Le savoir à la portée de tous

19 Octobre 2010 | par

34 millions de pages et 10 millions de définitions en 270 langues différentes, en moins de 10 ans ! Avec ses 60 millions de contact par jour, Wikipédia est le cinquième site le plus visité au monde. Le Messager a rencontré son fondateur qui se définit « simple menuisier du web »



« Exposer autant qu’il est possible, l’ordre et l’enchaînement des connaissances humaines ; comme Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, il doit contenir sur chaque science et sur chaque art des principes généraux qui en sont la base, et les détails les plus essentiels qui en font le corps et la substance ». Voici le but de la première grande encyclopédie. Diderot et d’Alembert doivent avoir sué sang et eau, comparés à vous, M. Wales.

Il y a 9 ans, tout le monde pensait que c’était une folie. Pourtant, déjà en mars 2000, j’avais donné naissance au projet d’une encyclopédie contrôlée par les utilisateurs appelée Nupedia. Un véritable défi. L’année suivante, avec mon associé Larry, j’ai créé Wikipédia, un site pensé pour diffuser des contenus wiki, c’est-à-dire rapides et immédiats, fournis par les utilisateurs eux-mêmes.



Il faut du talent pour mettre en place un projet révolutionnaire comme le vôtre.

Je me considère comme un simple menuisier du web. J’ai mis en ordre ce que les autres ont fait. Wikipédia est un essai géant. Pour la première fois, nous avons démontré à quel point les gens peuvent créer, en s’unissant librement. Notre vie se base sur un nombre toujours plus grand d’informations : la croissance et le développement d’Internet ont permis tout cela. Heureusement, nous aussi, nous devenons, sinon plus intelligents, sans doute plus conscients et plus informés car le web nous permet de partager des informations, des opportunités impossibles auparavant.



Wikipédia est une sorte de multinationale du savoir. Comment définissez-vous votre création ?

J’ai toujours imaginé un monde où chaque personne a libre accès à la summa de la connaissance humaine. C’est ce que j’ai cherché de réaliser avec Wikipédia : un instrument qui permet aux personnes, partout dans le monde, de construire une encyclopédie et de mettre à jour en permanence toutes les définitions. Le résultat est une encyclopédie gratuite, multilingue, écrite par des volontaires (les 35 employés de wiki ne pourraient rien faire s’il n’y avait pas, derrière eux, 10 000 bénévoles). En dix ans, la base de données des connaissances humaines a changé car les exigences des personnes qui viennent sur Wikipédia ont changé. Aujourd’hui, on demande plus de précisions, un approfondissement constant des informations et une mise à jour en temps réel.



Entre les extrêmes “Aa !” (groupe rock japonais) et “Zzyzx” (zone du comté de San Bernardino en Californie), l’encyclopédie grandit au rythme de 30 000 entrées par mois. Comment expliquez-vous la tenue de ce qui était un essai à l’origine ?

Tout cela est possible grâce à la collaboration collective, au libre accès. Sur Wikipédia, il y a liberté de copier, de modifier, de distribuer les versions modifiées. C’est la base de la communauté. Quand des personnes contribuent à la formulation d’entrées, elles ne participent pas seulement à un projet humanitaire mais à un ensemble de connaissances qui peut continuellement se reconstruire et se réutiliser. Voici la vraie force qui a donné une croissance énorme à Wikipédia. Au fil des années, nous avons toujours cherché à respecter les trois règles d’or que nous nous étions données au départ : neutralité, vérifiabilité et refus de la prétention à donner des nouvelles inédites.



Mais, de cette façon, vous avez envoyé l’encyclopédie sur papier à la retraite. Le même destin est-il réservé aux journaux et aux livres ?

La tendance n’est pas à remplacer les livres traditionnels par d’autres formes. Personnellement, j’adore les livres en papier : c’est un produit à bon marché, qui dure et sans batterie ! Et puis, feuilleter les pages me donne toujours une émotion unique. Mais, pour l’encyclopédie, l’impression sur papier n’est plus la bonne technologie, la quantité d’informations est trop vaste. J’observe de près les diverses technologies comme le lecteur de eBook Kindle et l’Ipad. Lire n’importe quel texte avec ces instruments est vraiment très pratique.



