Le mariage, chances et déchirures
Assister : c’était le terme consacré figurant sur le faire-part du mariage. Une alternative était offerte : vous pouviez vous unir d’intention. Mais les formules qui annoncent l’heureuse cérémonie ont tendance à changer. Maintenant, ce ne sont pas toujours les parents et grands-parents qui invitent, mais les mariés eux-mêmes, en associant leurs ascendants.
Des mots signes d’évolution : joie, bonheur, plaisir
Les formules utilisées aujourd’hui dans certains faire-part font comprendre qu’une réalité s’exprime qui n’avait pas sa place du temps de nos grands-mères : trois mots reviennent souvent, traduisant des sentiments qui, certes, existaient lors des mariages, mais qui n’étaient pas mentionnés. Les sentiments semblent avoir trouvé tout naturellement leur place. Ainsi les jeunes mariés et leurs proches ont-ils le plaisir d’inviter à partager leur joie ou leur bonheur.
Rien de mondain, mais un vrai partage : Je suis ravie d’être invitée au mariage de ma filleule que j’aime beaucoup. Elle m’a présenté son fiancé, et malgré un deuil récent je tiens à être présente à la messe et à la fête de leur mariage. Je prends part à leur joie sans me forcer , confie Sophie qui n’oublie pas la recommandation : Réjouissez-vous avec ceux qui se réjouissent.
Témoin du consentement ou témoin de l’engagement
Autrefois, dit Florence, j’assistais à la messe de mariage célébrée par le Père Untel (parfois oncle ou cousin du ou de la mariée, on savait tout !). Et maintenant, il m’est proposé, comme à tous les autres invités, d’être témoin. Bien entendu, tout le monde ne va pas signer les registres, mais il me semble que c’est un rôle moins passif qui est confié à l’assemblée. Mais de quoi suis-je témoin ? De ce que je vois et entends : textes choisis, chants souvent bien repris par les assistants sans prétendre à un concert, joyeuse présence des parents sur leur trente-et-un et de quelques petits enfants d’honneur plus ou moins turbulents. Mais ce n’est là que l’extérieur. Je suis bien témoin de l’engagement des mariés.
Récemment, j’étais très émue d’entendre la jolie Marine s’engager à prendre pour mari Benoît qui, lui, s’engageait à la prendre pour femme. Ils vivaient ensemble depuis quelques années – comme 98% de ceux qui se marient aujourd’hui – et cet engagement mutuel apparaissait comme une nouvelle étape dans leur vie.
Notons bien que le consentement des époux est, actuellement, reçu par le prêtre qui célèbre la messe, quand messe il y a. Je suis très sensible, dit Roland, à la délicatesse de mariés chrétiens qui tiennent au sacrement de mariage même si leur conjoint est athée, musulman, ou appartient à une autre confession. Dans ce cas, pour respecter l’autre famille, certains renoncent à la messe ou à la communion. Ils affirment leur foi, mais n’imposent pas à l’autre famille ce qui pourrait la choquer ou demander des années d’explications.
Ils se donneront mutuellement le sacrement de mariage.
Après une préparation avec un prêtre ou dans un centre de préparation au mariage, il est proposé aux jeunes fiancés, non pas de recevoir un sacrement, mais de se le donner. Même si les formules paraissent un peu stéréotypées, on sent toujours que les jeunes gens s’appuient sur l’un des quatre piliers du mariage catholique : la liberté personnelle dans la décision, les autres étant l’indissolubilité, la fidélité et l’ouverture au don de la vie. (1)
Que signifie ce rôle de témoin ?
Je garde un souvenir très heureux du mariage de Guy et Chloé, dit une cousine. Ils avaient tout préparé eux-mêmes avec l’aide de leur aumônier d’école qu’ils aimaient beaucoup. Beaux textes sur l’amour humain et divin, assemblée limitée en nombre, mais très recueillie. Plaisir de voir ces beaux jeunes gens s’engager enfin après plusieurs années de vie commune. Vraiment, un jour harmonieux. Quelle peine de savoir qu’ils se séparent un an plus tard : Chloé est désenchantée disent les parents de Guy qui, lui, ne comprend pas ce qui lui tombe sur la tête. I1 invite sa femme à un voyage de rêve. Mais au retour, Chloé se montre de nouveau déçue, incapable de reprendre la vie quotidienne avec Guy. Pour-tant, le jour du mariage, Chloé a bien prononcé les mots t’aimer pour toujours : c’était pour elle l’évidence, comme sa fidélité. Alors comment comprendre ce retournement ?
