Essor de la génétique et dignité humaine
Deux grands débats occupent actuellement la scène publique : l’un, en France, s’interroge sur la vie humaine à ses débuts, avec l’essor de la génétique ; l’autre, en Belgique, concerne la même vie à son terme, avec un projet de loi sur l’euthanasie. Nos correspondants ont fait le point sur ces dossiers.
Le document publié, sous ce titre, le 14 janvier dernier, par la conférence des évêques de France pose aux médecins et aux familles une question fondamentale : la science permet aujourd’hui de savoir ce que sera l’enfant à naître, et d’intervenir soit pour corriger les anomalies soit pour sélectionner les naissances. Quelles sont les limites imposées par le respect de l’être humain aux pouvoirs de la science et de la médecine ? Comment agissent des chrétiens directement confrontés à ces problèmes ? Monique de Castellan-Farisy a interrogé Sœur Marie-Luc Rollet, médecin-pédiatre, directrice de la maternité Sainte-Félicité, à Paris, dans le XVe arrondissement.
Monique de Castellan-Farisy. Avez-vous collaboré au Document des évêques sur la génétique, paru au début de cette année 1998 ?
Sœur Marie-Luc : Je n'ai pas directement collaboré à l'élaboration du Document. J'ai été seulement sollicitée pour la Conférence de presse, le 14 janvier dernier.
C'est vrai qu'en tant que Petite Sœur, nous avons une expérience de terrain et rejoignons les interrogations médicales ; en même temps nous avons une formation familiale, morale, théologique et spirituelle. A ce titre-là, nous avons une situation privilégiée dans le débat sur la génétique. Nous rencontrons aussi des jeunes en formation, surtout des sages-femmes, qui ont des interrogations éthiques. Deux ou trois fois par an, nous organisons une journée sur l'éthique. Moi-même, j'ai reçu une formation en bioéthique.
C’est sans doute en raison de cette expérience que j'ai été nommée en 1996 à l'Académie Pontificale pour la Vie.
En tant que religieuse et médecin dans une maternité, avez-vous constaté une évolution ces vingt dernières années, et des confusions entre prévention et diagnostic prénatal ? Selon vous, quelle est la source de ces confusions ?
Effectivement, il y a juste vingt ans, j'écrivais mon premier papier sur ce sujet à la suite des Journées Nationales de Néonatologie (médecine du nouveau-né). On y avait présenté les possibilités de diagnostic prénatal des anomalies fœtales et la grande presse y avait fait largement écho, en usant du terme prévention. Mais j'étais bouleversée en percevant que ce progrès dans le diagnostic, non accompagné de possibilités thérapeutiques, allait déboucher le plus souvent sur la proposition de l'avortement. C'est là le drame. Car on peut se réjouir des progrès dans la connaissance du fœtus tout comme des progrès dans les sciences génétiques, à condition cependant qu'ils soient mis au service de l'être humain et ne conduisent pas à l'élimination du sujet atteint d'une anomalie jugée inacceptable. Il y a là une modification de l'attitude médicale. Les possibilités de la connaissance assortie d'une impuissance thérapeutique conduisent à la tentation de supprimer le sujet atteint, d'autant plus qu'il est encore caché aux regards. Notons d'ailleurs que la maman, elle, perçoit très tôt et très nettement la présence vivante de l'enfant qu'elle porte, d'où la souffrance profonde qu'elle ressent lors de toute interruption de grossesse.
Précision tout de même que le diagnostic prénatal ne conduit pas toujours à une impasse thérapeutique, et peut aussi permettre une réelle prévention. Rarement en ce qui concerne l'amniocentèse (examen du liquide amniotique dans lequel baigne le fœtus), plus souvent pour l'échographie, l'examen qui conduit à une prise en charge efficace de l'enfant, notamment chirurgicale.
L'embryon est-il un patient comme les autres?
Il l'est dans la mesure où il peut être examiné, surveillé, soigné. Mais le diagnostic prénatal qui ne conduit pas à une thérapeutique curative ou préventive mais à un avortement, n'est pas un acte médical. Dans ce cas, ce n'est pas la maladie qui menace le patient mais la médecine.
Ce qui marque une évolution péjorative des mentalités et des conduites dans la société, c'est que l'on met en place un dépistage systématique des anomalies fœtales par l'échographie et par l'amniocentèse, à la recherche de signes d'appel.
