Les religions en dialogue
Les religions en dialogue
A Lyon, à l’appel de la communauté Sant’Egidio, trois cents chefs religieux et cinq mille personnes ont dialogue et prie sur « le courage d’un humanisme de paix ». rencontres plurielles.
Alors que les religions sont généralement accusées de tous les maux et de toutes les intolérances, quel signe porteur d’espérance que ce dialogue entre des centaines de rabbins, imams, bouddhistes, chrétiens de toutes confessions !
La ville de Lyon, qui porte dans son histoire tant de traces d’une ouverture à l’Autre et à l’universel, était bien choisie pour cette rencontre à laquelle le Sénateur-maire, Gérard Collomb, a généreusement apporté sa collaboration. Lors de la séance d’inauguration, Nicolas Sarkozy a déclaré avec force : « La prospérité ne donne pas de sens à l’existence. Elle ne répond pas aux questions fondamentales de l’être humain… Les religions ont à jouer un rôle déterminant. »
Mais toutes les personnalités présentes étaient bien conscientes de la gravité du moment et des énormes difficultés à surmonter pour bâtir cet humanisme de paix ! « Quel long travail est nécessaire pour être guéris et pacifiés dans nos cœurs et nos intelligences… », s’exclama en ouverture le cardinal Barbarin.
Et Andrea Riccardi, le fondateur de Sant’Egidio, invita tous les participants « au courage d’une réflexion sur la violence entre croyants », et au dialogue réaliste qui respecte la culture et la foi de chacun, car « aucun pays, aucune culture, civilisation, religion ou idéologie ne peut prétendre être hégémonique ». Et c’est ce dialogue courageux, ancré dans l’espérance parce que « la paix est un don de Dieu confié aux hommes », qui s’est déroulé pendant trois jours et s’est terminé par la signature d’un manifeste par quelque 400 chefs religieux.
Nous avons recueilli des échos de la richesse que chacun reçoit de l’autre.
Un cardinal à Yom Kippour
« Les catholiques m’obligent à approfondir ma foi, car les protestants ne sont pas toujours dans la spiritualité, avoue Martine Fleur, porte-parole de l’Eglise Réformée de Lyon. J’admire la manière dont la communauté Sant’Egidio vit cette harmonie entre prière et engagement. Chez les musulmans j’admire l’attachement à la prière ».
Et le musulman Khaled Chikhoui témoigne pour sa part : « Plus que jamais on a besoin de ce dialogue car le monde devient violent. En discutant on retrouve des similitudes, par exemple l’amour de l’être humain qui est un fondement, alors on se sent plus proches. »
Richard Westenschlag, grand Rabbin de Lyon, tient à dire son estime fraternelle au cardinal Barbarin « homme de prière et de paix, qui vient prier Yom Kippour avec nous dans le texte hébreu qu’il connaît. » Cette prière commune nourrit-elle notre propre foi ? Bien sûr ! Prier avec d’autres religions nous renforce dans la foi que Dieu n’est pas seulement le Dieu d’Israël, mais le Dieu créateur du monde entier et qu’il n’y a qu’un Dieu. La prière déploie la capacité à dépasser les clivages, les antagonismes, les peurs de l’autre. Nous sommes tous des enfants de Dieu. Nous sommes à la fois particuliers et universels.