Vous unir d’intention ou vous unir par la prière
La cousine s’interroge, cherche à comprendre. En quoi sa présence à la fête a-t-elle consisté ? Une pieuse intention qui ne pèserait guère plus que sa présence à la fête laïque après la messe : repas, chansons, sketches, jolies tenues de tous les invités ?
S’est-elle unie par la prière assez profondément, comme beaucoup d’autres l’ont fait dans l’église même ou bien de loin ?
S’unir par la prière le jour de la fête, mais pour toujours par la suite, afin que ce jeune couple et tous les autres dépassent les inévitables déceptions – les psy les nomment désidéalisations – qui suivent les moments d’exaltation amoureuse et invitent à mieux prendre en compte la réalité de l’autre et de soi-même, sans croire que tout est fini quand on n’éprouve plus les mêmes sentiments. I1 n’est pas facile à ceux qui ont été de simples témoins à un mariage de faire savoir que l’amour existe vraiment au-delà des difficultés. Peut-être une seule chose à faire : vivre soi-même l’amour dont on a perçu de nouveau les merveilles et les exigences quand les jeunes mariés se sont engagés. Les vieux mariés qui entourent les jeunes savent bien que leur vie de couple est passée par des moments lumineux qui ont éclairé des périodes plus sombres : ils ont partagé la joie de la naissance des enfants, le chagrin de ceux qui, souhaités, ne sont jamais nés, les soucis de santé, d’éducation, la charge des parents âgés, une éventuelle infidélité qui aurait pu conduire à une séparation, des deuils... Après ces longues traversées, la fête d’un mariage est toute de joie et rappelle le dynamisme de la vie commune.
Qui voudrait s’en priver ?
(1) Le mariage au cœur de la réflexion des évêques, Pèlerin Magazine n°6206 – 9 nov. 2001
Ruptures et divorce
Maïten de Cazanove
Si chaque rupture est une histoire unique, le nombre considérable de divorces et des séparations est une question pour toute notre société.
Nous appartenons à une famille rurale, profondément chrétienne. Je nous croyais à l’abri du divorce, je pensais : chez nous, ce n’était pas possible ! Alors, vous imaginez ma stupeur quand ma fille Nathalie est venue nous annoncer son divorce, après cinq ans de mariage. Bien sur, c’est le chagrin qui a dominé à cause de sa souffrance et de celle de ses deux petits, mais quelle claque aussi par rapport à l’entourage... raconte Martine. La séparation, confirme Marie-Charlotte Dalle, magistrat, juge aux affaires familiales au Tribunal de Grande Instance de Reims, pendant sept ans, dépasse tous les clivages sociaux, toutes les cultures et toutes les formes éducation, elle touche les couples rebelles de 68 comme ceux qui fréquentent les églises, elle se gausse des familles à principes, elle entraîne des retraités dans son sillage, elle fait mentir les engagements pris devant Dieu, dévoie les jeunes pères de famille et sauve les femmes battues, elle ne connaît aucune frontière si ce n’est celle de l’âme humaine.
C’est dire son imprévisibilité, sa complexité et son pouvoir.
Des chiffres impressionnants
Ainsi il n’existe plus de milieu protégé. Toutes les catégories de la population sont concernées : cela en fait du monde ! Le trentième rapport sur la situation démographique de la France, publié en 2001, par le Ministère de l’emploi et de la solidarité indique que le divorce atteint aujourd’hui une proportion de couples jamais égalée jusqu’ici. En 1999, ce sont près de 39 % des mariages qui se terminent par un divorce, soit plus d’un couple sur trois. En 1965, le divorce frappait 10 % des mariages. L’évolution de ce pourcentage a été si régulière qu’un retournement de la tendance semble tout à fait improbable, à échéance raisonnable.
Les divorces ne sont toutefois pas répartis uniformément sur l’ensemble du territoire : ils concernent près d’un couple sur deux dans les plus grandes agglomérations et particulièrement en région parisienne, près d’un couple sur trois, ailleurs. Ces chiffres impressionnants sont muets sur les ruptures des couples non mariés. Et pourtant précise Marie-Charlotte Dalle, la séparation concerne tous les couples et non pas seulement ceux engagés dans le mariage . Le nombre de divorces est-il identique dans les deux situations ? Une étude récente (1), répond à cette question :
Sur 100 couples mariés en 1990...
