Les malades et leur dignité
Le Messager. Qu’est-ce qui est en jeu chez le malade en fin de vie ?
Marie-Sylvie Richard. Il me semble important de souligner que l’expérience est unique pour chaque malade. Lorsqu’ils sont au courant de la gravité de leur maladie, et même s’ils vous annoncent qu’ils vont bientôt mourir, les malades ont souvent encore de l’espoir. « Tant qu’il y a de la vie, il y a de l’espoir », dit-on. C’est particulièrement vrai aux tout derniers moments de la vie.
Face à la proximité de la mort, les malades font une sorte de bilan de leur vie. Ils s’interrogent sur ce qui a été important et quel en a été le sens. Les uns sont satisfaits de leur vie ; d’autres la trouvent trop brève ; d’autres encore sont tristes, parce qu’ils ont encore des choses à revoir, des réconciliations à faire, des projets à achever... Les malades ressentent souvent aussi de l’angoisse, de l’inquiétude sur les circonstances de la mort. Certains, enfin, s’interrogent sur l’au-delà et vous interpellent : «Croyez-vous vraiment qu’il y a quelque après ?»
Parlent-ils de dignité?
Ce que réclament les malades, c’est de mourir dignement, c’est-à-dire de façon apaisée, et le moins douloureusement possible ! Ils craignent aussi la déchéance physique. Pour cette raison, nous recherchons ici la qualité de soins qui les maintient dans une certaine dignité physique, dans le respect de leur personne.
La perte de dignité se lit souvent dans le regard des autres. Pour certains malades, l’image de soi n’est pas belle, d’autres se sentent une charge pour leur entourage, certains en arrivent alors à souhaiter l’euthanasie. Si, au contraire, on s’occupe d’eux, on vient les voir, on continue à leur parler, ils sentent qu’ils ont encore de la valeur pour les autres, et ils n’ont plus envie de mourir.
Que dit l’Eglise au sujet du traitement de la douleur et de l’acharnement thérapeutique? Peut-on parler de la valeur rédemptrice de la souffrance?
A propos de l’acharnement thérapeutique, depuis Pie XII, en 1956, la position de l’Eglise est claire. Elle demande à chacun d’essayer de conserver sa vie le mieux possible ; de se soigner quand on est malade, mais pas à n’importe quel prix... Elle demande aussi que des traitements soient proposés aux malades, de façon raisonnable, c’est-à-dire en sachant s’arrêter si les traitements ne donnent plus de résultats, si la qualité de vie de la personne devient déplorable ou si la personne elle-même le demande avec constance.
La déclaration des évêques de France en 1994 précise qu’on doit chercher à éviter tout ce qui est disproportionné aux situations des malades. Il y a des traitements et des techniques visant à les maintenir artificiellement en vie ou des accélérations de la mort qui sont complètement disproportionnées. Malades et familles n’ont rien demandé, mais par crainte, par usure, par impatience, les soignants se permettent d’accélérer la mort des patients ou des personnes âgées. La voie la plus juste consiste à mettre au profit des personnes les progrès de la médecine, mais avec intelligence et prudence. Or, ce n’est pas toujours facile.
Malheureusement, ce message de l’Eglise n’est pas connu et certains continuent de penser que les chrétiens ont retardé le traitement de la douleur au nom de la valeur rédemptrice de la souffrance. En fait, il y a là un grave malentendu. Dans la pensée chrétienne, seul le Christ est rédempteur, et pour nous, ce n’est pas la souffrance qui est rédemptrice, mais la façon dont chacun cherche à être uni à Dieu. A chaque instant, on peut tendre vers cette union, même dans nos moments douloureux.
D’ailleurs, déjà au siècle dernier, en 1842, Jeanne Garnier avait fondé les Dames du Calvaire et les hospices pour personnes en fin de vie ; et en 1890, on y prescrivait déjà de la morphine.
Quelles convictions d’ordre médical, moral et spirituel, président à vos engagements dans les soins palliatifs ?
Dans une unité de soins palliatifs comme celle-ci, nous partageons tous une certaine passion pour l’être humain. Même si chacun se réfère ensuite à des sources différentes, il y a entre nous une cohérence d’équipes, un projet commun et un accord concernant les dispositions à prendre. Ainsi pour nous, chrétiens, cela s’enracine tout naturellement dans l’attitude du Christ, accueillante et proche de celui qui souffre. Si Dieu a tant de sollicitude pour l’être humain, pourquoi le mépriserions-nous ?