Dès le début des années 80, j'étais alertée sur la dérive de la notion de prévention, lorsque je recevais les taux régionaux de mortalité et de morbidité néonatales, assorties de l'invitation à les améliorer par le dépistage et les avortements des enfants concernés.
Depuis un peu plus d'un an, avec le décret élargissant le remboursement des examens de dépistage de la trisomie 21, il est devenu quasiment systématique, les médecins se sentant obligés de proposer à toutes les femmes enceintes le test sérique, alors même que ce n'est pas un examen fiable.
On passe des connaissances scientifiques et techniques aux applications médicales sans mesurer, semble-t-il, les enjeux humains, au niveau des familles et de la société.
En enseignant aux étudiants les anomalies fœtales possibles, on énumère, souvent sans commentaires, les cas où l'avortement est la conséquence logique, sinon obligatoire. Il y a banalisation, et risque de glissement vers une attitude eugénique.
Certes, il faut distinguer diagnostic prénatal et avortement... Théoriquement, l'avortement est une décision de la femme, du couple parental. Mais quelle est leur capacité de décision alors que l'annonce de l'anomalie les place dans un état de détresse aiguë, de sidération, paralysant leur réflexion, leur capacité de discernement ? Par désir de les soulager, des médecins prennent la décision à leur place et précipitent l'avortement. Les couples se disent souvent pris dans un engrenage dont ils ne peuvent se dégager.
La pression est grande, médicale, sociale. La possibilité de supprimer l'enfant handicapé avant la naissance augmente le rejet après. La maman qui amène son petit trisomique à la consultation de cardiologie s'entend dire : Vous ne le saviez donc pas avant la naissance ? , ce qu'elle perçoit évidemment comme un reproche...
Les parents redoutent plus le regard des autres que leurs propres difficultés à élever un enfant différent. Heureusement, la société n'est pas froidement logique : organisant le dépistage prénatal et favorisant l'avortement qui en découle, elle développe la prise en charge des survivants.
Cependant, la tolérance au handicap diminue et il arrive que des parents demandent l'avortement pour une anomalie que les médecins jugent acceptables. Mais, lorsque se discute le droit d'un individu à la vie en fonction de son aspect ou de ses capacités, comment déterminer un seuil et qui est habilité à le faire ?
Vous proposez, à Sainte-Félicité, une préparation à la naissance, en lien avec la Pastorale familiale du diocèse de Paris. Face à ce drame lié à l'attente d'un enfant atteint d'un handicap grave, comment soutenez-vous la famille ? Quel pourrait être votre message essentiel ?
L'une des soirées de préparation spirituelle donne la possibilité d'évoquer les inquiétudes vis-à-vis du bébé. Nous recevons beaucoup d'appels de couples à qui l'on vient d'annoncer une anomalie de l'enfant qu'ils attendent. Souvent aussi, ce sont des amis, les grands-parents, un prêtre qui téléphonent.
Il s'agit d'accueillir ces parents, les écouter, leur permettre de retrouver leurs esprits, de laisser parler leur cœur... Répéter les informations, réexpliquer, redonner sa place au bébé pour ainsi dire oublié, effacé au profit de l'anomalie. Evoquer les différentes possibilités, répondre, se taire... Bref, accompagner, compatir... Retrouver le temps.
Le message essentiel ? L'amour, la capacité d'amour qui est dans le cœur des parents, et puis le respect, la liberté. Il y a des couples, même chrétiens, qui choisiront l'avortement. Du moins, auront-ils pu mûrir leur décision, la prendre un peu plus librement. Il faudra aussi, sans doute, à un moment, les aider à guérir de cette blessure.
Pour ceux qui décident, dans le contexte actuel, de garder un enfant gravement blessé, il s'agit d'un acte que l'on peut qualifier d'héroïque ; leur solitude est souvent immense. Ils n'osent pas parler, pour ne pas peiner leurs proches, pour ne pas risquer les reproches, les pressions... La prière, les sacrements, la communion des saints les aident à vivre cette épreuve avec le Seigneur, souvent aidés par un groupe, un mouvement, une communauté chrétienne. Ici, nous les recevons quand ils les désirent et parfois pour la naissance, au moment du face à face avec cet enfant attendu dans la souffrance, accueilli pour la vie qui est la sienne, pour l'aider à atteindre le bonheur mystérieux auquel il est appelé de par sa vocation humaine.
