Familles et cinéma
Le cinéma est-il un art si futile qu’il faille y renoncer pour privilégier l’éducation des enfants ? Loin de là, et bien des familles, chacune à sa manière, savent y puiser des ressources pour des échanges et des réflexions qui enrichissent le patrimoine familial : points de vue sur les hommes, leurs idéaux, les horreurs dont ils sont capables, leurs relations. Aller en famille faire la connaissance de personnages incarnés par des acteurs chinois, japonais, indiens, palestiniens aussi bien qu’américains ou européens, quelle découverte !
Je n’oublie pas ces jeudis où l’aumônier du lycée nous passait un film. Moments magiques pour moi. Dans ma famille, on n’allait pas au cinéma. Au ciné-club, au-delà des images et de l’histoire, nous étions invités à échanger nos points de vue à la fin de la projection, et nous apprenions à discerner la qualité du jeu des acteurs, le sens des relations entre les personnages. Je me suis juré d’emmener mes enfants au cinéma, et maintenant, ce sont mes petits-enfants que j’emmène, confie Brigitte.
Cinéma en famille
« Deux fois par an, rituellement, nos parents nous emmenaient tous voir un film : aux environs de Noël et pour fêter leur anniversaire de mariage. C’était mon père qui prenait la direction des opérations : choix du film en concertation avec ma mère, aventure en métro pour aller au cinéma choisi, glace à l’entracte, félicité complète ! Pour les plus jeunes, le film était parfois comique, mais toujours de grande qualité. Parfois un film ancien que nous avions manqué. Merveilleux souvenir de Rabbi Jacob, qui nous a bien fait rire, et de Monsieur Vincent, intéressant et “instructif”, que nous n’avons pas oublié », raconte Vincent.
« Nous, dit Antoine, la soixantaine, nous avons quelques films-cultes. Ainsi L’homme qui en savait trop, de Hitchcock, qui nous donne, encore aujourd’hui, l’occasion de parler du Maroc, où nous avons vécu quelques années. Nous pouvons évoquer ensemble l’Angleterre, l’humour, la peur devant le danger… Nos aînés assuraient les plus jeunes que “ça finirait bien”, leur rendant la tension supportable. Les émotions partagées font partie de la richesse de nos échanges. »
Un lien avec chaque enfant
« Les circonstances nous ont conduits à emmener nos trois enfants au cinéma un par un : leur écart d’âge l’a imposé. Quand notre aîné a eu treize ans, nous lui avons proposé d’aller voir un film. Devinez ce qu’il a choisi : un western interdit aux moins de treize ans ! Pour lui, c’était une promotion, et c’est moi qui me cachais les yeux aux moments violents. Les frères ne sont pas jaloux parce qu’ils savent qu’ils auront leur tour. »
A notre époque sensible aux images, ne pourrait-on se contenter de belles prises de vue et de scènes musclées ? Les jeunes spectateurs qui se déplacent pour aller au cinéma cherchent un peu plus, pour peu qu’ils aient été initiés au septième art et sachent à quoi ils sont en droit de s’attendre : ils cherchent le sens du film. Les petits messages “moralisants” ne les intéressent pas. « Les messages, je les mets à la porte », disait Hitchcock.
Un bon film peut faire rire, même sur un sujet grave : souvenons-nous de La grande vadrouille qui a connu un grand succès, alors que le thème de l’occupation lors de la Seconde Guerre mondiale est resté un sujet sérieux. Ce qui importe, c’est que l’histoire, par le jeu des acteurs, rejoigne chaque spectateur, le touche, éveille en lui des questions nouvelles, et parfois le mettent sur la voie de réponses. La rapidité des jeunes pour déchiffrer le sens des images est toujours étonnante.
Souhaitons que les films continuent longtemps à être une occasion d’échanges dans les familles et entre elles pour que chacun puisse trouver un sens à la vie des autres et à la sienne.