DES PAROISSES NOUVELLES, POURQUOI ?
En France, la concentration urbaine et la désertification des campagnes obligent la société à réorganiser le territoire pour créer de nouveaux centres d’intérêts et d’activités. Il en est de même pour les diocèses qui regroupent les paroisses en vue d’une vie communautaire plus intense et plus apostolique.
Réaménagement des paroisses
Pour mieux comprendre les objectifs qui ont guidé le réaménagement des paroisses, nous avons demandé à Mgr Yvon Bodin, chargé des questions pastorales à la Conférence des Evêques de France, de nous en expliquer les critères et les objectifs.
Le Messager : Quel est le premier objectif de cette réorganisation des paroisses ?
· Mgr Yvon Bodin : Le premier objectif est la mission, selon l’esprit de Vatican II et du Code de Droit canonique (canon 515 § 1). La paroisse apparaît non pas d’abord comme un territoire, mais comme une communauté de fidèles confiée au curé.
Les paroisses traditionnelles ne peuvent donc plus aujourd’hui assurer ce rôle missionnaire ?
· Le tissu paroissial est aujourd’hui émietté. Les petites paroisses traditionnelles ne peuvent plus assurer seules la totalité de la mission ecclésiale. Le petit nombre de chrétiens qu’elles rassemblent ne donne pas, et je cite là Mgr Bonfils, les éléments suffisants ni pour une organisation systématique et complète de l’évangélisation, ni pour la tenue de célébrations sacramentelles, notamment eucharistiques, bien préparées, bien exécutées et tonifiantes . Cependant, il faut aussi respecter une hiérarchie des valeurs dans l’aménagement de ces nouveaux projets pastoraux...
Quels sont les autres objectifs entrevus ?
· Le deuxième objectif est la proximité. Il s’agit de regrouper tout en assurant une présence de l’Eglise très proche de la vie des gens, pour éviter les sentiments d’abandon et de frustration, et pour rendre l’Eglise accessible et visible.
Regrouper ne signifie pas supprimer. Bien au contraire. Voilà pourquoi les ordonnances épiscopales doivent bien souligner l’importance de cette proximité qui prend figure de relais paroissiaux pour le diocèse de Dax ; de relais pastoraux pour celui de Beauvais ou de communautés locales pour Poitiers.
La difficulté consistera à concilier cette pastorale de proximité et la pastorale d’un ensemble humain et chrétien assez grand pour assumer les fonctions ecclésiales. Cela exige la participation de tous. C’est le troisième objectif entrevu, celui de la synodalité. Le mot synode signifie chemin fait ensemble, d’où l’idée de travail commun, de coresponsabilité.
Cette synodalité et cette coresponsabilité sont-elles déjà mises en œuvre et de quelle manière ?
· Déjà la démarche suivie pour la mise en route du projet de renouveau des paroisses est une démarche de caractère synodal : elle met en marche l’ensemble du Peuple de Dieu. La consultation se fait soit au niveau de la paroisse, soit au niveau des secteurs missionnaires, soit au niveau des conseils pastoraux de secteurs, soit au niveau des personnes engagées dans la pastorale : prêtres et diacres, permanents du diocèse ...
Cette politique de synodalité dans la démarche poursuivie explique l’implication importante d’un grand nombre dans la réflexion, et en même temps l’étalement du calendrier dans l’échéance des décisions.
La paroisse, dans sa définition actuelle, est une communauté organisée autour de son propre pasteur. On veille en effet à ce que le ministère du curé s’exerce en coopération avec les autres ministres ordonnés, en collaboration avec les animateurs pastoraux désignés, avec le concours de divers conseils...
Le renouveau des paroisses doit se concevoir à partir de ce faire ensemble , dans une visée pastorale organisée, présidée et animée (1).