Dans une telle encyclopédie, est-il vraiment possible d’être objectif, de rester au-dessus des parties ?

La neutralité est une des règles fondamentales. Pensons au conflit sur la frontière israélo-palestinienne. Les interprétations sont clairement différentes entre les deux parties en cause. Wikipédia ne prend pas position mais rapporte les différentes lectures des événements, en utilisant des sources fiables. Ce n’est pas à nous de tirer des conclusions, sinon on réduirait le principe d’absolue liberté démocratique qui nous inspire. Nous voulons donner toutes les informations possibles pour que chacun les élabore de manière autonome et arrive à former sa propre opinion tout seul.



Votre œuvre est surtout composée de textes. Mais, aujourd’hui, les personnes aiment surtout regarder des images et des vidéos sur le web. Quel avenir pour Wikipédia ?

Notre projet a des règles bien définies car nous savons où nous voulons aller. Nous n’avons pas de vidéos amusantes comme sur Youtube et nous ne sommes pas un réseau social comme Facebook ou MySpace. L’objectif premier d’une encyclopédie est d’offrir une synthèse essentielle de la connaissance humaine. Dans l’avenir, nous prévoyons d’introduire quelques vidéos et images, mais pas de manière invasive et déstructurant.



Vous avez une fille qui a, à peu près, le même âge que Wikipédia. Que lui diriez-vous si elle choisissait d’étudier sur le web plutôt que sur les livres ?

C’est déjà arrivé. J’ai suggéré à Kira de se servir des deux. Livres et web sont des instruments aussi utiles mais avec des fonctions différentes. Je lui ai dit des les utiliser tous les deux avec sagesse, respectant leur nature et leur particularité.



Y a-t-il encore quelque chose qui arrive à vous surprendre ?

Oui, l’individualité, la capacité de créer seul.

Tous les jours, je suis surpris par les lieux où j’ai été dans le monde sans y avoir mis physiquement les pieds. Et cela grâce aux nouvelles que nos bénévoles nous envoient. Ce sont des descriptions extraordinaires, tellement fidèles à la réalité qui me font connaître ces lieux comme si je les avais vus de mes propres yeux. n





Biographie



Jimmy Donal Wales naît à Huntsville, Alabama, le 7 août 1966. Après un master de finances à l’université d’Alabama, “Jimbo” devient agent de bourse à Chicago et obtient en quelques années une confortable sécurité économique. Au milieu des années 90, il fonde Bomis, un portail de recherche pour musique pop.

En 2000, il donne naissance à Nupedia, encyclopédie contrôlée par les utilisateurs eux-mêmes, embauchant

le philosophe Larry Sanger comme rédacteur en chef. Jimmy Wales désire à l’origine une qualité comparable aux encyclopédies professionnelles du marché avec des rédacteurs libres sélectionnés, mais leur rareté cause la fermeture de Nupedia en septembre 2003, avec seulement 24 articles finis et 74 articles en cours de développement.

Le 15 juin 2001, Wales et Sanger créent Wikipédia. « Wikipédia est une encyclopédie, multilingue, universelle, librement diffusable, disponible sur le Web et écrite par les internautes grâce à la technologie wiki », telle est la définition de Wikipédia que l’on trouve sur Wikipédia même, l’encyclopédie libre la plus fameuse du web.

Vers juin 2003, Wales fonde Wikimedia Foundation, organisation non lucrative qui abrite Wikipédia, Wiktionary et Nupedia. Il lance deux projets à but lucratif avec Angela Beesley : Wikia, un service de hosting wiki (c’est-à-dire un service d’hébergement web qui permet aux individus et organisations à faire leur propre site Web accessible sur la toile) et un moteur de recherche en style wiki, Wikia Search, en 2008.

En 2005, Wales est désigné membre du Centre Berkman pour l’internet et la société de la faculté de droit d’Harvard. Il est invité par la suite dans de nombreuses émissions et reçoit différents diplôme honoris causa.

Updated on 06 Octobre 2016