82 % ont commencé leur union par la cohabitation
10 ans plus tard
Sur 100 couples qui avaient commencé par la cohabitation :
30,5 % cohabitent
30,5 % sont mariés
30,5 % sont séparés
8,5 % sont séparés après s’être mariés
Total des ruptures = 39%
18 % ont commencé leur union par le mariage
10 ans plus tard
Sur 100 couples qui avaient commencé par le mariage :
89% sont mariés
11% sont séparés
Total ds ruptures = 11%
Cette étude montre la généralisation des ruptures, quel que soit le statut légal des couples mais elle va plus loin : elle démontre que si la cohabitation diminue légèrement le nombre de divorces, elle se solde par beaucoup d'échecs.
Les animatuers des Centres de Préparation au mariage remarquent d'ailleurs, dans les sessions qu'ils organisent, un nombre croissant de couples dont l'un des deux, au moins, a l'expérience de la rupture.
Société passive et communication défaillante
Cette augmentation des divorces se fait sur un fond d’acceptation passive de la société. Ainsi constate la sociologue Irène Théry dès 1995 : La précarité des relations conjugales est devenue un fait de société. Cette précarité est d’autant plus acceptée socialement qu’elle participe des nouvelles exigences affectives et morales attachées à la redéfinition de la légitimité du couple : mieux vaut une union rompue que son maintien factice. De ce fait, on ne perçoit dans aucun pays occidental de tentatives sérieuses pour combattre autoritairement cette évolution qui paraît inéluctable. (2) Rien à retirer à cette analyse sept ans plus tard...
A propos des chiffres plus élevés dans les grandes villes, est-ce la conséquence du stress qu’elles génèrent, du manque d’espace pour souffler sans se heurter dans des logements trop exigus ? Le débat est ouvert...
Quelles que soient les difficultés du contexte social, Marie-Charlotte Dalle constate : Chaque histoire est unique et particulière, mais à l’écoute des couples amenés à emprunter les couloirs de la justice familiale, j’ai souvent relevé dans les dysfonctionnements progressifs et sournois de la vie conjugale, où le dialogue se rétrécie, de multiples ratés de la communication. Elle ajoute : Dans tous les cas, il devient difficile de communiquer, impossible de dire ou d’écouter. Il est toujours question de parole malmenée; celle qui ne trouve plus les mots pour le dire et devient mutisme, indifférence ou habitude, celle qui n’a plus d’autre langage que celui des coups, celle que l’on fait taire dans une dépendance toxique ou une quête sexuelle facile et vaine.
La législation du divorce
La loi a pour fonction de protéger les plus faibles. Dans le contexte actuel où prévaut l’individualisme et la liberté individuelle, elle doit remplir cette fonction, dans le cas du divorce. Qui est ici le plus faible ? Le conjoint qui se verrait imposer, sans protection, une rupture contre sa volonté ou qui, bien que consentant pour le divorce, se verrait spolier par les décisions arbitraires de l’autre... Le plus faible, c’est encore plus l’enfant qui vit, impuissant, l’éclatement de la cellule familiale et en subit les conséquences...
Si des projets de réforme de la législation du divorce ont été récemment évoqués par les médias, aucun nouveau texte n’a été voté. C’est la Loi de l975 qui régit, aujourd’hui, le divorce en France. Trois procédures sont possibles :
1. Divorce par consentement mutuel (Articles 230 à 236 du Code Civil). Il est prononcé à la demande conjointe des époux ou à la demande de l’un, acceptée par l’autre. Il concerne 54,7% des divorces.
2. Divorce pour rupture de vie commune depuis 6 ans (Articles 237 à 241 du Code Civil). Le plus rare, il concerne 1,6 % des divorces.
3. Divorce pour faute (Articles 242 à 246 du Code Civil). Il concerne 42,8 % des divorces. (Chiffres de 1999).
Il ne fait pas de doute qu’une réforme verra, plus ou moins, prochainement le jour. Elle est attendue par les justiciables, mais aussi par les praticiens du Droit concerné : en effet les divorces représentent 50 % des dossiers traités par les tribunaux civils et les délais de traitement s’allongent au-delà du raisonnable...