(1) A lire : Eglise et société face à l’aménagement du territoire, document de la Commission sociale des évêques de France (Bayard/Centurion/Cerf). Mgr Yvon Bodin intervient dans le chapitre Le réaménagement des paroisses , p. 151, et expose point par point les objectifs entrevus.
En ouverture de ce Document : la Déclaration de la Commission sociale des évêques de France. Elle est suivie des interventions données lors du Colloque, qui s’est tenu au Palais du Luxembourg, les 21 et 22 octobre 1997.
Une nouvelle paroisse à Compiègne :
Saint-Corneille
1198-1998 : de la naissance de deux paroisses de Compiègne, Saint-Antoine et Saint-Jacques, au réaménagement de neuf paroisses en une seule, Saint-Corneille. Deux dates-clefs fêtées notamment par un Festival des églises . Enquête et témoignages.
Il faudra du temps pour changer de repères géographiques et penser paroisse élargie , dit un homme engagé dans le service pastoral de Compiègne. Les restructurations paroissiales – quarante-cinq paroisses nouvelles pour l’ensemble du diocèse de Beauvais-Noyon et Senlis –soulèvent des questions, en particulier celle de la proximité.
Comment peut-on se sentir proche de l’autre, que l’on ne connaît pas, dans une nouvelle paroisse élargie ? En favorisant, par exemple, la naissance de relais de quartiers, répond le Père François Goldenberg, prêtre de la nouvelle paroisse Saint-Corneille, c’est-à-dire en déléguant des personnes dans chaque communauté pour informer, servir de lien entre les gens de quartiers différents.
Ce souci de l’Eglise de rester proche des personnes est une des orientations pastorales de ce diocèse, mais aussi de l’ensemble des diocèses de France (voir interview de Mgr Yvon Bodin).
Les nouveaux découpages font de Compiègne une ville à deux paroisses élargies : Compiègne-Sud appelé Les bienheureuses carmélites et Compiègne-Nord nommé Saint-Corneille . La transformation est donc importante – auparavant vingt-et-une paroisses traditionnelles pour Compiègne, aujourd’hui seulement deux – et les questions restent nombreuses. Mais l’enjeu dépasse les réticences : comme soixante-cinq diocèses de France, Compiègne doit réorganiser son territoire paroissial. Pour trois raisons principales évoquées par un petit groupe de catholiques compiégnois et qui rejoignent en grande partie celles invoquées par la Conférence épiscopale chargée du Service Pastoral : le vieillissement des prêtres et leur raréfaction (bien que, pour l’instant, Compiègne-Nord soit privilégié avec ses sept prêtres pour neuf communautés) ; le Concile Vatican II qui a donné une place importante aux laïcs ; enfin, le réaménagement intercommunal.
Une longue préparation
Dans cette ville, le changement se prépare depuis déjà plus de dix ans, comme dans tout le diocèse, d’ailleurs. En effet, en 1986, le Synode diocésain avait abordé la question du réaménagement des secteurs missionnaires et des paroisses. Depuis lors, des équipes animatrices de communautés, des conseils pastoraux de paroisses ont désigné des personnes pour s’informer auprès de responsables d’associations, d’élus et de décideurs, des réalités locales à prendre en compte pour tracer la nouvelle géographie des paroisses et des secteurs. Selon le Père Goldenberg, ces personnes ont essayé d’être au plus proche des réalités humaines et de prendre en compte les remarques des communautés chrétiennes, avant de proposer à l’Evêque le nouveau contour des paroisses. En outre, comme le souligne aussi le Père Goldenberg, ces démarches ont rapproché les paroissiens : Elles ont permis à des baptisés de s’intéresser aux situations professionnelles, économiques, sociales et culturelles des habitants dans les paroisses. Pour un objectif commun : inciter les personnes à faire de l’Eglise leur maison de la foi , leur maison de prière , une maison ouverte sur les hommes de notre temps.
Le Festival des églises
Parmi les initiatives lancées pour rapprocher les différentes communautés de la grande paroisse de Compiègne-Nord, celle du Festival des églises est la plus marquante.
