Rencontre avec... Cardinal Robert Sarah
Né en Guinée en 1945, l’ancien archevêque de Conakry est l’une des figures africaines de la Curie où il travaille depuis dix ans. Après avoir été longtemps secrétaire de la Congrégation pour l’évangélisation des peuples, il est depuis un an président du Conseil pontifical Cor Unum.
Le pape va se rendre ce mois-ci au Bénin, quelles sont les attentes de ce voyage en Afrique ?
Ce voyage est très attendu là-bas, tout l’épiscopat africain sera présent. L’une des raisons de cette visite est la remise aux évêques de l’exhortation apostolique post-synodale, à la suite de l’assemblée spéciale sur l’Afrique qui s’est tenue à Rome en 2009. C’est un grand privilège pour les Africains, car c’est une occasion de réconforter le continent face aux nombreuses épreuves qu’il traverse. Mais le pape vient aussi réveiller l’Église africaine dans sa mission d’évangélisation. Comme le dit saint Paul : « Nous sommes les ambassadeurs de l’Évangile. » Ce voyage est le signe que le Saint-Père aime l’Afrique, il devrait exhorter les Africains à prendre en main leur destinée, avec responsabilité. Cette visite au Bénin sera sûrement très fructueuse ; Benoît XVI doit parler aussi aux prêtres, qui sont les moteurs de l’Église.
Faut-il changer notre regard sur l’Afrique ?
Bien sûr ! Les journalistes présentent toujours ce continent de manière négative, alors que l’Afrique a une immense richesse humaine. Lors du synode, le pape avait souligné que l’Afrique restait un « poumon spirituel pour l’humanité ». Malgré les difficultés, les pays africains gardent confiance, ils ont le sens de la famille, le sens de Dieu, du respect de la vie. Ce qui me frappe, c’est que les derniers papes ont toujours eu une affection particulière pour le continent. En 1969 déjà, Paul VI disait que « la nouvelle patrie du Christ était en Afrique ». L’Église africaine a beaucoup grandi. En 1900, il n’y avait que 2 millions de catholiques.
Le continent a des richesses immenses mais celles-ci sont malheureusement détournées et ne profitent pas à la population. Même si de nombreux responsables politiques sont complices et ne font qu’augmenter la misère, la responsabilité n’est pas seulement celle des Africains, mais celle des pays riches. Et le continent manque cruellement de médias puissants pour porter au monde un message positif.
Le dernier synode sur l’Afrique ainsi que le voyage du pape au Cameroun et en Angola ont-ils porté des fruits ?
Je crois que le message final du synode a bien été répercuté dans tous les diocèses. Dans de nombreux pays, on travaille à la paix et à la réconciliation. À part les récentes violences en Côte d’Ivoire, la Somalie ou encore la situation en Libye, il y a malgré tout de moins en moins de guerres sur le continent ces dernières années.
À chaque fois, l’Église a été impliquée dans les efforts de réconciliation. Nous sommes une famille qui doit rester unie. Au Cameroun, l’Église se renforce dans sa mission et fait l’objet d’une plus grande attention de la part des responsables politiques. La situation s’est aussi apaisée en Angola et le message de paix de Benoît XVI a beaucoup marqué. Le pays a été marqué par une terrible guerre civile, mais les choses vont mieux. Les réfugiés rentrent peu à peu dans leurs villages car il y a plus de sécurité, mais le processus est long.
Quelle voix l’Afrique, et l’Église africaine en particulier, peut-elle porter sur la scène internationale ?
Une voix particulière, c’est sûr. Une fois encore les papes comptent sur l’Afrique. Dans la conclusion du premier synode Ecclesia in Africa, qui s’est tenu en 1994, Jean-Paul II a dit cette belle phrase : « Le nom de chaque Africain est gravé sur les paumes du Christ crucifié. » Ceci est un appel à l’Afrique pour qu’elle soit un apport à la vie spirituelle du monde entier. Dieu n’abandonne pas les Africains, comme il n’abandonne pas l’humanité. Je pense que l’Afrique peut, dans le temps de crises que nous traversons, apporter avec modestie le sens du religieux qui l’habite. L’Afrique peut rappeler à l’Église ce que le Seigneur attend de nous ; il attend toujours des pauvres pour faire face aux puissants. Le peuple africain, qui garde son innocence, peut vraiment aider les sociétés en crise à être plus humbles, plus raisonnables, plus respectueuses du sens de la nature. C’est comme ça que Dieu nous veut, que nous retrouvions sagesse et humilité.
Vous êtes en charge du Conseil pontifical Cor Unum, pouvez-vous nous expliquer votre tâche et le fonctionnement de ce dicastère ?
Cor Unum a aujourd’hui 40 ans et sa mission centrale est de promouvoir et coordonner la charité dans l’Église, être l’expression de la compassion de Dieu avec ceux qui souffrent. J’ai pu m’en rendre compte en Haïti ou au Japon. Mais nous n’apportons pas qu’une aide matérielle, ce que font très bien de nombreuses ONG, nous essayons d’apporter aussi la consolation de Dieu. Cor Unum aide les Caritas du monde entier à mettre l’Évangile dans ce qu’elles font. Nous avons ainsi organisé de grandes retraites spirituelles avec ces Caritas sur trois continents. Je crois qu’il est important de ne pas oublier la dimension spirituelle de la charité. Concrètement, une quinzaine de personnes travaillent ici à Rome et nous avons environ 35 membres répartis dans le monde entier, du cardinal au laïc, qui sont nos relais.
Vous êtes l’un des rares Africains en poste à la Curie, l’Afrique ne doit-elle pas être plus visible dans la direction de l’Église ?
Le problème n’est pas l’ethnie ou la race. Ce ne sont pas les titres qui importent. L’Église est un corps avec plusieurs membres ; tous les continents y sont représentés. Lorsque l’on parle de la Curie, on doit insister davantage sur ceux qui ont le souci d’être saints. Il ne faut pas ignorer ce qu’est l’Église, en avoir une vision trop politisée. Le plus important pour moi n’est pas qu’il y ait plus de cardinaux africains, mais plutôt de vrais chrétiens, de vrais témoins du Christ, qui aient le souci d’être sans cesse configurés à lui.
Questionnaire de saint Antoine
Connaissez-vous saint Antoine et si oui, quelle image avez-vous de lui ?
On le représente portant Jésus dans les bras, mais je crois qu’il l’a aussi dans son cœur. Il peut nous aider à porter le Christ dont nous perdons parfois la trace dans notre vie quotidienne.
Quand vous sentez-vous le plus proche de Dieu ?
Il y a trois moments. Dans l’Eucharistie d’abord, c’est là qu’en prenant Jésus dans mes mains je me sens le plus uni à lui. Dans l’oraison ensuite, devant le tabernacle. Enfin, en vivant la charité, quand nous servons le Christ en servant les pauvres.
Comment priez-vous ?
En ne disant pas grand-chose. Prier est réussir à faire silence en soi pour entendre Dieu nous parler et nous façonner, se tenir devant lui dans toute notre nudité.
Qu’est-ce qui vous a rendu le plus heureux cette année ?
J’ai visité plusieurs endroits frappés par des tragédies, mais le Japon m’a beaucoup marqué. On a prié pour les victimes et leurs familles. Je me suis senti l’un d’eux. À mon retour, j’ai reçu une lettre d’une dame qui a été très touchée de cette visite. « Je voulais me suicider, écrivait-elle, mais en vous ayant vu prier parmi nous, j’ai changé d’avis. » Cela m’a bouleversé.