Propos recueillis par
Monique de Castellan-Farisy
Essor de la génétique et dignité humaine
Présentation du Document
Un débat national
Depuis cinquante ans, la génétique connaît des développements impressionnants. Ce Document, édité par le Conseil permanent des évêques de France, vient au moment où de nombreuses personnes et institutions manifestent leurs inquiétudes vis-à-vis des dérives possibles. Le 11 novembre 1997, l'UNESCO adoptait une Déclaration universelle sur le génome humain et les droits de l'homme .
Le Comité consultatif national d'Ethique s'est déjà saisi de la question dans ses divers aspects.
Cette déclaration des évêques est publiée dans l'esprit des paroles du pape Jean-Paul II : La qualité d'une société ou d'une civilisation se mesure au respect qu'elle manifeste envers les plus faibles de ses membres. Le Pape est d'ailleurs constamment cité et le document français a été consulté par la Congrégation pour la doctrine de la Foi.
Ce texte d'une quarantaine de pages s'adresse notamment aux généticiens, médecins, législateurs et aux personnes qui portent un handicap, ainsi qu'à leur famille.
Les axes principaux
Ce Document ne condamne pas un savoir et les évêques au contraire se félicitent du développement des sciences génétiques véritable conquête de l'esprit humain , mais il ne dissimule pas les doutes sur l'efficacité des thérapies géniques. Cette exploration du génome humain peut aussi entraîner de graves atteintes au respect des personnes. Ce sont ces atteintes que les évêques vont caractériser.
Ainsi, les examens génétiques et la médecine prédictive posent des questions éthiques délicates. En effet, la difficulté cruciale est que l'on peut prévoir certaines maladies mais non pas les guérir. D'où la nécessité, pour les évêques, de rappeler les exigences éthiques fondamentales, en insistant sur le respect de la liberté des personnes (consentement éclairé des parents et choix pour eux d'exercer leur responsabilité envers eux-mêmes et envers autrui)...
Le diagnostic prénatal fait l'objet d'un examen particulièrement approfondi dans ce Document : le dépistage a acquis une dimension collective, d'où la tentation, encouragée par le corps médical et la société en général, de procéder à l'interruption de la grossesse, dans le cas d'anomalies graves chez l'enfant. Le Document s'interroge longuement sur la nécessité de ces dépistages et le climat créé par leur automaticité.
En annexe, deux autres textes importants : le premier intitulé A tous ceux qui se dévouent au service des personnes handicapées (le document du Saint-Siège pour l'Année internationale des personnes handicapées, 4 mars 1981), l'autre sur Les aspects légaux et éthiques du projet Génome humain (discours du pape Jean-Paul II à un groupe de travail de l'Académie pontificale des sciences, 20 novembre 1993).
Une parole d'Eglise sur un sujet particulièrement délicat. A lire et à méditer.
Essor de la génétique et dignité humaine,
Comité permanent de la Conférence des évêques de France,
Centurion/Cerf, 1998, 45 FF.
Les Petites Sœurs des Mternités Catholiques
La congrégation des Petites Sœurs des Maternités Catholiques est liée à l'accueil de la vie, depuis sa fondation, en 1930. Elle est née de la rencontre de trois appels : celui d'un laïc, père de famille, Monsieur Louis Lantelme, de sa fille Marie-Louise et de l'évêque de Grenoble, Mgr Alexandre Caillot.
Monsieur Louis Lantelme souhaitait fonder une maternité pour les ouvrières du textile du secteur afin qu'elles y trouvent la sécurité sur le plan médical, le respect et l'aide dans leur mission d'épouse et de mère.
Cet appel rejoindra celui de l'évêque de Grenoble, Mgr Caillot, désireux de manifester la sollicitude de l'Eglise à l'occasion de la naissance d'un enfant. Marie-Louise Lantelme, sage-femme, qui voulait partir comme missionnaire, réalisera finalement le projet de son père, et deviendra religieuse et fondatrice de la Congrégation des Petites Sœurs des Maternités Catholiques, poussée par l'évêque de Grenoble. L'évêque déléguera l'abbé Emile Guerry, futur archevêque de Cambrai, pour veiller à cette fondation. D'où l'implantation des communautés des Petites Sœurs des maternités catholiques à Bourgoin-Jallieu (au début du siècle, Jallieu tout court), la maison-mère, dans le diocèse de Grenoble, et à Cambrai. Ensuite, il y eut de nouvelles implantations, à Aix-en-Provence, au Sénégal, et la dernière-née, à Paris, en 1990.