Le 'métier' de prêtre
Cela fait un an et demi que je suis évêque. J’ai déjà enterré 18 de mes prêtres, et deux de moins de 40 ans sont venus me voir pour quitter le ministère. Cette confidence d’un jeune évêque à la sociologue Céline Béraud (1) fait froid dans le dos. En effet, si l’on s’arrête aux statistiques, c’est la débâcle. Pourtant, observe la sociologue, la plupart sont heureux dans leur ministère, mais parfois au bord de “péter les plombs” devant la surcharge. Ils aspirent tous à une certaine autonomie, à un espace personnel de vie et ils essayent de prendre du temps pour eux. La plupart apprennent à dire non : à trop de réunions, à célébrer toutes les obsèques, à être celui qui est toujours là pour répondre à toutes les demandes. Mais ce n’est pas facile quand on a une soixantaine de villages dans sa “paroisse” et qu’en une année, comme confie l’un d’eux, on a eu 250 obsèques, 130 baptêmes et 30 mariages !
Une autre enquête, auprès de 896 prêtres et religieux, le Livre blanc de l’Apsecc (2), qui s’est attaché à l’aspect de la santé physique et mentale, note aussi pas mal de fatigue, de perte de motivation et d’usure, notamment chez les plus âgés à qui l’on demande à 65 ans ce qu’ils faisaient à 30 ans ! Un certain nombre avoue des dépressions et de l’alcoolisme. Malgré tout, 65% estiment avoir un bon équilibre de vie.
Arrêtons de rêver !
Cependant, dans une longue partie consacrée aux expressions libres, les enquêtés de l’Apsecc disent leur indignation devant le manque de réalisme de l’Eglise et « l’immobilisme de Rome et des évêques incapables d’inventer un ministère presbytéral vécu autrement. »
« Ce qui manque, s’exclame l’un d’eux, c’est une étude sereine des priorités, en tenant compte des forces réelles. » En 1965, la France comptait 41 000 prêtres en activité, en 2005, ils étaient 12 830, en 2014, on estime qu’ils seront environ 4 500 au-dessous des 65 ans. « On veut tout faire et toujours mieux avec moins de monde ; on rêve ! »
Dans la même enquête, d’autres s’interrogent sur la règle du célibat. « L’argument de la disponibilité, c’est à voir. Je préfère un homme marié ouvert qu’un vieux garçon fermé. » Certains osent même suggérer l’ordination des femmes pour « adoucir les mœurs… »
« C’est une Eglise d’hommes qui a le pouvoir. Il y a des incidences sur l’équilibre de vie des prêtres qui sont des vieux garçons en dehors de la vie et qui manquent d’humanité parfois. »
Céline Béraud, qui s’est attachée à analyser la prêtrise sous l’angle du “métier”, observe que les prêtres récusent le terme de “métier” pour un ministère qui prend toute leur vie, mais ils aspirent en même temps à une réelle professionnalisation. En effet ils assurent de plus en plus un travail de cadre : ils “font” de moins en moins eux-mêmes mais ils sont accompagnateurs et animateurs et ont à gérer les conflits. Et ils commencent à apprécier les formations continues (comme Chemins d’humanité ou Talenthéo) qui les initient au management.
Faire des choix
L’urgence de faire des choix dans les nombreuses tâches des prêtres s’impose, proclame Mgr Gilson3, qui demande à ses confrères évêques d’ouvrir les yeux. On n’est plus au 19e siècle, il faut réinventer le “métier” de prêtre !
Mgr Gilson distingue « trois espaces » dans lesquels s’inscrivent les Français par rapport à l’Eglise : les communautés chrétiennes qui vivent en assemblées vivantes, responsables, eucharistiques ; les Français et étrangers qui se déclarent catholiques et exigent d’être servis par l’institution quand ils ont des besoins religieux ; les athées et les croyants d’autres religions. Mgr Gilson estime que les prêtres doivent être déchargés du deuxième espace (qui comprend notamment les baptêmes et les mariages) qu’il faudra confier à des ministres institués ou reconnus. Les prêtres ne seront pas tous d’accord. Ni sans doute Céline Béraud qui souligne que dans cette demande de rites l’Eglise rend un service anthropologique à la société, en fournissant des espaces de symbolisation pour les grands moments de la vie.
Pour Mgr Gilson, les prêtres se doivent d’abord à la communauté ecclésiale. Leur première charge « est de faire de la communauté une Assemblée qui prie et qui célèbre : l’Eucharistie est la source et le sommet ». Leur deuxième tâche sera le 3e espace, la « mission au milieu des nations ». En effet de nombreux prêtres regrettent de ne plus avoir de temps pour cette présence au monde.
Le débat est ouvert
Il est certain que l’on ne reviendra pas en arrière sur au moins trois points : l’exigence de respect de la vie personnelle du prêtre qui, comme tous ses contemporains, a une aspiration légitime à l’accomplissement de soi. La collaboration avec les laïcs. L’urgence pour tous les baptisés, qu’ils soient laïcs ou prêtres, d’annoncer la Bonne Nouvelle à un monde qui à la fois la refuse et en a soif.
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1) Le métier de prêtre. Céline Béraud. Ed. de l’Atelier.
2) Un voyage intérieur dans l’Eglise. Un Livre blanc à l’initiative de l’Apsecc (Association pour la Protection Sociale et la Caisse des Cultes).
3) Les prêtres, parlons-en. Mgr Georges Gilson. Editions DDB.
Professionnels
J’observe avec intérêt que lorsqu’on veut reconnaître la compétence et le professionnalisme chez quelqu’un, on dit volontiers de lui qu’il est un homme “de métier”, et l’on reconnaît souvent alors la qualité de ses travaux en disant qu’elle fait la preuve chez lui d’un “grand métier”. Puisque, chers Amis, métier et ministère sont très évidemment le même mot, j’ai envie de vous dire à vous-mêmes : accomplissez votre ministère “avec métier” ; soyez aussi compétents et aussi professionnels dans votre ordre ; faites aussi peu place à la négligence, et à plus forte raison à l’erreur dans votre domaine, que si vous étiez – comme vous auriez pu l’être – dans la mécanique de précision, la marqueterie ou la micro-chirurgie, que si vous étiez dans le conseil psychologique, l’orientation professionnelle ou la comptabilité d’entreprise.
Homélie de Mgr Joseph Doré, alors Archevêque de Strasbourg, aux ordinations sacerdotales du 27 juin 2004