Le Cardinal Barbarin, lui aussi, se sent enrichi et confie : « L’an dernier, en participant au Yom Kippour, j’ai fait l’expérience extraordinaire et forte de l’examen de conscience qui n’a pas très bonne presse chez les catholiques. C’est une prière que nous n’avons pas dans la liturgie chrétienne et qui est magnifique : Seigneur, regarde, tu as vu ce que l’on a fait et comme on est, tu es obligé de faire quelque chose... Ce n’est pas possible, tu ne peux pas nous laisser comme cela, alors que nous sommes tes enfants bien aimés, ton peuple aimé…
J’ai trouvé cette prière d’un ton tellement juste, avec la miséricorde de Dieu se penchant sur nos misères et nous qui disons à Dieu : Tu es obligé de défendre ta cause, tu es obligé de défendre tes enfants. »
Le terrorisme, échec global de l’humanité
Lors d’une table ronde, c’est un musulman, Ezzedin Ibrahim, conseiller présidentiel des Emirats Arabes Unis, qui a ainsi condamné le terrorisme. A cette même table, Yona Metzger, le grand Rabbin d’Israël y alla d’une jolie histoire sur l’enfer et le paradis. Des tables y sont dressées mais il n’y a pour manger que des cuillers avec un manche d’un mètre de long. En enfer chacun essaye pour soi… et n’arrive pas à manger. Au paradis, on tend réciproquement la cuiller à son voisin…
Le Rabbin Sirat, un vieux routier du dialogue, aime ces rencontres inter-religieuses où « le frère rencontre son frère dans un cœur à cœur. Ces moments là sont des bénédictions divines dont on peut rendre grâce à Dieu. »
Quand un bouddhiste pressent dieu
Le dialogue porte aussi des fruits en dehors des monothéismes.
Nagao Noriaki, président de la religion Tenrikyo (fondée en 1838) pour l’Europe, tunique noire brodée de blanc et petit bonnet, a une jolie image : « Le dialogue peut purifier notre cœur des poussières qui l’obscurcissent comme les nuages qui empêchent de voir le ciel bleu. Je peux approfondir la mienne. Ici, ajoute t-il, en écoutant les monothéistes, je me rends compte que je peux m’en rapprocher tout en approfondissant ma religion. »
C’est sans doute Gensho Hozumi, moine bouddhiste Rinzai-Zen, un Japonais de 68 ans, entré au monastère à l’âge de 7 ans, qui exprime le mieux la richesse spirituelle du dialogue. Il a séjourné dans trois monastères chrétiens. Chez des Trappistes, en tra-vaillant et priant avec les moines, il dit avoir vécu « dans mon corps et pas seulement avec ma tête ce que pouvait être prier Dieu ». Chez les Bénédictins de Montserrat, puis dans un monastère copte en Egypte, il a été impressionné par des ermites. Il a été à la fois conforté dans sa propre pratique : « J’ai approfondi mon zen et grandi dans la connaissance de moi-même pour rencontrer la Vérité. » Mais, lui qui ne prie pas Dieu, dit aussi : « J’ai étudié pour connaître Dieu. J’ai appris que l’on pouvait rencontrer Dieu et que pour cela il fallait une grande discipline. » Et il conclut : « Il y a beaucoup de chemins spirituels. Une petite grenouille qui vit dans un étang ne peut pas imaginer combien un océan peut être grand. »
Rencontre internationale des religions, 11-13 septembre 2005
Le métropolite Iosif, archevêque pour l’Europe occidentale et méridionale, tient à souligner que les chrétiens ne sont pas seulement des « gens du Livre », mais de la Parole incarnée. « La Parole de Dieu est une nourriture et derrière la Parole se meut l’Esprit de Dieu. Elle est transformatrice et nous renvoie à l’autre et à la Création. »
Josep Maria Soler, Abbé de Montserrat, ajoute le rôle de la liturgie : « participation à la vie divine, transfiguration qui enracine dans la paix et anticipe la venue de Dieu. »
Mgr Casian Cracium, évêque du bas Danube, insiste, lui, sur l’incarnation. « Le Seigneur nous a adoptés, il a pris notre chair, il a respecté la création d’une manière extraordinaire. Et nous qu’avons-nous fait du prochain et du paradis de Dieu ? Notre possession ! » Et il conclut en citant son saint patron, Jean Cassian : « Le péché le plus grand est l’amour de soi-même et la vertu la plus grande est l’humiliation, non pour nous rabaisser mais pour laisser à l’autre une petite place à l’intérieur de nous-mêmes. »