Une boulangerie pour l’amour de Marie

12 Décembre 2014 | par

Près de Kinshasa, en République démocratique du Congo, à la paroisse Mater Dei, le père Antonello a fondé une boulangerie qui offre du travail à six jeunes ainsi qu’à trente mères, et qui – une fois qu’elle fonctionnera à plein régime – aidera à nourrir environ 28 000 personnes.



De nombreux siècles avant l’invention de la baguette ou du pain de mie, en Galilée, il existait un pain spécial. En l’an 8 de notre ère, une dénommée Marie pétrissait tous les jours la pâte pour son enfant, Jésus, son mari Joseph, et pour les habitants de Nazareth où elle vivait avec sa famille. Ouverte par nécessité car les parents ne possédaient qu’un petit âne prénommé Bim et que Jésus ne voulait pas vendre, la boulangerie de Marie gagna vite une certaine renommée, jusqu’en Égypte et plus loin encore.

Tant de succès ne dépendait pas des ingrédients utilisés, qui étaient tout à fait communs – farine, sel, eau et levain – mais de l’amour avec lequel ce pain était préparé. Oui, l’amour. Car comme Marie le répétait souvent à Jésus alors qu’elle pétrissait la pâte, « sans amour, le pain ne devient pas bon ».

Peut-être cela ne correspond-il pas à la réalité historique, mais la légende du pain de Marie a certainement fait réfléchir plus d’un boulanger. Et c’est de ce conte que le père Antonello Rossi, missionnaire de la Consolata qui œuvre en République Démocratique du Congo depuis plus de vingt ans, s’est inspiré pour donner vie à la boulangerie Limpa Lya Maria (le pain de Marie) dans la mission Mater Dei.

Nous sommes au cœur de l’Afrique, à une vingtaine de kilomètres de Kinshasa, dans une périphérie qui inclut quatre quartiers (Kimbondo, Sanfil, Telecom et Mbenseke) et compte environ 28 000 habitants, dont la plupart a moins de 25 ans, et le chiffre est en hausse. Ici, dans le « Congo rural », déchiré par une guerre civile pour le contrôle du territoire et de ses ressources (or, diamants, pétrole, bois, coltan…), l’eau est rare, l’énergie électrique une chimère et la malnutrition l’unique certitude. Ici, où les carnages perpétrés sur la population par des groupes armés de machette et de baïonnettes sont quotidiens, et où les infrastructures sont délabrées et le taux de chômage galopant, les familles – composées en moyenne de 7 à 9 enfants – vivent du peu qu’elles arrivent à cultiver, quand le climat le leur permet. C’est justement en pensant à eux qu’il y a environ deux ans, le père Antonello décide de créer dans sa mission une activité en mesure « d’offrir un emploi aux mères et aux jeunes, en produisant en même temps du pain de qualité mais peu coûteux. » Un projet simple à raconter, mais un peu moins facile à réaliser. En fait, il ne s’agit pas de créer une boulangerie à partir de rien – murs, sols, toit, et tout le reste – mais aussi de faire démarrer une entreprise.

L’enthousiasme que l’on respire dans la paroisse Mater Dei est contagieux, mais le devis d’environ 100 000 euros nécessaires aux travaux a remis les pieds des paroissiens sur terre. Les 27 000 euros mis à disposition par les missionnaires de la Consolata pour la construction des locaux sont déjà un bon point de départ. Mais la boulangerie Limpa Lya Maria a besoin d’une aide plus substantielle, telle que celle demandée à la Caritas Saint-Antoine en juillet 2013 : « 40 000 euros pour l’achat de machines, indispensables à la production », se souvient le père Antonello. Une somme qui, avec les contributions offertes par d’autres bienfaiteurs pour l’organisation logistique et l’installation hydroélectrique, permet aux rêves des paroissiens congolais de se réaliser.

 

À l’œuvre sur deux fronts

Les travaux pour donner vie à la boulangerie de la mission Mater Dei ont débuté en juillet 2013 et se sont achevés en octobre 2014. Ils se sont déroulés sur deux fronts. D’un côté, près de Brescia, Claudio, propriétaire d’une entreprise d’installations électriques et hydriques, achète et envoie le matériel (four à gaz, réfrigérateur, pétrins, débactérisateur, cellules de refroidissement, chariots, plats à four, lavabos, tables, balances, étagères, lampes bactéricides…). De l’autre côté, au Congo, le chantier pour la réalisation de la boulangerie avance à un rythme serré. « L’étape la plus difficile – se souvient le père Antonello – a été l’envoi du matériel. Il nous a fallu deux jours de travail pour le décharger du container car le chariot élévateur s’enfonçait sans cesse dans le terrain sablonneux. » Après de nombreux sacrifices, en juillet 2014, les machines pour la production de pain ont été installées dans le nouvel édifice qui mesure 260 m2. Sous la direction de deux boulangers locaux ayant un diplôme en boulangerie et de Claudio, « le saint Joseph de la situation, comme le papa de Jésus dans l’histoire du pain de Marie, qui a littéralement construit le four », les aspirants boulangers travaillent dur et se forment. Fin octobre, la production peut finalement commencer : « À présent, la boulangerie défourne environ 600 pains par jour, mais une fois à plein régime, elle devrait en produire environ 6 000 en donnant du travail à six jeunes de la mission et à trente mères qui s’occuperont de la distribution et de la vente », explique le père Antonello.

Pour pétrir des baguettes et des pains dorés qui sentent bon, on utilise, au four Limpa Lya Maria, de la farine de blé dur d’importation (le climat congolais, chaud et humide, ne permet pas de cultiver le blé), eau, sel et levain. Le tout assaisonné – comme Marie nous l’enseigne – d’une bonne pincée d’amour et de passion. La même passion que celle transmise par un boulanger italien amené au Congo par Claudio, jusqu’au 20 décembre dernier. Car le métier de boulanger n’est pas qu’un simple métier pour gagner sa vie (les boulangers de Limpa Lya Maria gagnent 350 euros par mois), c’est aussi un art à cultiver. Et les habitants de la mission Mater Dei le savent bien ; ce n’est pas par hasard, confirme le père Antonello, « que même si la boulangerie est encore en phase d’expérimentation, l’on y respire en ce moment beaucoup de satisfaction et un peu de soulagement ».

Appelé à dresser un bilan du travail accompli jusqu’à maintenant, le missionnaire n’a aucun doute : la meilleure récompense est de « voir la joie de personnes et entendre dire Merci na nzambe, qui signifie “Grâce à Dieu”, par ceux qui attendaient depuis plus d’un an ». 

Updated on 06 Octobre 2016