Les enfants dans le divorce des parents
Ils sont de plus en plus nombreux à vivre l’épreuve de la rupture de leurs parents : c’est le cas d’un mineur sur quatre dans les générations récentes. A leur majorité, 85 % des enfants nés entre 1959 et 1969, avaient des parents vivant encore ensemble, contre seulement 76 % pour ceux nés entre 1974 et 1978 (1). On sait d’autre part que 78% des enfants ont entre 3 et 6 ans lorsque leurs parents divorcent.
Quelles conséquences pour ces enfants ? Difficile pour les sociologues de mesurer directement la souffrance, Une enquête récente en propose une approche indirecte. Elle révèle que séparation et divorce ont des conséquences négatives sur les résultats scolaires des enfants. Faut-il incriminer le moindre contrôle scolaire exercé par les parents ? La persistance des conflits familiaux après la séparation et la remise en couple éventuelle ? Des ressources économiques amoindries dans les familles dissociées ? On sait peu de chose , reconnaît Paul Archambault, auteur de l’étude réalisée par l’INED, Il est bien difficile aussi de savoir, si les difficultés constatées sont liées au divorce ou, plus fondamentalement, à un milieu familial défavorable.
Assurer la protection de ces enfants
Cette responsabilité incombe, avant tout, à leurs deux parents, comme le stipule la loi de 1993 qui impose l’exercice en commun de l’autorité parentale aux parents mariés, après divorce et renforce l’exercice en commun de l’autorité parentale pour les parents non mariés. En effet, remarque Bernadette Barthelet, professeur de Droit à L’Institut des Sciences de la Famille (Université Catholique de Lyon), le principe de co-parentalité devient la règle non seulement pendant le mariage mais après divorce et séparation dans la famille naturelle. Toutes les propositions de réformes nouvelles vont dans ce sens. Le couple parental doit obligatoirement survivre au couple conjugal. Le discours de l’Etat est clair : on est parent pour la vie. Il n’y a plus d’ex-mère ou d’ex-père !
Dans le déchirement du divorce, cette co-responsabilité parentale, n’est pas toujours facile à maintenir. La Médiation familiale est là pour accompagner les parents désireux de faire passer le bien de leurs enfants avant leurs conflits, mais qui éprouvent des difficultés à le faire concrètement. La Médiation familiale aide les familles à mettre en place les modalités pratiques de l’exercice en commun de l’autorité parentale : lieu de résidence, droit de visite, contribution à l’entretien des enfants... C’est une chance pour toute la famille confrontée à la traversée de la crise de la rupture ! On peut seulement regretter qu’elle ne soit pas plus systématiquement saisie.
1) INED
(2)Revue Sciences humaines – Hors série N° 7 – 1995
L’indissolubilité : une richesse
L’appel adressé par le Pape aux avocats en janvier dernier, de ne prêter leur collaboration aux ruptures du mariage, n’est compréhensible que dans le cadre d’une présentation positive de l’union indissoluble. En voici les principaux passages.
- Selon l’enseignement de Jésus, c’est Dieu qui a lié par le lien conjugal l’homme et la femme. Cette union passe par le libre consentement de tous deux, mais ce consentement humain a pour objet un dessein qui est divin.
- Quand un couple traverse des difficultés… l’amour conjugal est la voie pour résoudre positivement la crise.
- L’Eglise et chaque chrétien doivent être lumière du monde… Il pourrait sembler que le divorce est tellement enraciné en certains milieux sociaux, que cela ne vaut pratiquement pas la peine de continuer à le combattre en répandant une mentalité en faveur de l’indissolubilité. Et pourtant, cela en vaut la peine ! Ce bien se situe à la base de toute la société. Aussi son absence a-t-elle des conséquences dévastatrices et exerce une influence négative sur les nouvelles générations devant lesquelles est obscurcie la beauté du mariage véritable.
- Les artisans du droit dans le domaine civil doivent éviter d’être personnellement impliqués en tout ce qui peut être finalement une coopération au divorce… Les avocats, en tant que libres professionnels, doivent toujours refuser que leur profession soit utilisée pour une fin contraire à la justice, comme c’est le cas en ce qui concerne le divorce ; ils peuvent seulement collaborer à une action en ce sens quand celle-ci, dans l’intention du client, ne vise pas la rupture du mariage, mais bien d’autres effets légitimes que, dans un système juridique déterminé, on ne peut obtenir que par cette voie judiciaire.
(Discours au Tribunal de la Rota romaine, 28 janvier 2002)