Dieu et moi
Mary McAleese. Je suppose qu’il a y du vrai et du faux dans cette description des Irlandais. Je suis Présidente d’un pays habité par de nombreuses croyances. La foi chrétienne serait la croyance prédominante, mais parmi ceux qui se disent Irlandais, il y a aussi des musulmans, des juifs, des bouddhistes, des baptistes et des protestants de toutes tendances et dénominations et, bien sûr, des athées. Nous sommes, certes, un peuple travailleur ; j’en veux pour preuve le spectaculaire boum économique enregistré ces vingt dernières années. L’un des grands stéréotypes irlandais - qui est vrai selon moi - est que nous sommes un pays accueillant. Notre histoire est celle d’un peuple opprimé par le colonialisme qui n’a jamais eu l’occasion, jusqu’à ces dernières décennies, de prouver de quoi il était capable. Notre génération profite aujourd’hui de ce qui a été construit grâce à la générosité, à la gentillesse et à la bonté de nos ancêtres. Parmi eux, il faut le préciser, nombreux ont été élevés dans la foi catholique, sont devenus prêtres, frères, sœurs, religieux de toutes sortes. Ils nous ont éduqué gratuitement la plupart du temps, créant un système de santé que personne n’avait assuré auparavant. Ils nous ont aidé lorsque nous n’avions que très peu de ressources.
– Qui est Dieu pour vous ?
– Dieu est ma source, mon guide, mon but. C’est aussi simple que cela ! Dieu est mon centre de gravité, le point central de ma vie. Il est celui vers qui je me tourne pour trouver la sagesse, l’ins-piration, l’espoir et, si nécessaire, une correction. Je suis une personne de foi et je crois fermement en Dieu.
– Remerciez-vous Dieu pour quelque chose en particulier ?
– Je commence et termine chaque journée en remerciant Dieu pour les dons et les opportunités qu’Il m’accorde et pour les grâces qu’Il me donne, comme je l’ai appris depuis ma tendre enfance. Je Le remercie pour le don de la vie, pour les joies qu’Il m’apporte, pour la force qu’Il me donne face aux crises à gérer et à la tristesse que certains jours apportent. Je Lui suis tout particulièrement reconnaissante d’avoir la foi. Je ne pourrais pas vivre sans. Je me sentirais bien seule dans cette expérience si je ne l’avais pas.
– Vous êtes le premier Président irlandais né en Irlande du Nord. Pensez-vous que le processus de paix entamé en 1998 (l’année du Référendum) est parvenu à installer un compromis durable ?
– C’est en bonne voie. L’accord du Good Friday (du Bon Vendredi : voir encadré) en 1998 a jeté les bases pour créer une structure qui permettrait la paix et pour tester la volonté de la population. Nous lui avons demandé s’ils soutenaient cet accord et l’écrasante majorité a répondu oui. Tous ceux qui ont répondu positivement et ont coché cette case, se sont réellement investis pour construire la paix, parce que la politique ne suffit pas à maintenir la paix. Il faut aussi des cœurs, des têtes, des mains, du travail et la bonne volonté des citoyens. Et c’est ce qui se produit à présent. Nous essayons d’effacer des siècles de haine. Il faudra du temps mais je pense que l’envie est là. Une nouvelle force de police a été introduite en Irlande du Nord et nous avons évolué vers un nouveau système judiciaire : une importante structure pour garantir l’égalité. J’aimerais penser que la haine disparaîtra lorsque les deux parties cesseront de croire qu’ils sont les seules victimes, les seuls martyrs. Je voudrais tant qu’elles commencent à regarder les autres avec un peu de compassion et de pitié.
– Vous êtes née à Belfast, quelle influence a eu sur votre vie la situation de cette ville?
– J’ai grandi heureuse dans une maison familiale à Ardoyne, un village qui, ces derniers mois, a malheureusement fait parler de lui pour les événements terribles liés aux petites élèves de l’école Holy Cross (lire l’article page 16). Ma maison était juste derrière l’angle de cette école et son nom était Padua, un nom que ma mère lui avait donné. J’ai vécu dans une grande dévotion à saint Antoine de Padoue, peut-être parce que dans une maison avec neuf enfants, on perdait toujours tout !
Au début des années 70, des soldats sont venus et ont vidé tout le chargeur de leur mitrailleuse sur notre maison, le jour de la fête de l’Immaculée Conception, en décembre. Nous avons dû tout abandonner et nous n’y sommes jamais re-tournés. Personne ne fut tué ni blessé, grâce à Dieu et à saint Antoine ! Nous sommes sortis indemnes physiquement mais pas psychologiquement. Mais, ce qui est le plus important, nous sommes sortis indemnes spirituellement de cet événement. Il aurait été facile de céder à la tentation de la vengeance. Mais je crois que l’esprit de Saint-Antoine a rempli nos cœurs d’espoir. Nous avons grandi en écoutant l’histoire de sa vocation franciscaine. J’ai eu la chance de vivre et de grandir dans une famille marquée par une foi profonde, nourrie de prières qui nous encourageaient à faire face à la haine des autres pour nous, catholiques. Nous en sommes sortis plus tolérants, plus à même de pardonner et d’aimer. C’est le don de saint Antoine à notre famille.
– Vous vous intéressez non seulement à la spiritualité de saint Antoine, mais aussi à celle de saint François. Qu’est-ce qui vous attire en lui ?
– Sa capacité de célébrer tous les dons que nous recevons dans notre vie, qu’il s’agisse d’oiseaux, d’animaux ou d’êtres humains ; et d’en être reconnaissants à Dieu. Il est facile d’être reconnaissant pour soi-même et pour ce qui nous flatte, mais reconnaître la valeur des autres, cela aussi est un don pour moi. J’aime aussi le détachement de saint François par rapport aux choses matérielles. Chaque année, je pars en retraite chez les Clarisses et passe un peu de mon temps avec elles. En outre, j’ai souvent été en pèlerinage à Assise. Je ne sais pas très bien ce qui m’attire au monastère des Clarisses, mais pres-que tous les jours je repense à la paix que j’y trouve et suis reconnaissante de savoir qu’il y a quelqu’un qui consacre complètement sa vie à la prière. J’en tire une force et une énergie pour ma vie et je sais que c’est parce que quelqu’un prie pour moi !