Vieillir avec Dieu, une fécondité nouvelle
« La vieillesse est un naufrage ». Cette citation ultra célèbre est presque devenue un lieu-commun. Employée par le général de Gaulle dans ses Mémoires de guerre alors qu’il sort de sa dernière rencontre avec le maréchal Pétain en juin 1940, on mesure alors la portée des propos. Mais cette citation, empruntée à Chateaubriand est reprise aujourd’hui comme un élément de langage pour lancer lapidairement une formule assassine
(cf. interview en p.12-14). Elle a souvent été attribuée, à tort, à Victor Hugo. Mais ne faudrait-il pas plutôt garder de l’auteur de Quatre-vingt-treize un autre adage : « La vieillesse bien comprise est l’âge de l’espérance » ?
Une chose semble certaine, dans les sociétés avancées technologiquement, du Japon aux États-Unis en passant par la « vieille Europe », il semble que l’on ne se soit jamais autant interrogés sur ce que signifie vieillir aujourd’hui.
Le 19 janvier dernier, le bilan démographique de l’INSEE a livré un impitoyable constat : pour la première fois depuis 1969, l’espérance de vie a reculé en France, de 0,3 an pour les hommes et de 0,4 an pour les femmes. Comme si ces chiffres auxquels le grand public ne s’attendait pas sonnaient comme un arrêt du progrès. Mais au-delà du constat, la priorité n’est-elle pas de « bien savoir vieillir », d’accompagner les personnes âgées plutôt que de lancer mille et une hypothèses pour expliquer ce phénomène ?
La première chose à poser est une disposition de l’esprit et du cœur, prendre conscience que nos sociétés sont vieillissantes et qu’elles ne sont pas toujours à la hauteur quand il s’agit de prendre en charge ces personnes. À de nombreuses reprises, le pape François a fustigé une « culture du déchet » qui marginalise les personnes âgées, comme lors de cette audience générale de mars 2015 où il expliquait que « la qualité d’une civilisation se juge en partie dans la manière dont elle traite les personnes âgées ». Le Pape dénonçait cette mentalité où tant que l’on est jeune « nous sommes poussés à ignorer la vieillesse, comme s’il s’agissait d’une maladie à maintenir au loin », mais que dès lors que nous vieillissons, « nous faisons l’expérience des lacunes d’une société programmée sur l’efficacité qui, en conséquence, ignore les personnes âgées. »
La longévité, une bénédiction
L’Église a toujours accompagné les personnes âgées dans leur fragilité. La Bible fourmille de références sur la sagesse des anciens, et la longévité y est considérée comme une bénédiction. On pourrait citer par exemple ce joli verset du Livre des Proverbes : « Les cheveux blancs sont une couronne d’honneur, c’est dans le chemin de la justice qu’on la trouve » (Pr 16, 31). La vieillesse est assimilée à la sagesse, à la connaissance experte de Dieu. Que l’on pense à Marie qui écoute Élisabeth et Zacharie. « Marie a su écouter ces parents âgés et pleins d’étonnement, elle a mis à profit leur sagesse, et celle-ci a été précieuse pour elle, sur son chemin de femme, d’épouse et de mère » expliquait le Pape lors d’une messe célébrée place Saint-Pierre lors d’un rassemblement pour les personnes âgées en septembre 2014, organisé sur le thème « La vie longue est une bénédiction ».
Trop souvent marginalisées, les personnes âgées sont au contraire une véritable richesse pour la société. Véritable maître de sagesse, le bénédictin allemand Anselm Grün a publié de belles pages sur la richesse de l’âge. Dans L’art de bien vieillir, il invite à l’introspection. « La vieillesse nous invite à pénétrer les profondeurs de la nature humaine. Je ne peux y parvenir qu’en me détachant de ma santé et en me posant ces questions : qui suis-je véritablement ? Ma santé est-elle le seul critère d’après lequel je me définis ? De quoi est constituée ma valeur intrinsèque, celle qui se tapit au plus profond de moi ? » La vieillesse est ainsi le temps du retour sur soi, dans le but de trouver une fécondité nouvelle, qui ne s’impose pas de soi, et qui est même souvent mise de côté par la société.
L’avancée dans l’âge est aussi le temps où se façonne une relation nouvelle à Dieu. « Lorsque mes forces m’abandonnent, se fait jour l’image véritable et originelle que Dieu s’est faite de moi, écrit Anselm Grün. Je ne pourrai vivre une vieillesse calme et joyeuse que si Dieu est le véritable contenu et le but ultime de mon existence. » Le moine allemand fustige au passage les travers d’un monde qui exalte l’éternelle jeunesse, parfois jusqu’à la caricature (pensons simplement aux ravages de la chirurgie esthétique)… « Celui qui idolâtre sa santé est taraudé par la peur incessante de la voir disparaître. »
De la richesse des liens intergénérationnels
Il semble parfois que les personnes âgées soient devenues le chaînon manquant dans les liens intergénérationnels. L’exaltation du jeunisme peut conduire à une marginalisation des anciens. Les aléas de la vie conduisent parfois pourtant à un retissage de ces liens. Dans son roman intitulé 4 décembre, la styliste Nathalie Rykiel explique combien la maladie de Parkinson de sa mère Sonia, 85 ans, a profondément bouleversé sa vie. Dans sa dépendance, la mère se met à appeler sa fille « maman ». « La relation mère-fille qui s’inverse parfois au bout de la vie est une source de richesse infinie je crois », explique Nathalie. Ce lien intergénérationnel préservé, redécouvert, protégé est peut-être la clé d’une société qui sait bien vieillir.
Comme expliquait le pape Benoît XVI en 2012 lors d’une rencontre avec des personnes âgées prises en charge par la communauté Sant’Egidio à Rome : « Il ne peut y avoir de croissance humaine véritable sans un contact fécond avec les personnes âgées, parce que leur existence même est comme un livre ouvert dans lequel la jeune génération peut trouver de précieux conseils pour le chemin de la vie. » À nous de redonner la place qui leur est due aux personnes âgées, et de mettre en lumière leur richesse. Comme le dit un célèbre proverbe yiddish : « La vieillesse, c’est l’hiver pour les ignorants, et le temps des moissons pour les sages. »
« Tout au long de notre existence, nous pouvons nous exercer à nous détacher de notre ego : par la méditation, l’amour, la prière.
Mais c’est seulement en prenant de l’âge que nous comprenons la douloureuse signification du détachement de soi.
Impossible alors de nous dérober : en nous accrochant désespérément à notre ego, nous ne ferions que précipiter notre ruine. Partant, nous ne pouvons réussir notre vieillesse que si nous sommes disposés à nous défaire, en toutes circonstances, de notre ego.
Libre à nous de réagir avec amertume aux petites mortifications quotidiennes ou de les considérer comme une exhortation
à nous libérer de notre ego et à accepter de nous appauvrir. La pauvreté intérieure et extérieure cesse alors de nous tourmenter et
se transmue en liberté de l’âme. Seul qui s’est dépouillé de son ego est véritablement libre et à même de laisser Dieu régner en lui. »
Anselm Grün, L’art de bien vieillir