonde estime que l’Eglise nourrit envers tous les artistes: «Je m’adresse à vous, artistes du monde entier, pour vous confirmer mon estime et pour contribuer à développer à nouveau une coopération plus profitable entre l’art et 1’Eglise.»
Suivent les motivations théologiques et spirituelles particulières aux chrétiens.
– Le rôle de Jésus Christ : «Je fais spécialement appel à vous, artistes chrétiens. A chacun, je voudrais rappeler qu’une alliance établie depuis toujours entre l’Evangile et l’art implique l’invitation à pénétrer avec une intuition créatrice dans le mystère du Dieu incarné, et en même temps dans le mystère de l’homme» (n° 14).
– Le rôle de l’Esprit: «L’Esprit est le mystérieux artiste de l’univers ... Il vient à la rencontre du génie de l’homme. stimule sa capacité créatrice, l’illumine intérieurement, l’oriente vers le bien et vers le beau et réveille en lui les énergies de l’esprit et du cœur, le rendant apte à concevoir l’idée et à la mettre en forme dans une œuvre d’art» (n° 15).
La beauté sauvera le monde Et l’appel culmine dans un immense acte de confiance en l’avenir : «Puisse la beauté que vous transmettrez aux générations de demain être telle qu’elle suscite en elles l’émerveillement... De cet émerveillement pourra surgir l’enthousiasme dont les hommes d’aujourd’hui et de demain ont besoin pour affronter et dépasser les défis cruciaux qui pointent à l’horizon. C’est en ce sens que l’on a dit avec une intuition profonde que la beauté sauvera le monde.»