Rencontre avec... Paolo Morozzo della Rocca
Membre de la communauté catholique italienne Sant’Egidio, qui œuvre auprès des défavorisés depuis 1968, Paolo Morozzo della Rocca, 50 ans, est professeur de droit à Rome. Depuis plusieurs années, il est en charge des immigrés et des réfugiés au sein de ce mouvement.
Comment vous êtes-vous engagé dans la communauté Sant’Egidio ?
Mon premier contact avec la communauté a été à travers les pauvres. J’étais étudiant, et n’avais pas un sentiment très précis de la justice. J’ai pris conscience au fil du temps de cette réalité ecclésiale, alors que je n’étais pas particulièrement croyant. Je suis devenu un chrétien qui cherche à vivre l’Évangile avant tout à travers cette amitié avec les pauvres.
Ces derniers mois, on a beaucoup parlé des migrants dans l’actualité, après leur arrivée massive, et des difficultés pour les accueillir…
Le problème est complexe. L’Italie a connu beaucoup de flux de réfugiés liés aux conflits en Irak, en ex-Yougoslavie, en Somalie ou, plus tôt, en Albanie. En 1979, l’Italie est allée récupérer des boat-people dans l’océan Indien pour sauver des gens qui sont aujourd’hui italiens. La question est de savoir si l’Italie est la même aujourd’hui que lors de ces années-là. Il me semble que le pays a changé, alors que les problématiques restent les mêmes. Il faut retrouver un sentiment de responsabilité et de solidarité.
Les événements en Libye et en Tunisie interrogent l’Europe, mais sont aussi une chance de recréer une certaine alliance euro-africaine. Les migrants qui arrivent à présent sur les côtes italiennes pour fuir les combats demandent un accueil qui est un droit. Cela vaut surtout pour ceux qui viennent de Libye, pays déjà terre d’accueil pour une grande partie d’entre eux.
Les réfugiés sont vus aujourd’hui comme un problème, ce qui n’était pas le cas auparavant…
Oui, la difficulté dans notre société est la myopie, la crainte, voire la peur. Les réfugiés sont-ils vraiment un problème ? Non, ils ont un problème, qui pourrait demain être le nôtre. Le risque en Europe est de perdre le sentiment d’une responsabilité collective et, au final, de perdre en démocratie.
Les immigrés ont de grandes qualités ; la première est leur âge : il s’agit d’une population jeune, qui a un projet de vie et besoin de notre pays. Avoir besoin d’un pays signifie avoir besoin de l’aimer. Après un voyage où ils ont parfois risqué leur vie, vivre dans un pays qui a un avenir est fondamental. Je pense notamment aux Afghans. Ils ont la capacité de travailler, sont courageux, connaissent la dureté de la vie et sont finalement une grande espérance pour nous.
L’Europe a-t-elle les capacités d’accueillir tous ces réfugiés ?
Elle a en tous cas les moyens de gaspiller pour les refouler ! Combien l’Europe va-t-elle dépenser pour l’expulsion des étrangers, ou pour rendre difficile les procédures de régularisation ? Les avocats, la police engagée pour bloquer les immigrés au lieu de lutter contre la délinquance… On trouve toujours de l’argent pour les choses inutiles !
On ne dépense en revanche presque rien pour l’intégration, qui est toujours la « rencontre de deux mains ». L’Europe a besoin des immigrés, par exemple ici en Italie, où les personnes âgées ont des difficultés à rester indépendantes ; l’intégration serait déjà d’ouvrir le marché de l’aide à domicile à des migrants sans permis de séjour.
N’est-il pas paradoxal de miser sur l’élargissement de l’Europe tout en refoulant la plupart des migrants du sud de la Méditerranée ?
Oui, c’est un paradoxe car élargir l’Europe signifie avant tout élargir un marché de biens. C’est une Europe de la consommation et, à mon sens, un risque grave. L’Europe manque du sens de la responsabilité dans les affaires étrangères, je pense en particulier au partenariat avec l’Afrique qui est tombé en désuétude, quelques déclarations démagogiques mises à part. On voit aussi qu’elle est divisée politiquement sur le réveil des pays arabes.