Evelyne Lerouge, mère de famille, a coordonné pendant plus d’un an la mise en œuvre de ce festival, qui s’est tenu à Compiègne, du 22 février au 26 avril dernier : Il s’agissait d’abord d’aider les neuf communautés qui forment la nouvelle paroisse à vivre pleinement leur identité culturelle et pastorale. Concrètement, il a fallu organiser des rencontres et favoriser des réalisations en commun, qui mettent en valeur à la fois l’héritage de la nouvelle paroisse et sa modernité...
Premier moment fort : la messe télévisée d’ouverture, le 22 février, célébrée en l’église Saint-Antoine de Compiègne, et présidée par Mgr Guy Thomazeau, évêque du diocèse.
Notre évêque, souligne le père Goldenberg, nous a encouragés dès le début du projet de ce festival, en nous demandant cependant de développer deux points : prendre en compte les jeunes et favoriser le lien entre les équipes d’animation pastorale et le conseil pastoral local de l’ensemble de ces communautés, afin que ce festival dynamise la nouvelle paroisse.
Un autre moment particulièrement fort : le pèlerinage des enfants, organisé le mercredi 1er avril 1998, toute la journée. Il a rassemblé les 9-12 ans des neuf anciennes paroisses. Sous la forme d’un grand jeu au cours d’une marche de Clairoix à Bienville, les enfants ont fait connaissance et tissé des liens entre eux. Ils ont pu apprendre l’origine du nom de leur église et découvrir la vie de celui qui en était le saint patron.
Ces enfants catéchisés, ou appartenant à un mouvement d’Eglise, ont invité de nombreux amis non catéchisés à participer à cette journée, en pèlerins de Dieu. Ce pèlerinage a été rythmé par des chansons et une animation annonçant Jésus Christ. Petits et grands, tous se sont identifiés à ce pèlerinage de la nouvelle grande paroisse Saint-Corneille.
Le résultat est là. Ce festival a connu un vif succès et a contribué à rapprocher ces communautés chrétiennes.
A la fin du festival, lors de la messe de clôture, Mgr Thomazeau a invité tous les membres de la nouvelle paroisse à poursuivre la mission dans la joie, et construire une paroisse vivante. C’est un commencement, dit une paroissienne engagée dans l’Eglise. Comme c’est vivifiant dans notre monde d’aujourd’hui !
Dans cette nouvelle grande paroisse de Compiègne-Nord, il est important de rejoindre toutes les communautés, en particulier les plus petites. Le festival des églises y a largement participé. Aujourd’hui, cette mission doit se poursuivre, dans le souffle de l’Esprit... C’est le vœu formulé par l’ensemble des communautés de Saint-Corneille.
Aux Bords de la Sioule
Valentin Strappazzon
En plein milieu rural, loin des villes, des chrétiens s'organisent et des laïcs, de plus en plus conscients de leur mission, entourent et secondent les prêtres.
Des jeunes foyers témoignent.
Nous sommes au cœur de l'Auvergne, dans la région des Combrailles où alternent gorges profondes, méandres fantastiques, dômes élevés par d'anciens volcans, barrages et plans d'eau, ponts vertigineux, forêts et promenades, rendez-vous de randonnées et de détente et, au hasard des chemins, magnifiques portails d'églises romanes.
L'ensemble pastoral Bords de Sioule regroupe 34 lieux, entre gros bourgs, petits villages ou simples hameaux, dont 24 se partagent les 43 messes célébrées le samedi soir et le dimanche pendant le mois. Pour la plupart, c'est devenue une habitude, témoigne une jeune femme, mère de trois enfants : Ici, les gens se regroupent pour faire le trajet ensemble. En l'absence de messe, beaucoup se retrouvent, à l'église, pour une prière commune. Tous acceptent de ne pas avoir la messe tous les dimanches.