Ceux qui ne se réfèrent pas à cette foi estiment l’être humain infiniment respectable parce qu’il est tout simplement un être humain. Mes collègues athées ont ici un très grand respect du malade. Le travail partagé au quotidien est tout a fait possible.
Y a-t-il continuité entre l’hôpital et la maison, lorsque le malade retourne chez lui?
Nous préparons le retour des malades à domicile en restant en lien avec les soignants qui continueront à les suivre une fois rentrés chez eux. Ces soignants ont, eux aussi, une formation aux soins palliatifs. De même que les bénévoles. Nous avons également une convention avec des Associations de soins à domicile, et tout malade peut être réadmis ici, au plus vite, sans passer par d’autres hôpitaux. Enfin, nous assurons une permanence téléphonique pour que les médecins libéraux puissent demander conseil en soins palliatifs, à toutes heures du jour et de la nuit.
Que penser des mouvements en faveur de l’euthanasie et de son éventuelle dépénalisation? Quelle compassion, quelle aide efficace peut-on apporter aux malades graves ou en phase terminale ?
Actuellement il y a, en France, un projet gouvernemental en faveur du développement des soins palliatifs et une proposition de loi, émise par le Sénateur Lucien Neuwirth.
A l’inverse, il y a la demande récurrente de légaliser l’euthanasie. Il faut souligner, tout d’abord, que cette demande est très souvent liée à l’absence de soulagement des personnes. Lorsque les soins palliatifs seront davantage développés, cette demande diminuera.
En deuxième lieu, la demande d’euthanasie résulte de l’évolution de notre société. Aujourd’hui, diminutions physiques ou mentales et dépendance sont mal supportées. Il y aura toujours opposition dans la société entre ceux qui intègrent la démission, la vieillesse, le handicap et ceux qui les refusent ; entre ceux qui conçoivent la vie comme un don et ceux qui veulent en disposer librement.
En troisième lieu, c’est le non-respect de la parole du malade, de la personne âgée qui motive la demande d’euthanasie. Certains ont peut-être dit ou écrit qu’ils ne veulent pas d’acharnement thérapeutique, mais lorsqu’ils arrivent à l’hôpital et ne sont pas en état de parler, il n’en est pas souvent tenu compte.
Le Comité National d’Ethique a émis, en juin dernier, un avis à ce sujet : il propose, si le malade n’est pas à même de donner son consentement, la désignation d’un mandataire, un répondant qui aiderait à la prise de décision. Si les personnes âgées et les malades étaient assurés que quelqu’un d’autre peut défendre leur intérêt s’ils ne sont pas en mesure de donner leur avis, ils réclameraient moins d’euthanasie. Beaucoup se disent, en effet : « Puisque je ne sais pas ce que l’on fera de moi, qu’on me donne la mort avant d’être dépendant ou dégradé. »
N’est-ce pas profiter de la faiblesse du malade ?
Ce qui est en jeu, en fait, c’est le respect du consentement des malades. On parle toujours de consentement, mais jamais de refus d’un malade. Or, le code de déontologie dit : «Après avoir bien informé le malade des conséquences de son refus et vérifié qu’il n’est pas sous contrainte ou déprimé, on pourra s’incliner devant son refus.» Ce principe est très peu observé: On ne respecte pas suffisamment la parole du malade.
Il est intéressant de mentionner qu’aux Pays-Bas – pays de référence en matière de dépénalisation de l’euthanasie –, un article médical a démontré que malgré toutes les précautions requises, il y a des dérives importantes. Si les médecins des Pays-Bas dénoncent eux-mêmes ces dérives, pourquoi insisterions-nous, en France, sur la dépénalisation de l’euthanasie ?
Propos recueillis
par Valentin Strappazzon
A lire – Quand les jours sont comptés, par Christophe de Galzain. Saint-Paul. 100 FF. Interviews de Marie-Sylvie Richard et Anne-Moria Venetz. Préface de Mgr Albert Rouet, postface du Dr Michèle-H. Salamagne. Ce livre se propose de mieux informer le corps médical et le public sur les soins palliatifs, pour qu’ils en reconnaissent la démarche éthique et s’en inspirent pour les politiques sanitaire et sociale. Il veut également enrichir le débat actuel sur les problèmes posés par la souffrance et la mort. – Conférence des évêques de France, Respecter l’homme proche de sa mort, 1991. |