Un enfant unique
« Toi le frère que je n’ai jamais eu… », chante depuis quelques décennies Maxime Leforestier. Des frères et sœurs avec qui échanger, partager « les paires de gants, les paires de claques », c’est bon. Mais il n’est pas donné à tous les parents d’avoir plus qu’un enfant unique. Situation parfois difficile à comprendre de la part de ceux qui ont tout naturellement une famille nombreuse : « ils ne peuvent pas ou ils ne veulent pas ? », interrogent les suspicieux sans imaginer les peines profondes de ceux qui souhaiteraient tant donner la vie à d’autres enfants.
Souvent, les parents se sentent coupables de ne pas donner au moins un compagnon à leur seul enfant.
« Nous aurions tellement voulu que Laura ne reste pas seule. Mais les années ont passé sans que l’aide médicale reçue de médecins compétents change la situation. Il nous a été très dur à ma femme comme à moi, dit Eric, de renoncer à la joie de tenir un autre bébé dans nos bras… »
Mireille, maman de Pierre, 9 ans, confie : « Après plusieurs années de traitements éprouvants dont nous espérions toujours le succès, notre médecin nous a dit : « Attention de ne pas donner à Pierre, ce garçon joyeux, affectueux, intelligent, l’impression que d’autres enfants vous rendraient heureux alors que lui n’y arrive pas ! » J’ai bien entendu le conseil qui ne m’a pas empêchée de traverser une longue période dépressive. Mon mari et moi avons décidé de recourir à un psy pour sortir de là. Travail de renoncement difficile, surtout quand nous entendions de petites phrases cruelles comme : “Ce pauvre petit Pierre toujours seul”. Nous avions aussi un vague sentiment d’injustice : pourquoi ce problème alors qu’autour de nous les enfants naissaient comme des fleurs au printemps ? »
Que pensent les enfants uniques ?
Clarisse, 7 ans, prend aujourd’hui le vieux fleuriste comme confident : « Papa et Maman voudraient un autre bébé, mais ils n’y arrivent pas. Qu’est-ce que je pourrais bien faire ? Très sensible à la peine de ses parents, elle garde des comportements de bébé pour tenter de les consoler : câlins prolongés, caresses, pouce dans la bouche. Un jour, la réflexion cruelle d’une cousine provoque la crise : « Toi, Clarisse, tu ne cèdes jamais parce que tu es toute seule. Chez nous, on est trois. » Clarisse éclate en sanglots et finit par expliquer à sa tante : « Je sais bien que je suis seule. Ça me rend triste. Je sais que j’aurai une mauvaise vie et qu’on ne pourra rien y changer. » Clarisse a endossé les sentiments dépressifs de sa maman qui, pourtant, n’exprime jamais son chagrin. Les parents de Clarisse, mis au courant, parlent longuement entre eux puis avec leur fille. Leur attitude change, encourageant davantage les amitiés de la petite fille, eux-mêmes s’investissant dans des activités auxquelles ils avaient renoncé, d’où le soulagement de Clarisse.
Evolution possible
L’attitude des parents est en effet capitale pour aider les enfants uniques à vivre leur vie à eux sans chercher avant tout à consoler leurs parents.
Clarisse s’est mise à avoir de bonnes notes à l’école quand elle a pu dire à sa mère : « Tu sais, je n’aurais pas voulu être fille unique. Mais après tout, ça a des avantages. Regarde Léa : son frère l’asticote tout le temps, il est jaloux. Parfois, elle aimerait mieux être toute seule. »
Si les parents tristes d’un enfant unique n’ont pas pu dépasser leurs sentiments dépressifs, il est possible qu’à l’adolescence, le garçon ou la fille traverse un épisode dépressif à l’occasion de l’éloignement d’un ami ou, plus tard, d’une rupture sentimentale.
Favoriser les amitiés d’un enfant seul ne remplacera pas les frères et sœurs absents. Expliquer – quand c’est possible – les causes de cette situation pourra débarrasser l’enfant d’une culpabilité qui n’a pas lieu d’être et qui risquerait de bloquer
son évolution, de boucher ses perspectives d’avenir...
De toute façon, même au sein d’une famille nombreuse, chaque enfant n’est-il pas unique pour ses parents ? Et ne célèbre-t-on pas chez les chrétiens, depuis une vingtaine de siècles, la gloire du « Fils unique du Père » que l’on chante ou récite à chaque Eucharistie, plus solennellement encore en ce temps de Noël ?