Comment expliquez-vous que les politiques semblent se désintéresser de la question des immigrés, contrairement aux associations ou mouvements comme Sant’Egidio ?
La politique ne se désintéresse pas de la question, mais a tendance à l’instrumentaliser, souvent à des fins électorales. On trouve des victimes faibles et on leur fait porter la responsabilité de ce qui ne marche pas. C’est un signe de malhonnêteté de notre classe politique, ou simplement parfois d’incapacité à voir les choses. Par exemple, nous savons bien que l’intégration des immigrés commence par la langue, or on ne peut pas attendre que les étrangers aient leur permis de séjour pour commencer à l’apprendre. La politique d’intégration est la tâche la plus urgente de l’Europe dans le contexte de la mondialisation.
Comment expliquez-vous cette peur du migrant aujourd’hui ?
Le sentiment de peur a toujours existé devant ce qui changeait. À Rome, dans les années 1950-1960, dans certains quartiers, les gens avaient peur devant l’arrivée des travailleurs napolitains ou d’autres régions du sud de l’Italie. Dans le quartier de Trullo, par exemple, les gens vivaient dans la crainte à cause d’une rumeur sur l’arrivée de Français…
Mais on ne peut pas toujours dire que celui qui a peur se trompe ; souvent la peur à des raisons qu’il faut comprendre objectivement. Par exemple, une personne âgée qui vit entourée
de Chinois, de Togolais ou d’Albanais peut avoir un sentiment de crainte
très justifié parce qu’elle n’est plus comprise quand elle dit bonjour. Il faut découvrir ensemble que l’on peut se dire bonjour, avec les Chinois comme avec les autres.
Depuis les débuts de la Communauté, nous sommes très présents auprès des personnes âgées à Rome. Une alliance forte est possible entre elles et les immigrés. Le 2 juin dernier, nous avons organisé une fête dans le quartier de l’Esquilin à Rome, où des jeunes filles chinoises ont dansé un ballet traditionnel, mais aussi la tarentelle, une danse typique de l’Italie ! J’ai été très étonné de voir chez les immigrés une affection pour leur pays d’accueil qui était bien plus forte que chez beaucoup de jeunes Italiens. Ils sont très conscients que si l’Italie tombe, c’est leur espérance d’une vie meilleure qui s’effondre.
Comment ce travail auprès des migrants s’articule t-il avec votre foi ?
Connaître l’histoire d’une personne, qui a parfois risqué sa vie pour fuir son pays, mais qui garde une confiance, une espérance et une capacité à faire le bien, me rappelle beaucoup la figure d’Abraham, notre père dans la foi. Il est très touchant de voir des personnes pauvres qui vous regardent comme la chance de leur vie. C’est une dimension de l’espérance qui parle vraiment à ma foi personnelle. n
QUESTIONNAIRE DE SAINT ANTOINE
Connaissez-vous saint Antoine et si oui, quelle image avez-vous de lui ?
Je connais la dévotion que saint Antoine, le grand franciscain évangélisateur, reçoit chez nous. Il est aussi rattaché à mon histoire personnelle parce que ma mère est née à Padoue.
Quand vous sentez-vous le plus proche de Dieu ?
Dans la prière surtout, c’est le moment où j’unis toutes mes expériences concrètes à mon Père. Il y a aussi des rencontres avec les pauvres qui sont les prémices d’un dialogue avec Dieu.
Comment priez-vous ?
Le matin, avant de commencer la journée, avec une petite lecture de la Bible et un moment de prière personnelle, et souvent le soir, lors des vêpres de la Communauté Sant’Egidio dans l’église Santa Maria du Trastevere, à Rome.
Qu’est-ce qui vous a rendu le plus heureux cette année ?
Une fête. Celle du 2 juin dernier, sur l’Esquilin, à l’occasion de la fête nationale. Un très beau moment avec des personnes de tous âges, du monde entier, où chacun a fait de son identité non pas une raison de se diviser, mais un don pour servir les autres. C’est pour moi la peinture du paradis !