Rencontre avec... Patrice de Plunkett

24 Juin 2013 | par

Né en 1947, après des études de droit, Patrice de Plunkett s’oriente vers le journalisme. Il fut l’un des fondateurs du Figaro Magazine en 1978, dont il dirigea la rédaction. Journaliste devenu bloggeur, ses contributions développent une vision qui prône le développement d’une écologie humaine. En 2008, il publie L’écologie de la Bible à nos jours, pour en finir avec les idées reçues. Il est par ailleurs chroniqueur à l’Osservatore Romano.

 

Lors de la messe d’inauguration de son pontificat, le pape François a évoqué la figure de saint Joseph, « gardien » de Marie et de Jésus mais a étendu cette mission à toute l’Église : en quoi ces paroles sont-elles une invitation à l’écologie humaine ?

Notre temps a besoin d’une « écologie humaine », c’est-à-dire d’une démarche sociétale visant à préserver l’humain dans toutes ses dimensions. Ce besoin est une riposte à la forme de société que le pape François dénonce avec force, notamment dans sa catéchèse de juin 2013 prononcée pour la Journée mondiale de l’environnement : « La mode aujourd’hui c’est l’argent et la richesse, pas l’homme. C’est la dictature de l’argent », a-t-il dit. « Prenons tous l’engagement de respecter et protéger l’environnement et la création. Soyons attentifs à toute personne et luttons contre la culture du gaspillage ». Les mots sont clairs.

Jean-Paul II a confié à saint François d’Assise le soin de patronner l’écologie. Mais l’appel à faire naître une civilisation de la sobriété peut trouver un co-patron en la personne de Joseph, celui qui exerce dans le silence et la méditation la responsabilité de protéger la Sainte Famille, en vue de la Rédemption de l’humanité. Joseph, Marie et son Fils sont une famille humaine, dans le contexte de leur peuple et de leur temps, et par eux se joue la « dramatique divine », comme disait Hans-Urs von Balthasar. Celle-ci est toujours à l’œuvre en chaque personne aujourd’hui, toutes proportions gardées, mais cette dimension est niée par notre société où la technique et l’argent remplacent tout. D’où l’urgence d’une « écologie humaine », non seulement du point de vue humaniste mais du point de vue spirituel. C’est ce que Benoît XVI a appelé « l’écologie plénière ».

 

Le pontificat de Benoît XVI en particulier a fortement insisté sur les questions d’écologie. Comment faire le lien entre écologie au sens le plus strict et écologie humaine?

Jean-Paul II, Benoît XVI et aujourd’hui François soulignent que l’écologie de l’environnement et celle de l’homme sont indissociables. Benoît XVI, dans son discours de Berlin, a même rendu hommage aux Verts allemands en disant qu’ils avaient « ouvert une fenêtre », indispensable pour sortir de l’asphyxie d’un productivisme qui noie la nature et l’homme sous la marchandise : système qui blesse la nature et aliène l’homme. Il faut donc étendre l’écologie à l’homme, expliquait le pape, car cette société de l’argent et du « matérialisme mercantile » (disait Jean-Paul II), qui nous assujettit à l’objet jetable, traite désormais l’homme comme « jetable » aussi. C’est un engrenage : « Si la bourse fléchit de quelques points, c’est une tragédie, mais pas que des êtres humains soient rejetés comme on jette des ordures », s’est indigné le pape François. Pour échapper à cet engrenage, il faut d’abord comprendre qu’il existe et que tout se tient. La course au profit sans limites que dénonce Benoît XVI dans Caritas in Veritate est la cause du saccage de la planète et du saccage de l’humain ; la tyrannie de Monsanto sur les petits paysans des pays pauvres, dénoncée par le cardinal Turkson, est un produit du système au même titre que le projet de fabriquer les enfants en laboratoire, ou la nouvelle industrie des mères porteuses aux États-Unis.

Les chrétiens eux-mêmes ont-ils oublié le lien entre protection de la Création et protection de l’homme ?