Tous sauf, bien sûr, des personnes âgées, habituées jadis à choisir entre plusieurs messes le dimanche matin et qui, en raison de leur âge, se déplacent difficilement. La plupart comprennent, en effet, que les prêtres, moins nombreux, ne peuvent être partout. Beaucoup d'entre eux sont âgés et les jeunes se consacrent, en plus des messes, des baptêmes, des sépultures et des mariages, à des activités qui n'existaient pas autrefois, comme l'animation de groupes de jeunes, les sorties, les stages, les week-ends, les retraites...
Une Eglise vivante
Si les prêtres sont moins nombreux, des laïcs sont présents pour les aider ou les remplacer le cas échéant. Ainsi, à St-Georges-du-Mont, le lendemain de la Toussaint, tandis que le prêtre poursuit sa tournée pour célébrer la messe dans d'autres villages, trois laïcs, deux hommes et une femme, animent la prière au cimetière, avec lectures, invocations et chants, dûment préparés avec le prêtre.
La catéchèse est prise en charge par les parents qui, au moment des Professions de foi, sont là pour s'occuper des enfants pendant la retraite, préparer la messe, animer les chants, veiller au bon déroulement de la cérémonie.
Dans les Conseils pastoraux, les laïcs apportent aux prêtres les différents besoins de la paroisse, échangent leurs avis sur les différentes activités, aident pour les visites aux malades et autres activités caritatives. Non, poursuit notre interlocutrice, l'Eglise n'est pas morte, les prêtres ne sont pas seuls, nos jeunes sont aidés par ceux du MRJC (Mouvement rural de jeunesse chrétienne). Avec le Synode, lancé fin décembre 1997 dans notre diocèse, de plus en plus de choses se mettent en place dans nos villages et nos paroisses.
Le prêtre et l'épreuve du deuil
Une ombre au tableau apparaît, cependant, lorsqu'on parle d'obsèques présidées par des laïcs. C'est le moment où la présence du prêtre est ressentie traditionnellement comme un réconfort, et son absence, comme un manque. Les gens sont choqués. Ils acceptent que des laïcs participent, mais non qu'ils président. En un moment de très forte peine, alors que la présence du prêtre acquiert une signification particulièrement importante, les familles ont le sentiment que l'Eglise les abandonne et une nouvelle peine s'ajoute à celle, déjà douloureuse, du deuil qui vient de les frapper. Chez certains, la peine peut même aller jusqu'à la révolte.
L'Eglise n'ignore pas cette souffrance. Il s'agit, pour elle aussi, d'une expérience nouvelle qui, pour être menée à bien, doit être le fruit, non d'une nécessité ou d'une imposition extérieure, mais d'un processus longuement préparé et mûri.
Tout d'abord, si des laïcs président à des obsèques, ce n'est pas uniquement parce que les prêtres sont moins nombreux ou suroccupés, mais parce que les laïcs ont, de par leur baptême, un rôle actif au sein de nos communautés.
Ensuite, une telle pratique sera d'autant mieux acceptée qu'elle sera le fruit d'une réelle collaboration entre prêtres et laïcs dans l'accompagnement des malades et dans les différentes stations des obsèques : visites aux familles en deuil, préparation des funérailles, conduite à la dernière demeure... Et que tout le peuple de Dieu sera associé à la préparation spirituelle, liturgique et pédagogique de ceux de ses membres que l'évêque appelle à présider les obsèques.
Ce n'est pas la première fois que des chrétiens prennent en charge le fonctionnement de leur communauté, et ce nouveau rôle a été accepté presque naturellement là où, comme dans les aumôneries hospitalières, des laïcs étaient habituellement associés à l'accompagnement des malades et de leurs familles, depuis l'entrée à l'hôpital jusqu'en fin de vie.
Nous reviendrons sur ce sujet, délicat entre tous, dont la mise en place demande du temps, de l'éducation et beaucoup de tact et de souplesse.