D’où vient le fait que des catholiques puissent ne pas discerner cela ? D’un préjugé et d’un manque de formation. L’écologie environnementale et l’écologie « humaine » sont inséparables. Le préjugé est souvent politique : c’est confondre l’écologie et le parti électoral qui s’en réclame. Parti dont les positions morales et sociétales sont paradoxalement celles de l’industrie biotechnologique que les vrais écologistes dénoncent ! Certains écologistes radicaux, comme ceux de la revue L’Ecologiste ou du journal La Décroissance rejettent le mariage homosexuel ou la grossesse « pour autrui ». Peu de catholiques savent cela. Il est urgent d’ouvrir les yeux sur ces choses inattendues. Le manque de formation religieuse joue également un rôle. Trop de catholiques français ignorent que le livre de la Genèse est la charte de l’écologie environnementale, puisque le Créateur confie la création à une créature, pour qu’il en soit devant Lui le jardinier. Nous sommes là au cœur de l’écologie moderne ! De même, trop de catholiques français négligent les appels des papes à changer le modèle économique, qui est la cause du saccage de la planète. Mais les esprits s’ouvrent peu à peu. Les premières « assises chrétiennes de l’écologie », organisées par le diocèse de Saint-Étienne en novembre 2011, ont eu un succès considérable.

 

En quoi l’Église peut-elle proposer un « modèle de société » en développant cette thèse ?

L’Église ne propose pas de « modèle de société », mais actualise sans cesse le message évangélique, en l’appliquant aux situations nouvelles. Elle appelle les catholiques à comprendre que le modèle économique et social conditionne dans une large mesure la vision de la vie de nos contemporains, ainsi que les nouvelles lois. Comme l’a indiqué vigoureusement Joseph Ratzinger, dans l’Instruction sur la liberté chrétienne et la libération, l’Église approuve l’action pour changer les structures économiques quand elles sont oppressives, ce qui est désormais le cas, si l’on regarde les effets humains du système ultralibéral mis en place dans les années 1990. L’Église appelle à redimensionner l’économie pour qu’elle soit à la mesure de l’homme, elle propose de « dynamiter » le modèle économique actuel en y introduisant son contraire : l’économie sociale et solidaire, celle du don et de la coopération ; elle appelle à faire naître une vision de la société qui ne soit plus polarisée sur le casino des profits. Prises au sérieux, ces idées seraient vraiment une révolution.

 

On a reparlé d’écologie humaine à la lumière des débats sociétaux en France ces derniers mois, y a-t-il une conception « française » de cette écologie ?

Le mouvement de masse contre le « mariage pour tous » a permis à des milliers de catholiques de commencer à apercevoir ce dont nous venons de parler. Jusqu’ici, ils voyaient qu’on peut améliorer certaines choses avec de bons sentiments individuels. Mais ils s’en tenaient là. Désormais ils voient que l’on a affaire aussi à une gigantesque machinerie internationale : les nouvelles lois s’inspirent d’un hyper-individualisme lié au système économique ultralibéral ; à Washington, la banque Goldman-Sachs, Monsanto et 278 autres major companies font pression sur la Cour suprême pour transformer le mariage gay en jurisprudence fédérale. Du coup, des rencontres inattendues s’opèrent chez ceux qui ne sont pas d’accord avec cette machinerie, et qui viennent de tous les horizons d’idées. Lors du « sit-in » contre Monsanto, à Paris, le 25 mai, on voyait dans la foule des militants d’ultragauche côtoyer des familles qui allaient manifester le lendemain contre la loi Taubira ! 

 

Connaissez-vous saint Antoine de Padoue, et si oui, quelle image avez-vous de ce saint ?

Saint Antoine est pour moi le « docteur évangélique », défenseur des pauvres et appelant les riches à prendre l’Évangile au sérieux.

 

Comment priez-vous?

Avec la liturgie des Heures, et le soir avec les lectures du jour.

 

Quand-est ce que vous vous sentez le plus proche de Dieu?

Assurément dans la prière.

 

Qu’est-ce qui vous a rendu le plus heureux cette année ?

De voir se rencontrer enfin des catholiques et des contestataires de gauche, convergeant dans une même protestation face à l’oppression de l’argent.

 

Updated on 06 Octobre 2016